Vers un essor de la réglementation technologique

Par Jean-François Venne | 26 avril 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
4 minutes de lecture
Kittipong Jirasukhanont / 123RF

Les nouvelles technologies ne changent pas seulement la livraison de services financiers aux clients ou les opérations internes des institutions financières. Elles affectent aussi la conformité, pour laquelle ils représentent à la fois des défis et de nouveaux outils.

« L’Autorité des marchés financiers et les Autorités canadiennes en valeurs mobilières se sont donné les moyens de dompter la bête, ou à tout le moins de la contrôler », lance Louise Gauthier, directrice principale des politiques d’encadrement de la distribution de l’Autorité, en parlant des fintech et de l’intelligence artificielle.

Un groupe de travail se penche présentement sur pas moins de six chantiers, dont un sur les outils automatisés, a-t-elle expliqué, mardi, lors du 12e Colloque de conformité du Conseil des fonds d’investissement du Québec. C’est notamment sous le chapeau de ce chantier que se déroule les activités du bac à sable réglementaire, dont l’objectif est d’étudier et de tester des modèles d’affaires innovants. Le premier bilan déposé à la mi-avril démontre que le bac à sable des Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) a reçu 25 demandes par des fintech ou des entreprises traditionnelles souhaitant innover.

Au Québec, l’Autorité des marchés financiers (AMF) en a reçu 127, dont quatre, jugées d’intérêt national, ont été acheminées aux ACVM. Fait à noter, seulement quatre sur les 127 portaient sur des robots-conseillers. Le trois quart était des projets liés aux cryptomonnaies (fonds, plateformes d’échange, minage, etc.).

Les robots-conseillers qui existent aujourd’hui sont des modèles hybrides dans lesquels des conseillers humains jouent un rôle clé. Les ACVM n’ont toujours pas statué sur l’éventuelle utilisation du conseil entièrement automatisé.

DE NOUVEAUX DÉFIS

L’avancée de ces technologies pose des défis de sécurité et de conformité. Traditionnellement, on considérait que les institutions financières avaient quatre lignes de défense, dont trois internes (les pratiques de gestion, la conformité et la sécurité informatique, l’audit) et une externe (les régulateurs).

« Mais les nouveaux joueurs et les nouveaux risques contournent ces défenses, prévient Solon Angel, directeur en chef des stratégies à MindBridge. C’est comme la ligne Maginot. La France avait déployé des lignes de défense impénétrables le long de la frontière avec l’Allemagne, mais en 1940, les Allemands les ont simplement contournées en passant par la Belgique. C’est ce qui arrive en ce moment avec la conformité, les règles deviennent désuètes par rapport aux capacités des technologies. »

Tout de même, les principes de base demeurent les mêmes, soutient Philippe Couture, président de CRG Services Juridiques Inc. (CRG), spécialiste de la conformité réglementaire, de la gestion des risques et de la gouvernance. « Il faut conduire ses affaires de manière prudente, avec des moyens proportionnels aux risques, dit-il. Mais que faire quand les humains ont de la difficulté à suivre dans de nouvelles activités, par exemple les transactions à haute fréquence? Dans ces cas-là, la conformité aussi doit avoir recours à de nouvelles technologies. »

MAIN DANS LA MAIN

Les régulateurs doivent donc jouer leur rôle et le font de plus en plus. « En 2018, l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières implantera au Canada une nouvelle technologie de surveillance des marchés, qui lui permettra de suivre un milliard de transactions chaque jour », rappelle Mark Damelin, président de Jesselton Capital Management, une filiale de la firme de technologie Toogood Financial Systems.

Selon lui, le plus important est que les fintech occupent un siège à la table pour discuter avec les régulateurs et collaborer avec eux au développement de nouvelles technologies et d’approches novatrices en conformité.

Les régulateurs peuvent d’ailleurs être des partenaires formidables pour les fintech. Solon Angel donne l’exemple de la Banque d’Angleterre, qui a fait part de certaines de ses préoccupations sur son site web, invitant les fintech du monde entier à proposer des solutions novatrices. Plus de 1 500 d’entre elles ont répondu présentes. Cependant, il insiste pour souligner les limites du concept de bac à sable utilisé au Canada. Selon lui, les fintech ont besoin de contrats commerciaux, donc de revenus, pour donner leur pleine mesure.

Nous ne ferons pas non plus économie de l’humain de sitôt. Philippe Couture rappelle que les nouveaux outils technologiques ont besoin d’être paramétrés correctement, par exemple. Par ailleurs, un grand nombre de fraudes reposent non pas sur des outils sophistiqués, mais sur de l’ingénierie humaine, comme les fraudes au président, par exemple. Pas facile non plus de prévenir l’action de fraudeurs qui obligent un dirigeant d’une banque à fournir les codes des systèmes de son entreprise en menaçant la vie de ses enfants.

Manifestement, la technologie a de beaux jours devant elle, mais elle ne pourra pas régler tous les problèmes.

Jean-François Venne