Les pièges de l’assurance vie universelle

Par Jean-François Venne | 9 février 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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L’assurance vie universelle ne fait pas l’unanimité. Produit de niche s’adressant à une clientèle très bien nantie dans le cadre d’une planification successorale, elle est souvent vendue comme outil de placement à des gens sans besoin d’assurance.

« On entend dire depuis très longtemps qu’il se vend trop d’assurance vie universelle au Québec, note l’avocat Yvan Morin, vice-président, affaires juridiques et chef de conformité à MICA Cabinets de services financiers. Ce n’est pas un mauvais produit, mais il est souvent mal utilisé ou incompris. »

Les planificateurs financiers et conseillers en sécurité financière s’entendent généralement pour dire que l’assurance vie universelle s’adresse à moins de 5 % de la population. Or, à la fin de 2015, selon les plus récentes données de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP), elle représentait 23,3 % de l’ensemble de l’assurance vie individuelle en vigueur au Canada. C’est donc dire, selon nos estimations, qu’environ 10,7 % des Canadiens âgés de 18 ans et plus en détiennent une.

Chantal Vachon, planificatrice financière, conseillère en sécurité financière et représentante en épargne collective de Laval, affiliée à SFL, estime qu’entre 20 et 25 % de sa clientèle possède une assurance vie universelle. Toutefois, ce produit ne représente aujourd’hui qu’environ 5 % de ses ventes. « J’ai racheté une clientèle dont plusieurs clients détiennent une police d’assurance vie universelle achetée il y a longtemps, explique-t-elle. Je crois qu’il s’en vendait trop dans les années 1990. C’est beaucoup moins fréquent maintenant. »

Chantal Vachon

Reste que ce produit peut avoir son utilité. Chantal Vachon apprécie notamment la flexibilité de la durée de paiement des primes. « Une assurance payable sur 20 ans représente un coût élevé et tous les clients ne sont pas prêts à payer ce montant annuellement, souligne-t-elle. Si l’on utilise une assurance vie universelle avec une prime minimale pour un payable à vie, rien n’empêche le client, dans une bonne année, de payer des montants supplémentaires, ce qui lui permettra de libérer la police plus rapidement ou de capitaliser. »

UNE ASSURANCE, PAS UN INVESTISSEMENT

« C’est un produit d’assurance, une protection, et non un outil d’investissement, rappelle Yvan Morin. Il ne faut le recommander qu’à des gens qui ont un besoin d’assurance. »

Une fois déterminé le besoin de protection, il faut établir si l’assurance vie universelle est le produit adapté, ce qui est rarement le cas. Cette police s’adresse généralement à des gens fortunés, qui ont cotisé au maximum aux autres produits fiscalement avantageux comme le REER, et souhaitent investir de l’argent à l’abri de l’impôt pour leur succession.

« Le REER donne un report d’impôt, mais offre aussi un crédit d’impôt remboursable, illustre Yvan Morin. Le REEE permet de toucher des subventions. Et le CELI met les gains à l’abri de l’impôt. Ce sont des outils de placement plus intéressants que l’assurance vie universelle. Cette dernière peut constituer un complément ou faire partie d’une stratégie bien précise. »

Pour lui, les trois questions de base à poser pour déterminer si l’on peut envisager l’assurance vie universelle sont :

  • Le client a-t-il un besoin d’assurance vie ?
  • Le client a-t-il utilisé les autres outils d’investissement fiscalement avantageux ?
  • Le client souhaite-t-il léguer de l’argent à la succession ?

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« On entend dire depuis très longtemps qu’il se vend trop d’assurance vie universelle au Québec. Ce n’est pas un mauvais produit, mais il est souvent mal utilisé ou incompris. »

– Yvan Morin

Ce dernier point est d’une importance cruciale. L’assurance vie universelle peut s’avérer plus avantageuse que les REER et CELI pour un legs à l’abri de l’impôt. Notamment parce que le rendement est généralement supérieur au coût de la prime. Cependant, elle n’est pas un bon produit pour les investisseurs souhaitant utiliser les fonds de leur vivant.

