Prêts pour le CELIAPP !

Par Gérard Bérubé | 28 mars 2023 | Dernière mise à jour le 26 septembre 2023
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À peine vient-il de faire son entrée dans l’univers des fonds fiscalisés que le CELIAPP reçoit déjà le qualificatif d’outil de planification financière remarquable. Institutions et conseillers se réchauffent en vue d’une course à la présence sur le marché.

« Nous serons prêts à l’offrir dès l’été 2023 », assure Éric Sauriol, conseiller principal en assemblage et stratégie d’offre en épargne et placements au Mouvement Desjardins.

« On travaille fort. C’est très complexe comme régime », ajoute-t-il en précisant que l’objectif de l’institution est d’exercer un plein contrôle sur l’offre et sur les systèmes sous-jacents dans un environnement ouvert, impliquant des tierces parties.

« En 2009, lors de l’avènement du CELI, tout pouvait être facilement ficelé. Mais depuis, le développement de l’infrastructure autour de la multiplicité des réseaux est venu compliquer la logistique », précise-t-il.

Cette diversification des modes d’interaction avec le client s’avère gourmande en ressources humaines, techniques et financières. « Avant, c’était une relation conseiller-client en succursale. Avec le numérique, l’univers s’est complexifié sous le coup de la multiplicité des modes de production et de communication. Et le CELIAPP n’est pas un régime simple. »

Éric Sauriol applaudit toutefois l’élimination de la mesure forçant à choisir entre le CELIAPP et le RAP. «Il y a eu une diminution des couches de complexité. Ça réduit aussi le conseil à formuler. C’est un casse-tête de retiré.»

Avec, dans la mire, l’accompagnement de la force de vente, le CELIAPP est venu tester la capacité des institutions à l’implanter dans leurs systèmes dans un temps relativement court. Cela dit, Éric Sauriol entrevoit un délai d’appropriation de la part de la clientèle.

« Le CELIAPP va s’installer progressivement. »Et il fait le pari d’une belle adhésion chez les jeunes. « Ils utilisent déjà davantage le CELI. Le RAP, de son côté, est perçu comme négatif en raison du remboursement obligatoire. »

Marc-Olivier Godbout, conseiller principal en planification financière à la Financière Banque Nationale, ajoute que certaines institutions pourraient ne pas être prêtes au printemps.

D’ailleurs, l’industrie n’a pas été sans multiplier les représentations auprès d’Ottawa afin d’obtenir un aménagement permettant d’ouvrir un compte en 2024 tout en bénéficiant des droits de cotisation accumulés en 2023, une option qui n’a pas été retenue.

« Pour la plupart des cas, le CELIAPP est supérieur et plus efficace. Le RAP est un outil de cash flow, mais avec l’obligation de rembourser. Il n’y a pas de comparaison entre les deux. »

Martin Dupras

Chez les conseillers, Martin Dupras est sans équivoque. « On va être prêts lorsque le produit sera lancé. Au congrès d’octobre dernier de l’Association de planification fiscale et financière, les questions venant de l’auditoire étaient nombreuses. Il y avait un grand intérêt, une soif de connaissance », retient le président de ConFor financiers.

De son côté, Félix Caron se montre plus hésitant. «Il y a beaucoup de particularités et de points-virgules avec le CELIAPP, souligne le conseiller en sécurité financière de Gestion Roger Dubois. Il se peut que l’on doive défaire et repenser nos stratégies passées.»

Mais l’enthousiasme ne démord pas. Pour les personnes admissibles, ouvrir un compte CELIAPP, « c’est LE devoir, LE mot d’ordre en 2023 », avance Félix Caron. Il le voit comme un outil supplémentaire qui permet d’optimiser les finances et la fiscalité des clients. Le conseiller va plus loin. « C’est un game changer ! », lance-t-il. À court terme, il apporte des capitaux supplémentaires, un incitatif de plus sans recourir aux traditionnels RAP et CELI. «Il offre l’avantage des deux sans leurs inconvénients. »

Si Félix Caron a un conseil à donner, «c’est d’ouvrir un compte rapidement et y mettre une cotisation minimale, le solde étant reportable l’année suivante». Il en fait « le nerf de la guerre ».

