Convaincre les indisciplinés d’adopter l’épargne forcée

Par Nathalie Côté | 8 février 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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En matière d’épargne, la discipline est payante. Pour plusieurs clients, rester motivé peut toutefois être difficile. L’épargne forcée est une bonne façon pour eux d’éviter de déroger à leur plan de match. Comment les convaincre d’adopter cette stratégie?

ÉPARGNE OBLIGATOIRE 

Le ­Régime de rentes du ­Québec (RRQ) est plus que de l’épargne forcée, il est obligatoire. Il est financé à la fois par les cotisations des travailleurs et des employeurs. Le ministre des ­Finances ­Carlos ­Leitão a d’ailleurs récemment déposé un projet de loi pour le modifier afin que le taux de remplacement du revenu passe de 25 à 33 %.

Vos clients auront cependant besoin de plus. « C’est une base, mais c’est largement insuffisant pour quelqu’un de la classe moyenne qui voudrait maintenir son train de vie », soutient ­Martin ­Dupras, président de ­ConFor financiers. Il est important de le rappeler à vos clients pour les convaincre d’investir également dans d’autres produits.

75% des travailleurs québécois âgés entre 18 et 44 ans détiennent au moins un produit d’épargne

(Source: ­Sondage annuel 2017 de ­Question ­Retraite)

RÉGIMES DE RETRAITE D’EMPLOYEUR 

En plus du ­RRQ, certains employeurs offrent un régime de retraite à leurs employés. Certains sont obligatoires pour les travailleurs, comme le ­Régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics (RREGOP), mais d’autres, non. L’employeur y cotise seul, ou encore avec le concours du travailleur.

« ­Ce sont des formes de rémunération, tranche M. Dupras. Si le client ne cotise pas à ces ­régimes-là, il laisse de l’argent sur la table [lorsque la cotisation de l’employeur est liée à celle de l’employé]. » ­Les épargnants doivent le réaliser, ­martèle-t-il.

Lorsque la cotisation est prélevée à même la paie, votre client n’a pas à y penser… et il est plus difficile pour lui de reculer.

D’autres régimes sont également offerts en milieu de travail, dans lesquels les versements sont effectués par le travailleur de façon volontaire. L’employeur y cotise parfois, mais pas toujours. Pour convaincre votre client d’y participer, vous pouvez lui faire valoir les frais parfois moins élevés et, surtout, l’avantage d’investir tôt pour profiter de la multiplication des rendements.

  • ­RVER : le régime volontaire d’­épargne-retraite permet aux employés d’avoir accès à un régime collectif et les cotisations sont déductibles du revenu imposable. Lorsque déduites à la source, elles permettent de bénéficier immédiatement de l’économie d’impôt.« ­C’est un produit clé en main et les frais demandés sont moindres que pour d’autres produits », indique ­Jean-François ­Therrien, actuaire en chef à ­Retraite ­Québec.
  • ­REER et ­CELI collectifs : ils sont semblables aux ­REER et ­CELI traditionnels, mais ils permettent souvent d’avoir accès à des frais de gestion moins élevés et à des fonds exigeant un minimum d’actif sous gestion, plus difficiles à obtenir avec un régime individuel. Le ­REER sert à investir des sommes qui sont déductibles du revenu imposable tandis que le ­CELI permet aux économies de croître à l’abri de l’impôt. Comme ils sont prélevés sur la paie par l’employeur, ils incitent à une épargne plus systématique.

« C’est difficile d’interpeller les jeunes, ils ne se voient pas à la retraite. Parler de liberté financière est plus efficace.»

Martin ­Dupras, président de ­ ConFor financiers

AUTRES MÉTHODES D’ÉPARGNE

Pour tout le reste, rien de mieux que les virements automatiques. À l’instar des prélèvements sur la paie, ­ceux-ci permettent d’investir régulièrement dans la majorité des produits financiers. « L’épargne devient un mode de vie et c’est plus facile à prévoir dans un budget qu’une cotisation annuelle », estime ­Gaétan ­Veillette, planificateur financier au ­Groupe ­Investors.

Un avantage à faire valoir à vos clients ! ­Sans compter que le fait d’investir continuellement permet d’amoindrir le risque en profitant de la fluctuation des marchés. Le client profite alors du « coût moyen d’acquisition », c’­est-à-dire qu’en investissant régulièrement, les achats à bas prix compensent ceux à prix plus élevés.

