La contamination des services financiers

Par Gérard Bérubé | 29 juin 2012 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Les conseillers financiers sont nombreux à dénoncer un encadrement réglementaire jugé trop lourd et coûteux au Québec, rendant la facture toujours plus difficile à absorber pour les plus petits cabinets. La dénonciation porte également sur la fréquence des changements, plutôt élevée dit-on, un rythme que déplorent même les grands joueurs de l’industrie. L’on constate cependant que, depuis un an, l’Autorité des marchés financiers (AMF) se montre plus réceptive face aux doléances des participants dans l’industrie, et manifeste un peu plus de considération pour les petits joueurs, qui craignent malgré tout pour leur survie.

« On peut parler d’une ébullition réglementaire. Ça va vite, ce qui rend le travail compliqué, déclare Maxime Gauthier, avocat et chef de la conformité chez Mérici Services Financiers. Même de grands joueurs comme le Mouvement Desjardins reprennent cet argument. Les nouvelles normes viennent vite. On ne laisse pas aux gens de l’industrie le temps de s’adapter. Je ne doute pas de l’intention du législateur, mais il faut prendre le temps. »

Maxime Gauthier observe une plus grande ouverture à l’AMF depuis un an. « Un dialogue constructif commence à s’établir », ajoute-t-il. Au même titre qu’il observe plus de considération de l’AMF pour les petits joueurs de l’industrie, qui ressentent plus que les grandes institutions le poids des normes et de la vitesse des changements réglementaires. « Reste à voir comment cette ouverture peut s’articuler. »

L’an dernier, au terme d’une présentation devant le Cercle de la finance internationale à Montréal, Mario Albert, PDG de l’AMF, disait être préoccupé par la lourdeur réglementaire qui pèse sur les cabinets indépendants. Selon ce qu’ont publié les médias spécialisés, « le défi est de garder le bon équilibre entre la réglementation qui protège le consommateur et une réglementation qui permet au petit cabinet de partir en affaires ». M. Albert présentait, dans la foulée, son projet d’inscription en ligne, censé « réduire les coûts de conformité et les coûts administratifs ».

Sylvain Théberge, chef des relations médias de l’AMF, souligne que M. Albert faisait alors référence à « un nouveau système informatique sur lequel travaille l’Autorité et qui devrait être fonctionnel vers la fin de l’année 2012. Ce système informatique permettra notamment aux représentants et aux cabinets l’inscription en ligne et l’obtention dans des délais très courts (moins de 24 heures en principe) du permis ou du certificat. Réduction de coûts donc et aussi de paperasse et de délai. » M. Théberge ajoute qu’« il n’y a toutefois aucun projet de modification de réglementation ».

Chez les plus petits cabinets et les conseillers indépendants, on se dit pourtant à bout de souffle. L’un d’eux a souligné, sous le couvert de l’anonymat, que le développement des affaires de son cabinet en souffrait. « Avant, je pouvais gérer une quinzaine de comptes par jour en relation client. Maintenant, je ne peux qu’en faire sept ou huit. Là où, auparavant, il fallait remplir un formulaire, il en faut désormais quatre. Et avec cette fréquence de mise à jour des dossiers… » Parlant d’un système réglementaire contaminé, ce conseiller estime que les nouvelles normes réglementaires et exigences en matière de conformité lui apportent entre 20 et 25 % de plus de travail au cours d’une semaine déjà fort occupée. « Ça ajoute un salaire de plus, rendant plus difficile l’atteinte d’un revenu convenable. Notre profession n’a jamais été aussi peu attrayante », déplore-t-il.

Ce conseiller d’expérience reconnaît que l’AMF et le législateur se devaient de bouger au lendemain de Norbourg et des scandales à répétition. Mais va-t-on trop loin ? « Il y a trop de conformité. Tout le monde veut se protéger. » Il soutient que l’AMF n’a d’yeux que pour le ministère des Finances et les grandes institutions financières. Et ces dernières se préoccupent surtout de leur réputation et de leurs actionnaires, préférant offrir à leur clientèle un service standardisé, informatisé, reléguant au second plan le rôle du conseiller.

Michel Marcoux, président du cabinet Avantages Services Financiers.

Michel Marcoux, président du cabinet Avantages Services Financiers, abonde dans le même sens. « On pousse trop loin. C’est devenu une industrie d’avocasserie et non de produits et services financiers. Ce sont des gens de droit, et non de finance. » Michel Marcoux donne l’illustration du règlement 31-103 sur l’évaluation des portefeuilles des clients, dont l’application au Québec, fortement contestée, devrait se faire en 2012, après moult reports. Le dernier report est venu à la demande du ministre délégué aux Finances, Alain Paquet, qui veut s’assurer que l’adoption et l’application des règles de l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ACCFM) ne portent préjudice aux cabinets québécois. « Le ministre s’est demandé pourquoi les cabinets indépendants n’avaient pas déposé de mémoire lors des dernières consultations. Or, cela fait cinq ans que l’on discute du 31-103. L’AMF multiplie les consultations publiques. Il y en a eu quatre sur le sujet. Mais nos objections sont toujours les mêmes », dénonce Michel Marcoux.

