RICIFQ 2.0 : À la (re)conquête des conseillers

Par Jean-François Venne | 20 novembre 2013 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Après quelques accrochages et un peu de lavage de linge sale en public, le Regroupement indépendant des conseillers de l’industrie financière du Québec (RICIFQ) regarde vers l’avenir. Son principal défi reste le même : recruter des membres.

« C’était un cas classique de goutte d’eau qui fait déborder le vase », lance Larry Bathurst, planificateur financier, représentant en épargne collective, associé à Planex Solutions Financières et membre fondateur du RICIFQ, pour décrire le moment où il a pris conscience de la nécessité de former une association de conseillers indépendants.

Il nous ramène en 2005. Entachés par le scandale financier de Norbourg, les conseillers sont devenus de véritables têtes de Turc et voient leur honnêteté et leurs compétences mises en doute régulièrement. C’est dans ce contexte que Larry Bathurst tombe sur un article publié dans le Journal de l’assurance.

« Le président de l’Autorité des marchés financiers (AMF) de l’époque y était cité, martelant que les conseillers devaient craindre l’AMF. Cela s’ajoutait à toute une série d’articles que j’avais lus, où des gens de l’industrie financière tenaient des propos fort peu élogieux sur les membres de notre profession. Je trouvais déplorable que nous ne leur répondions jamais », se souvient-il.

Larry Bathurst envoie alors une lettre d’opinion à différents médias de l’industrie, dont Conseiller. La lettre attire l’attention et il reçoit rapidement un appel du conseiller Rodrigue Julien [NDLR: l’un des fondateurs du RICIFQ], lui faisant part de son appui. Une rencontre est organisée peu après, avec d’autres confrères. Ensemble, ils décident de fonder un nouveau regroupement, dont la mission principale sera de porter la voix des conseillers, aussi bien publiquement que dans les officines gouvernementales, et d’assurer la pérennité du conseil financier indépendant au Québec.

Huit ans plus tard, où en est-on?

L’éternel défi du recrutement

Élu président en juin 2013, le conseiller Flavio Vani sait bien ce que représentera son plus grand défi. « Il nous faut absolument augmenter notre nombre de membres, qui plafonne à environ 400 », dit-il. Il croit que plusieurs des initiatives prises auparavant, comme le label « Conseillers de confiance » [NDLR : un répertoire de conseillers qui ont suivi une formation et se sont engagés à respecter les normes les plus élevées de l’industrie], ont raté la cible. « Je suis au CA depuis 2011, alors je prends une partie du blâme, mais je crois qu’encore trop peu de conseillers nous connaissent et comprennent ce que nous voulons faire », déplore-t-il.

La question du recrutement demeure cruciale à plus d’un égard. Le RICIFQ prétend représenter les conseillers travailleurs autonomes auprès de l’AMF, du gouvernement et du public. Il doit impérativement disposer d’un nombre de membres suffisant pour assurer sa légitimité réelle autant qu’apparente. Mais au-delà d’une question de principe, c’en est une de moyens.

Les quelque 400 membres du RICIFQ, qui paient 150 $ de cotisation annuelle, ne lui offrent aucune marge de manœuvre pour avoir une permanence, ni même rémunérer qui que ce soit.

Résultat : une somme de travail beaucoup plus imposante que ce qu’imaginaient les initiateurs du projet. Selon Léon Lemoine, planificateur financier chez Lafond et associés et ex-président du RICIFQ, les administrateurs les plus engagés, et notamment le président, peuvent y consacrer 10 heures par mois en période calme, 20 à 25 dans les périodes plus occupées, et jusqu’à 40 lorsqu’il faut préparer un mémoire dans le cadre d’une consultation gouvernementale. « En discutant avec d’anciens présidents, nous avons évalué à environ 35 000 $ par année le manque à gagner dans notre pratique lié à notre engagement au RICIFQ », précise-t-il.

Un coup d’œil sur Advocis, le regroupement pancanadien des conseillers, montre bien que quand on se compare, on ne se console pas toujours. Advocis compte plus de 11 000 membres au Canada, dont 113 au Québec. Les membres réguliers paient 836 $ (plus taxes) de cotisation annuelle, et leurs assistants peuvent s’inscrire pour 167 $. Les membres associés, c’est-à-dire ceux qui souhaitent exercer dans l’industrie financière ou qui travaillent dans des domaines connexes, paient 669 $, tandis que les retraités ou travailleurs à temps partiel versent 143 $.

Les deux organisations ont plusieurs objectifs semblables, comme de s’assurer que les changements réglementaires ne se font pas au détriment des conseillers, informer leurs membres, offrir des labels éthiques (comme « Conseillers de confiance »). Mais le gouffre entre les moyens des deux organisations est, lui, abyssal.

Vaincre l’indifférence

La vaste majorité des quelque 30 000 conseillers inscrits à la Chambre de la sécurité financière sont des salariés. Même parmi les travailleurs autonomes de l’industrie, un bon nombre détiennent des ententes d’exclusivité avec une entreprise et se soucient assez peu des changements de réglementation, dans le sens où ils n’ont pas la charge de leur mise en œuvre. « Reste donc quelques milliers de conseillers vraiment indépendants », note Larry Bathurst.

Pourquoi les conseillers indépendants sont-ils aussi peu nombreux à se joindre au Regroupement ? Maud Salomon, conseillère en sécurité financière et représentante en épargne collective rattachée à Mica Capital inc., n’a jamais été membre du RICIFQ, et elle a bien voulu nous expliquer pourquoi. Son opinion reflète bien ce qui fait hésiter plusieurs conseillers, à tort ou à raison.