  • REER individuel : permet d’investir certaines sommes qui sont ensuite déductibles du revenu imposable. Les retraits sont toutefois imposables.« ­Trop souvent, les conseillers s’attardent uniquement aux économies d’impôt, déplore M. Veillette. Mais il faut aussi expliquer au client les conséquences sur les programmes sociaux. » ­Pour une famille, par exemple, réduire le revenu imposable peut donner accès à des allocations gouvernementales plus importantes pour les enfants.
  • ­CELI individuel : pour épargner tout en maintenant les rendements à l’abri de l’impôt. Il a l’avantage de pouvoir être retiré facilement au besoin.« C’est intéressant pour la retraite des personnes à revenu modeste, souligne M. Veillette. Comme les retraits ne sont pas considérés comme un revenu imposable, ces individus ne seront pas pénalisés pour le ­Supplément de revenu garanti. » ­Autrement dit, les prestations auxquelles elles pourraient avoir droit ne seront pas réduites ou abolies.
  • ­REEE et ­REEI : le régime enregistré d’­épargne-études et le régime enregistré d’­épargne-invalidité permettent respectivement de mettre de l’argent de côté pour payer les études des enfants et pour assurer l’avenir d’une personne handicapée. Ces régimes offrent des subventions très généreuses, rappelle M. Therrien. Il faut y investir tôt pour en profiter au maximum.

« L’épargne devient un mode de vie et c’est plus facile à prévoir dans un budget qu’une cotisation annuelle.»

Gaétan ­Veillette, planificateur financier au ­Groupe ­Investors

L’ART DÉLICAT DU PRÊT LEVIER 

Emprunter pour investir peut être intéressant si le placement rapporte des rendements supérieurs aux intérêts payés sur le prêt. Et comme votre client est tenu de rembourser son prêt, c’est une forme d’épargne forcée.

Cette stratégie s’adresse généralement à une clientèle plus aisée et plus tolérante au risque. En effet, rien ne garantit que les rendements espérés seront au ­rendez-vous. Le client doit aussi avoir la capacité de rembourser son prêt, puisque l’institution pourrait réclamer son argent immédiatement en cas de baisse de valeur des titres.

Cette stratégie est également moins avantageuse depuis le changement des règles dans les années 1990. « ­Le prêt aux fins d’investissement a tout de même sa raison d’être, souligne M. Veillette. Mais la procédure pour l’approbation est plus complexe qu’avant. »

ACHAT D’UNE MAISON

Pour plusieurs, l’achat d’une maison constitue la principale forme d’épargne forcée. Votre client doit bien rembourser son hypothèque ! ­Mais rares sont les conseillers qui suggèrent d’­eux-mêmes une telle acquisition.

« ­En général, le conseiller ne va pas recommander ou déconseiller l’acquisition, le client arrive avec sa décision, indique M. Dupras. C’est une question de style de vie. »

Le choix d’habiter en appartement ou dans une maison étant en effet bien personnel, le professionnel en services financiers peut difficilement imposer un mode de vie à son client. Lorsqu’on est propriétaire, on est libre de faire ce que l’on veut chez soi, mais on est aussi responsable de l’entretien.

« ­Le conseiller doit ensuite travailler afin de tirer le maximum pour son client », ajoute M. Dupras. Il s’assurera donc de trouver l’hypothèque ou les outils d’investissement qui correspondent le mieux à ses besoins.

D’AUTRES AVANTAGES

Quelle que soit la stratégie de votre client, ­rappelez-lui qu’investir régulièrement et systématiquement atténue aussi le risque. « ­On ne peut pas toujours être chanceux, mais on ne sera pas toujours malchanceux non plus », indique M. Veillette.

Il recommande également de montrer au client des projections de l’évolution de son patrimoine. Il pourra constater à quel point les efforts fournis maintenant seront payants!

TROIS ERREURS À ÉVITER 

  • Trop mettre de pression sur le client. « ­Si on le pousse à épargner ­au-delà de sa capacité, il va abandonner ses engagements », juge ­Gaétan ­Veillette.
  • Utiliser l’expression « épargne forcée ». « ­Le mot « forcée » n’est pas un terme très porteur », note ­ Martin ­Dupras. Il suggère de parler davantage d’épargne systématique ou de discipline.
  • ­Se concentrer sur la retraite. « C’est difficile d’interpeller les jeunes, ils ne se voient pas à la retraite, constate M. Dupras. Parler de liberté financière est plus efficace. »

• Ce texte est paru dans l’édition de février 2018 de Conseiller. 

Nathalie Côté