« Nous ne vendons pas d’assurance vie universelle comme outil de placement, indique Daniel Guillemette, président de Diversico, Experts-conseils. Nous n’y croyons pas. Les consommateurs pensent qu’ elle permet d’accumuler de l’argent à l’abri de l’impôt, mais la réalité est plus complexe. Il y a des coûts cachés. »

De fait, une taxe provinciale de 3,3 % (ce nouveau taux est entré en vigueur en janvier 2017) s’applique aux primes d’assurance vie, y compris sur la portion investissement d’une police universelle. La compagnie d’assurance doit par ailleurs payer un impôt de 15 %, fédéral cette fois, sur les revenus de placement bruts annuels de la police, qui sera en grande partie absorbé par l’assuré. Et si celui-ci souhaite retirer de l’argent de son vivant, les sommes prélevées deviennent imposables en vertu d’un calcul complexe effectué par la compagnie d’assurance, fondé notamment sur le coût de base rajusté (CBR). Cette dernière imposera aussi des frais de retrait assez élevés sur les sommes retirées de la police pendant les dix premières années. On est très loin de l’abri fiscal de rêve !

« Souvent, les demandes d’enquête soumises à la Chambre démontrent que les clients ne comprennent pas bien l’assurance vie universelle et que les explications sur ce produit sont insuffisantes. »

Julie Chevrette

UN PRODUIT RISQUÉ (POUR VOUS AUSSI !)

Proposer une assurance vie à un client sans s’assurer qu’il s’agit d’un produit correspondant à ses besoins ne comporte pas seulement des risques pour l’assuré, mais aussi pour le conseiller. En effet, il n’est pas rare que cela mène à une plainte en bonne et due forme, et à une sanction.

Mathieu Lachapelle

Mathieu Lachapelle

La Chambre de la sécurité financière (CSF) reçoit régulièrement des plaintes de clients regrettant d’avoir contracté une assurance vie universelle. « Souvent, les demandes d’enquête soumises à la Chambre démontrent que les clients ne comprennent pas bien l’assurance vie universelle et que les explications sur ce produit sont insuffisantes, souligne la directrice des communications de la Chambre, Julie Chevrette. Les clients peuvent se plaindre plusieurs années après l’achat, lorsqu’ils n’arrivent plus à payer la prime, en raison de projections de rendement irréalistes. »

Cette difficulté démontre le besoin de bien expliquer le produit aux clients, avance Mathieu Lachapelle, associé et directeur gestion des risques et stratégies d’assurance au cabinet SFL d’Iberville, à Laval.

« C’est un produit complexe, notamment en raison des frais, des taxes, des sommes qui sont garanties ou pas, dit-il. Nous comparons généralement l’assurance vie universelle à d’autres options, comme une T100 ou une vie entière, afin d’aider notre client à comprendre les avantages et inconvénients de chaque produit. C’est crucial de prendre le temps et de suggérer ce produit pour les bonnes raisons. »

De manière générale, les infractions portées devant le comité de discipline de la CSF relatives à l’assurance vie universelle touchent principalement :

  • L’analyse des besoins financiers absente ou mal exécutée;
  • La non-convenance du produit, la transaction qui n’est pas faite dans l’intérêt du client, le remplacement injustifié, le fait de ne pas avoir favorisé le maintien de la police existante, le défaut de respecter le mandat du client;
  • La mauvaise compréhension du produit.

Et si la commission provenant de la vente d’une telle police est particulièrement généreuse au départ, le risque est plus important à long terme pour le conseiller. La commission est généralement calculée en prélevant un pourcentage de la prime payée par l’assuré. Pour une assurance vie temporaire, elle avoisinera les 40 % de la prime de la première année. Ce taux grimpe à environ 45-50 % dans la vie entière, et pourra dépasser 60 % avec la vie universelle.

À cela s’ajoute un boni pouvant atteindre 200 % de la commission de première année, payable dès la vente, et une commission dite « de service » ou « de renouvellement », laquelle revient chaque année que le conseiller continue de servir le client. Cette dernière peut avoisiner les 5 % lors des cinq premières années, puis descendre aux alentours de 0,25 % par année. Fait à noter, les agents généraux conservent une partie du boni et reçoivent fréquemment des commissions de service plus importantes que celles des conseillers.

« Pourtant, déplore Daniel Guillemette, c’est le conseiller qui est responsable devant la loi, et non l’agent général. » Une commission d’environ 5 % peut aussi être payée au conseiller si l’assuré fait un dépôt additionnel dans un compte de placement.