« J’ai une clientèle jeune, qui n’est pas propriétaire pour la plupart. Ça colle donc très bien. »Au demeurant, comme c’est le cas avec le REER, la déduction de la cotisation peut être reportée et utilisée plus tard, lorsque le revenu du client en début de carrière sera plus élevé. Pour des clients plus âgés admissibles, il y a possibilité de maximiser le REER et le CELI. « Cette clientèle a également avantage à cotiser même si son projet n’est pas d’acheter une propriété. Elle a intérêt à différer l’impôt le plus possible. »

Martin Dupras ajoute qu’on va chercher un potentiel de déduction supplémentaire permettant de ne pas utiliser les droits de cotisation au CELI et au REER, qui vont continuer à s’accumuler. « [Le CELIAPP] va s’avérer un outil de planification financière remarquable. Il faut que le conseiller en parle. Il faut savoir à qui on en parle, à qui on n’en parle pas. »

« Il y a beaucoup de particularités et de points-virgules avec le CELIAPP. »

Félix Caron

LE RAP VA-T-IL MOURIR ?

Une fois le compte ouvert, Éric Sauriol parle d’un régime qui vient répondre à un besoin et corriger les limites du RAP. Ce dernier va-t-il donc mourir ? « Je ne le pense pas. La possibilité de “raper” plus d’une fois demeure. Aussi, je vois le RAP comme complémentaire au CELIAPP, comme une bouée de sauvetage. Malheureusement, la séparation des conjoints au sein d’un couple fait encore partie du réel. »

Marc-Olivier Godbout donne également l’avantage au CELIAPP. Le plafond est plus élevé et, en cadeau, le retrait n’est pas assorti de l’obligation de remboursement. « C’est l’équivalent d’une subvention dans le cas du CELIAPP, d’un prêt dans celui du RAP. »

Il émet cependant un petit bémol à son utilisation conjointe avec des fonds de travailleurs, car du strict point de vue de la liquidité, un RAP fait miroiter le crédit de 30 % à l’achat de ces actions. En revanche, l’attrait des fonds de travailleurs se vérifie davantage pour les personnes près de leur retraite. Pour un jeune contribuable s’ajoute un risque s’étendant sur une plus longue période. « Il ne faut pas voir seulement l’avantage à court terme. Il y a un horizon temporel à considérer. »

Félix Caron acquiesce. À la question consistant à prioriser les cotisations entre les différents comptes fiscaux, « si vous recherchez chaque dollar à court terme, le fonds de travailleurs est à prioriser : 30 % de plus, c’est non négligeable. Il faudra toutefois regarder l’avantage du rendement dans une optique de plus long terme. »

Cette nuance étant, «pour la plupart des cas le CELIAPP est supérieur et plus efficace», reconnaît également Martin Dupras. « Le RAP est un outil de cash flow, mais avec l’obligation de rembourser. Il n’y a pas de comparaison entre les deux. Et oui, on pourra toujours “raper” en cas de divorce, quoique si on est marié en séparation de biens, le REER entre dans le patrimoine familial. Pas le CELIAPP », rappelle-t-il.

Un document de référence1 coécrit par Luc Godbout, titulaire de la Chaire en fiscalité et en finances publiques à l’Université de Sherbrooke, et Natalie Hotte, conseillère principale, Fiscalité, retraite et succession au Trust Banque Nationale, vient résumer cette complémentarité. « [Si un contribuable] a cotisé le maximum de 40 000 $et qu’après un certain nombre d’années, le régime vaut, par exemple 90 000 $, le retrait peut aller jusqu’à 90 000 $. Dans le cas du RAP, il est limité à un maximum de 35 000 $ », peut-on y lire.

En reprenant cet exemple, un particulier pourrait accéder à un montant de 125 000 $pour l’acquisition d’une habitation admissible, soit 90 000 $non remboursable de son CELIAPP et 35 000 $au titre du RAP remboursable sur une période de 15 ans.