Au-delà des coûts et du travail que requièrent de telles consultations à répétition, « le 31-103, en automatisant bêtement un processus, repose sur des prémisses qui se veulent fausses d’un point de vue mathématique et scientifique, ne serait-ce que parce que l’on ne tient pas compte des concepts de corrélation et d’horizon de placement. » Michel Marcoux en rajoute : « on demande aux conseillers d’être de mieux en mieux formés et de s’engager dans un processus de formation continue. Mais l’on priorise un processus mécanique, qui s’applique à des systèmes informatiques. On automatise bêtement un processus, ce qui peut plaire aux grosses institutions financières, mais qui transforme le conseiller en un instrument. Il y a tellement d’interdits. Avec tout ce monde ne pensant qu’à se protéger, qu’à diminuer le risque, le conseiller financier n’a plus le droit au jugement. »

Un autre conseiller d’expérience, désirant également s’exprimer sous le couvert de l’anonymat, ajoute à la liste d’irritants cette nouvelle exigence, en vigueur cette année, du plan de continuité des affaires. Et il sourcille à la vue du projet de loi no 7, adopté par l’Assemblée nationale le 30 novembre dernier, visant à modifier la Loi sur la distribution des produits et services financiers afin de permettre à toute personne d’interpeller le Bureau de décision et de révision relativement au travail de son conseiller. « Tout le monde a tellement peur et la lourdeur est telle que les conseillers vont se limiter à vendre des fonds distincts, plus simples, mais aussi plus coûteux pour le client », a-t-il illustré.

Maxime Gauthier, avocat et chef de la conformité chez Mérici Services Financiers.

Maxime Gauthier, de Mérici, parle également des risques de dérapage et d’abus de plaintes que pourraient provoquer ces nouvelles mesures. « Le ministre Paquet s’en est rigoureusement défendu, mais telles que libellées et selon l’interprétation que pourraient en faire les tribunaux, il pourrait s’agir d’une épée de Damoclès. » Il rappelle que la carrière d’un conseiller repose d’abord sur la confiance, ce qui peut venir bafouer son droit à la présomption d’innocence. « Si, au terme d’une procédure, il n’y a pas de reconnaissance de faute, le conseiller aura tout de même subi les contrecoups du doute. Sans compter le coût de l’enquête, des procédures. Sans compter également qu’entretemps, la concurrence n’aura pas été sans exercer une prospection “agressive” de la clientèle du conseiller qui fait l’objet d’une enquête. »

Sur les règles de l’ACCFM, le chef de conformité de Mérici rejoint les doléances des conseillers québécois. « Ces règles ne sont pas très sévères sur le fond, mais elles sont très restrictives dans leur forme. Il existe une peur justifiée que l’on vienne robotiser la relation avec le client. » Il insiste : « ces règles ont sûrement été conçues au 22e étage d’une tour à Toronto. Elles n’apportent aucun gain de productivité. C’est une norme de contrôle arbitraire et inefficace. »

Dans un sens plus large, Maxime Gauthier parle également d’une réglementation plus lourde. Il y a eu resserrement réglementaire, en réponse aux scandales, et mouvement d’harmonisation, prenant parfois la forme d’uniformisation. « Tout cela a bousculé le modèle d’affaires et augmenté le coût de conformité. Davantage encore lorsqu’il y a cumul des permis. Auparavant, un poste de chef de la conformité à temps plein comme le mien n’était pas nécessaire. Avec l’AMF, avec les chambres, avec ces contrôles internes et ces inspections, je pourrais travailler 24 heures sur 24 », lance le chef de conformité d’un cabinet comptant 45 représentants.

Maxime Gauthier adhère à cette préoccupation consistant à bien protéger les épargnants et les investisseurs. Et, du point de vue humain, il est normal pour une institution de vouloir se protéger et défendre sa réputation. Plus la taille de l’institution est grande, plus il y a d’individus et plus il y a de risque de dérapage. Mais trop de réglementation peut paralyser la pratique des représentants et des conseillers. Qui dit restriction de l’offre dit concurrence moindre. Il énumère : « Aujourd’hui, il y a tellement plus de normes, de paperasse et de facteurs à considérer avant même de recommander un produit à un client… Il y a plus de consultations aussi. Et l’on nous annonce que nous serons l’objet de plus d’inspection. »

« La série de scandales a peut-être fait ressortir des lacunes en matière d’encadrement réglementaire. Mais je ne suis pas d’accord avec l’approche actuelle voulant que tous les conseillers soient considérés comme des fraudeurs potentiels. »

Cet article est tiré de l’édition d’avril du magazine Conseiller. Consultez-le en format PDF.

Gérard Bérubé