« J’en ai assez peu entendu parler et je ne suis pas convaincue de l’influence réelle qu’ils ont, dit-elle. Je me sens bien représentée grâce à mon association à Mica Capital et je ressens peu le besoin d’avoir davantage de représentation. Certaines choses qu’ils ont faites, comme Conseillers de confiance, me semblent reproduire ce qui existe déjà et ajouter de la confusion pour les clients. Bref, je n’ai aucune animosité envers le regroupement, mais il ne me semble pas un incontournable. »

Pourtant, Maud Salomon n’est pas indifférente à l’avenir de son industrie, et s’inquiète de certains changements réglementaires éventuels, comme la cotisation obligatoire à un REER, en entreprise, proposée dans le rapport d’Amours. Elle y voit une opération des banques pour s’accaparer les cotisations des épargnants, qui seront moins nombreux à faire affaire avec un conseiller indépendant, puisque leur argent sera déjà placé dans un REER obligatoire. Elle représente, en quelque sorte, exactement le type de conseillère que le RICIFQ aimerait compter dans ses rangs. Pourtant, et comme tant d’autres, il y a peu de chance qu’elle rejoigne l’organisme à court terme.

Les administrateurs présents et passés du RICIFQ tentent quelques explications : le tempérament un peu solitaire des travailleurs autonomes, l’indifférence – étonnante – de plusieurs conseillers aux questions réglementaires touchant l’industrie financière ou les défaillances du RICIFQ lui-même, qui a peut-être parfois mal communiqué et dont les tensions internes récentes ont pu en rebuter certains. Mais ils admettent tous ne pas avoir de réponse absolue. « Si j’avais la réponse à cette question, j’aurais pu régler le problème », dit en riant (jaune) Léon Lemoine. C’est pourtant le défi majeur qu’il faudra surmonter pour assurer le développement de l’organisme.

Tourné vers l’avenir

Chose certaine, Flavio Vani et son équipe sont décidés à augmenter la popularité du RICIFQ. « Nous avons un programme à mettre de l’avant pour améliorer les conditions dans lesquelles évoluent les conseillers indépendants, et nous allons le faire connaître », explique le président.

Pour lui, la création d’un ordre professionnel vient très haut dans la liste. Il souhaite que tous les conseillers, qu’ils soient indépendants ou qu’ils travaillent pour les banques ou d’autres groupes, soient chapeautés par cet ordre professionnel. À ses yeux, cela éliminerait les doubles standards entre travailleurs autonomes et salariés. Il donne l’exemple de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec. « Les comptables n’ont pas toujours eu d’ordre professionnel, rappelle-t-il. Les voici maintenant avec un guichet unique, un organisme protégeant à la fois le public et les comptables, en plus de s’employer à faire rayonner cette profession au Québec. »

L’AMF, qui dit respecter et comprendre les objectifs généraux poursuivis par le RICIFQ et entretenir une bonne relation avec lui, ne voit pas d’un très bon œil la création d’une telle organisation. « L’AMF redoute surtout qu’un nouvel ordre professionnel vienne alourdir une industrie déjà très représentée et qu’ultimement cela vienne mélanger les gens, soutient le directeur des relations médias, Sylvain Théberge. Cela dit, nous pourrons mieux nous exprimer lorsqu’un projet concret sera sur la table et que nous pourrons en apprécier la portée. »

Pour faire accepter ce genre de changement, « il va falloir des bras », concède Flavio Vani. Il estime qu’être fort de 1 000 membres offrirait une toute nouvelle légitimité au RICIFQ, tout en lui donnant les moyens financiers de mener ses combats. « Seuls, les conseillers sont isolés et vulnérables, lance-t-il. Bien sûr, nous sommes des entrepreneurs et aimons être libres et faire nos affaires comme nous l’entendons. Mais il faut aussi se donner des outils pour surmonter les risques qui menacent notre métier. Le RICIFQ peut être ce genre d’outil. »

L’appel sera-t-il entendu?

Fierté et déception de deux ex-présidents

Léon Lemoine

Léon Lemoine

Fierté « Au début, nous passions pour une secte qui voulait tout changer. Nous avons réussi à corriger cette perception et à nous faire respecter. Je suis fier de nos combats pour préserver l’image de la profession. Nous avons publiquement réagi contre Option consommateurs et le magazine Protégez-Vous qui, en 2007, ont qualifié la moitié des conseillers financiers d’incompétents [le RICIFQ a déposé une plainte au Conseil de presse, qui a toutefois été rejetée en 2008]. En 2011, nous avons élevé la voix contre l’Association CFA Montréal, qui laissait entendre que les conseillers qui n’étaient pas CFA [Certified financial analysts] étaient malhonnêtes et incompétents. »

Déception En 2007, nous avons travaillé fort sur le dépôt d’un mémoire à la Commission des finances publiques sur la protection des épargnants. Nous n’avions pas beaucoup d’expérience et étions tous bénévoles. Mais nous avons su faire entendre notre voix. »

Larry Bathurst

Larry Bathurst

Fierté « Ma grande fierté est d’avoir donné une voix aux conseillers. Le RICIFQ a été invité aux consultations gouvernementales quand il était question de réglementation. Nous avons rencontré des gens du cabinet du ministre des Finances pour discuter du Fonds d’indemnisation.

Déception « Je n’ai pas aimé que certains conflits internes du conseil d’administration soient étalés dans les médias. Je crois que ça a un peu nui à l’image du regroupement. Il est normal que des désaccords apparaissent dans un tel organisme, mais il ne faut pas en faire des esclandres publics. »

Jean-François Venne