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Cette rémunération fait de l’assurance vie universelle un produit attrayant pour les conseillers, expliquant peut-être une certaine partie des ventes jugées non pertinentes. Mais c’est une erreur pour les conseillers de ne voir que la commission, prévient Daniel Guillemette. daniel_guillemette_100x150

« Le conseiller touche une commission généreuse à la vente, mais demeure ensuite responsable de ce client pendant de nombreuses années. Il doit revoir régulièrement les stratégies d’investissement avec le client. S’il ne fait pas bien son travail, il pourrait bien se retrouver devant un juge ! »

– Daniel Guillemette

« L’assurance vie universelle a toujours été la plus payante pour les conseillers, concède-t-il. Le conseiller touche une commission généreuse à la vente, des bonis et des commissions de suivi, mais demeure ensuite responsable de ce client pendant de nombreuses années. Il doit revoir régulièrement les stratégies d’investissement avec le client. S’il ne fait pas bien son travail, il pourrait bien se retrouver devant un juge ! »

DES MODIFICATIONS FISCALES QUI CHANGENT LA DONNE

Déjà réservée à une clientèle restreinte, l’assurance vie universelle pourrait souffrir de l’entrée en vigueur, dès 2017, de changements fiscaux. Ces derniers visent à refléter l’allongement de l’espérance de vie des Canadiens et des perspectives de rendement plus réalistes. Le gouvernement signifie aussi, avec ces modifications, sa volonté de voir les produits d’assurance utilisés comme protection, plutôt que comme abri fiscal.

Il a notamment modifié le critère visant à déterminer si une police d’assurance vie est exonérée. Le coût net d’assurance pure d’une police sera désormais calculé à partir de la table de mortalité de 1986-1992 de l’Institut canadien des actuaires, plutôt que celle de 1969-1975. Le taux d’intérêt utilisé baissera de 4 à 3,5 %, et le moment de la dotation grimpera de 85 à 90 ans.

C’est donc dire que le test d’exonération se fera en se basant sur une prime de référence payée en huit ans, et non vingt, dont la valeur de rachat est égale à la prestation de décès à 90 ans (plutôt que 85 ans). Les frais de rachat seront désormais inclus dans le fonds accumulé, et l’assurance à prime unique sera interdite.

Ces nouvelles règles augmentent le coût de base rajusté, réduisant ainsi la partie imposable lors de la disposition. Toutefois, elle diminue aussi l’épargne maximale pouvant être générée. Cela pourrait affecter les propriétaires d’entreprises qui utilisent l’assurance vie universelle en faisant payer les primes par la société et en la désignant comme bénéficiaire. Dans une telle approche, le capital d’assurance vie, moins le CBR, est versé dans un compte de dividende en capital de la compagnie. Cette dernière peut attribuer à un actionnaire un dividende en capital libre d’impôt.

« Il faudra désormais attendre beaucoup plus d’années pour atteindre un même montant de capital pouvant être versé, libre d’impôt, à un actionnaire, explique le conseiller en fiscalité Patric Saint-Onge, du cabinet Corriveau Saint-Onge. Les processus d’extraction de l’argent d’une telle police deviennent moins attrayants. »

Pour Mathieu Lachapelle, ces changements fiscaux signifient qu’il faudra revoir plusieurs stratégies. « Il va falloir repositionner le produit d’assurance vie universelle, avance-t-il. Par exemple, on sait qu’il n’y aura plus d’avantages stratégiques à utiliser des paiements limités de type « vie 10 » dans une police d’assurance vie universelle. Il faudra revoir l’utilisation des différents produits d’assurance en fonction des nouvelles règles et des besoins de nos clients. »

Et si le Québec devait imiter l’Australie et imposer la commission nivelée, cela pourrait sonner le glas de l’assurance vie universelle, croit Daniel Guillemette. « Les assureurs ne seront pas capables de payer des commissions nivelées pour ce produit, contrairement à la vie entière, croit-il. Ils peinent déjà à atteindre le niveau de rentabilité exigé par les marchés financiers avec ce type d’assurance, notamment en raison de la faiblesse des taux d’intérêt, et les nouvelles règles fiscales viennent empirer cette situation. Comme les agents généraux reçoivent déjà la majeure partie de la commission récurrente prévue dans ces produits, il n’y a plus d’argent supplémentaire pour les conseillers. »

Les jours de l’assurance vie universelle seraient-ils comptés ?


• Ce texte est paru dans l’édition de février 2017 de Conseiller.

Jean-François Venne