Trop forte, la tentation à l’extrapolation !

Par André Gosselin | 25 mai 2010 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Deux joueurs de basketball professionnels de même calibre s’affrontent dans un concours de tirs au panier. Après trois tentatives, l’un a marqué trois paniers d’affilée, tandis que l’autre les a tous manqués. Lequel de ces deux joueurs sera le plus susceptible de réussir le prochain panier ? Si vous avez répondu « Ni l’un ni l’autre » ou « Les deux joueurs ont autant de chances l’un que l’autre », vous avez gagné. Sur le strict plan statistique et probabiliste, chaque lancer est en soi un événement isolé dont l’issue ne dépend pas des lancers précédents, écrit André Gosselin, Ph.D., fondateur de la philosophie de gestion du cabinet Orientation Finance.

Et pourtant, la plupart des gens choisissent le premier joueur — celui qui a marqué trois paniers d’affilée —, sous prétexte qu’il est meilleur que le deuxième, que la chance est de son côté ou encore, que le succès attire le succès.

Des statisticiens ont poussé l’audace jusqu’à analyser une série de scores au basketball professionnel, afin de bien montrer la validité de la théorie probabiliste. Or, il s’avère que les joueurs qui font plusieurs paniers d’affilée n’ont ni plus ni moins de chances que les autres de réussir les suivants.

Morale de l’histoire : les gens sont portés à imaginer des tendances et des phénomènes récurrents là où il n’y en a pas.

Un exemple souvent évoqué en finance est celui de la performance des fonds communs de placement. La plupart des gens (et des conseillers financiers) croient qu’un fonds qui a connu trois bonnes années d’affilée a des chances de connaître une meilleure quatrième année qu’un fonds qui a connu trois mauvaises années de suite. Et pourtant, ce n’est pas le cas.

Un autre exemple tiré du domaine financier est celui de l’annonce de résultats positifs (ou négatifs) par les sociétés. Les marchés réagissent fortement à plusieurs annonces consécutives de résultats positifs, comme ils le font lorsque survient une série consécutive de résultats négatifs.

Trop forte, la tentation à l’extrapolation ! Les investisseurs pensent que l’entreprise qui dévoile des profits supérieurs aux prévisions des analystes sur trois ans a de bonnes chances de les surprendre encore au cours des trois à cinq années suivantes. Ils extrapolent à la fois les bonnes et les mauvaises nouvelles à trop longue échéance.

En réalité, les variations de résultats des entreprises obéissent à une logique plutôt aléatoire. Un excès d’optimisme entraîne une surévaluation du cours des actions, tandis qu’un pessimisme démesuré provoque une sous-évaluation de ces mêmes prix.

Dans les deux cas, rares sont les bons gestionnaires de portefeuilles qui savent exploiter ces comportements avec succès, en faisant le contraire de ce que font la plupart des investisseurs.

Les marchés financiers sont ainsi faits qu’ils mélangent les excès de prudence et les excès d’optimisme.

On pourrait même dire que l’investisseur moyen qui interprète mal l’information financière reçue se montre trop prudent face à certains titres (ou fonds) de son portefeuille et pas assez face à d’autres. Il a tendance à se raccrocher trop fortement à ses convictions antérieures, et met trop de temps à modifier son opinion en fonction de nouveaux éléments d’information.

L’étude qui a allumé les économistes financiers sur ce phénomène date de 1985, et elle a été réalisée par Werner de Bondt, de l’Université du Wisconsin, et Richard Thaler, de la Graduate Business School de l’Université de Chicago. Les deux auteurs y démontrent que les marchés réagissent trop fortement à l’information, et qu’ils exagèrent la malchance des titres perdants et la bonne étoile des titres gagnants.