« On travaille fort. C’est très complexe comme régime. »

Éric Sauriol

TRANSFERT AU REER, ET VICE VERSA

Autre élément dominant retenu, l’avantage du CELIAPP s’en trouve renforcé par le fait qu’on peut transférer les sommes non utilisées au REER en franchise d’impôt. Ça crée un droit de cotisation excédentaire pouvant atteindre 40 000 $ (et plus, selon le rendement). Pour leur part, les propriétaires de leur logement sont limités à 2 000 $, résume Éric Sauriol. « Et ce 2 000 $n’a pas donné droit à une déduction, alors que ce fut le cas pour le 40 000 $ », enchaîne Martin Dupras.

Résumé simplement, le CELIAPP peut procurer de l’épargne additionnelle qui s’accumule à l’abri de l’impôt jusqu’à son retrait, que le particulier ait cotisé ou non le maximum à son REER.

À l’inverse, l’on peut transférer des fonds d’un REER vers un CELIAPP dont le rentier est titulaire sans conséquences fiscales au moment du transfert. Il faut toutefois retenir que «ces transferts sont possibles pourvu qu’ils ne proviennent pas de cotisations du conjoint qui ont été versées au REER [durant] l’année en cours ou les deux années précédentes. […] Ainsi, le transfert d’un REER au CELIAPP réduit les droits de cotisation CELIAPP sans pour autant récupérer des droits de cotisation REER», lit-on dans le document. Et l’on s’en doute, les montants transférés d’un REER ne sont pas déductibles comme cotisations au titre du CELIAPP, explique-t-il encore.

OPTIMISATION FISCALE

Avec un seul CELIAPP à vie, idéalement, on va vouloir maximiser les 40 000 $. Mais pour Félix Caron, « on dit que la maison est l’achat le plus important d’une vie. Si un projet de propriété se présente… Le contexte économique actuel est défavorable à l’achat d’une propriété, et ce, pour les 12 à 24 prochains mois. Mais si l’occasion se présente dans 24 mois, on y va avec les 16 000 $du CELIAPP, puis le RAP. »

Même réponse du côté de Marc-Olivier Godbout. « Il faut maximiser les cotisations au CELIAPP, mais quand on est prêt REER à entrer sur le marché, on entre. Il y a un effet de market timing. S’il attend, l’accédant risque d’entrer dans le marché alors que l’immobilier s’est apprécié. »

Cela dit, le CELIAPP s’ajoute à une panoplie de comptes fiscalisés qui exhortent à l’optimisation. CELIAPP, REER, CELI, REEE, REEI, fonds de travailleurs… «Il y a tellement d’options d’épargne que si on maximise tout, on ne mange pas pendant trois ans», caricature Martin Dupras.

« Il existe différentes combinaisons possibles, notamment avec le REEE. Il faudra donc hiérarchiser selon les objectifs et l’efficacité fiscale en fonction des objectifs et de la situation de chacun », continue l’expert.

La possibilité de transférer le CELIAPP au REER devient également un défi d’optimisation fiscale lorsqu’on approche de la retraite, avec notamment à surveiller l’incidence sur le Supplément de revenu garanti et sur les crédits d’impôt. « Ça vient bonifier son épargne-retraite et ça revient à mesurer l’efficacité du REER. Il faudra faire des calculs de plu s», retient Martin Dupras.

Mais au-delà du cas par cas… « Oui, des scénarios peuvent être esquissés, entre autres pour le transfert intergénérationnel, alors qu’il existe différentes options de don et d’utilisation du remboursement d’impôt. Ou encore si l’on dispose d’une capacité d’épargne limitée et que l’employeur offre un régime complémentaire de retraite dans lequel il s’engage à cotiser le même montant. Mais dans l’ensemble, je ne vois pas tant de stratégies que cela avec le CELIAPP, résume le président de ConFor financiers. D’autant qu’avec le CELIAPP, on parle de clients qui n’ont pas de maison. »

Dans le passé, nous avons eu droit au régime enregistré d’épargne-logement, né en 1974 pour mourir au feuilleton en 1985, non sans avoir subi au préalable une série de modifications, d’ajustements. Doit-on craindre une répétition d’un tel scénario ? « Le CELIAPP mélange deux régimes existants (REER et CELI) qui ont fait leurs preuves. Il vient corriger les difficultés de l’un et prendre l’avantage de l’autre. Il va trouver sa place dans la panoplie des régimes fiscaux », répond Éric Sauriol.

Gérard Bérubé