Ainsi, les actions qui avaient obtenu de faibles rendements sur une période de trois ans en arrivaient ultérieurement à dépasser les titres dont les rendements avaient été les plus élevés au cours de ces trois mêmes années. Et les titres qui étaient mal-aimés et décevants depuis trois ans enregistraient, au cours des trois années suivantes, un rendement de 25 % supérieur à celui d’un portefeuille constitué de titres vedettes.

Réagir à retardement Face à des titres observés sur une période de trois à cinq ans, les investisseurs réagissent avec trop d’optimisme face à ceux qui ont connu un très bon rendement et croient — à tort ! — que ceux qui ont obtenu des résultats minables continueront de sous-performer.

À plus court terme, toutefois, le marché et les investisseurs semblent apathiques et ne réagissent pas assez rapidement aux bonnes comme aux mauvaises nouvelles.

Ainsi, des chercheurs ont montré que lorsqu’une société annonce une diminution du dividende versé à ses actionnaires, les marchés interprètent ce changement de cap avec trop d’indulgence et ne corrigent pas assez à la baisse le cours de l’action, que ce soit immédiatement ou en quelques jours. Cette baisse n’est pas du tout proportionnelle à la portée réelle de la nouvelle au moment de l’annonce, si bien que le cours continuera à décliner sur plusieurs mois d’affilée.

Lorsqu’une société annonce le rachat d’une partie de ses actions sur le marché, on observe la réaction inverse. Les investisseurs sous-estiment la bonne nouvelle au moment de l’annonce et ne l’intègrent, dans toute sa portée, que très lentement dans le cours de l’action, mettant parfois jusqu’à 12 mois à le faire.

Les investisseurs commettent systématiquement des erreurs dans leur façon de traiter les informations qu’ils reçoivent, et ces erreurs peuvent être mises à profit par d’autres.

Ainsi, certains gestionnaires de portefeuille se contentent d’investir dans les entreprises qui se sont engagées dans un programme de rachat d’actions, et de vendre à découvert les titres qui ont annoncé une réduction ou une suspension de leur dividende, sachant très bien que, dans le premier cas, le marché sous-estime l’importance de la bonne nouvelle, et que, dans le second, il sous-estime les conséquences de la mauvaise nouvelle.

Il s’agit là d’une excellente stratégie pour un fonds de couverture, car la partie du portefeuille vendue à découvert offre une protection contre les corrections sévères du marché lors d’événements totalement imprévus (crise financière mondiale, guerre, etc.)

La clé du succès de ces gestionnaires de portefeuille, qui sont souvent de fins connaisseurs de la psychologie humaine, c’est de pouvoir se retirer à temps et de jouer sur ces erreurs de prévision de façon mécanique, sachant très bien que les détenteurs de titres ne se rendront compte de leur bévue que bien plus tard.

Ceux qui croient à l’efficience des marchés financiers et à leur capacité à intégrer rapidement et intégralement dans le cours des actions toute nouvelle sur les entreprises, positive ou négative, ont raison de se demander pourquoi les occasions de placement nées de ces erreurs de jugement systématiques n’ont pas disparu.

Pourquoi de tels filons n’ont-ils pas été pleinement exploités — et donc, rendus inutilisables —, puisque désormais, tout le monde — ou presque — les connaît ?

La seule réponse qui me paraît logique, c’est que, justement, l’industrie du placement connaît très peu les conclusions les plus solides des recherches universitaires portant sur le monde de la finance, notamment les travaux en finance comportementale.

Les gestionnaires préfèrent encore mettre en application une stratégie qu’ils ont apprise sur le tas, qu’ils ont élaborée dans le secret de leur tour de bureaux et que personne n’est supposé connaître, plutôt qu’une stratégie qui découle d’une recherche universitaire, par définition publique et diffusée à grande échelle.

Pourtant, ce n’est pas parce qu’un savoir, de par sa nature propre, est public et accessible à tous les professionnels que tous ces professionnels agiront en conséquence.

Le contenu de cette chronique a été gracieusement fourni par le cabinet Orientation Finance.

André Gosselin