Quand la prudence devient risquée

Par Nathalie Côté | 8 février 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Brian Jackson / 123RF

Les taux d’intérêt sont faibles et les Canadiens doivent s’adapter, avertissait cet automne le gouverneur de la Banque du Canada, Stephen Poloz. Quels pièges doivent éviter vos clients ?

Une bonne partie du travail du conseiller consiste à éduquer ses clients pour leur éviter de tomber dans certains pièges, comme de s’appauvrir par excès de prudence.

« Les bas taux d’intérêt actuels sur les dépôts mènent à l’appauvrissement du déposant, déplore Gaétan Veillette, planificateur financier au Groupe Investors. Un changement de culture chez les déposants est souhaitable. Ainsi, ils doivent convertir leur politique de dépôt en une de placement (ou un hybride des deux). Un faible rendement accroît le risque d’épuisement du patrimoine et de diminution du pouvoir d’achat à la retraite. »

Afin de permettre à ses clients de mieux visualiser le risque, il utilise un logiciel pour établir un scénario pessimiste. « Survivre à son patrimoine est un risque beaucoup plus grand que la variation du capital », lance-t-il. C’est ce que le conseiller doit montrer à son client.

« Le certificat de dépôt est le placement le plus en demande par la clientèle la moins informée, ajoute Fabien Major, associé principal et fondateur de Major Gestion Privée, succursale de Gestion financière Assante. Souvent, cette clientèle compartimente les choses en deux : les certificats de dépôt et la Bourse. C’est comme s’il n’y avait rien entre les deux. Le défi, c’est de leur montrer qu’il y a tout un monde entre les deux. En utilisant les certificats de dépôt, avec les bas taux et l’impôt, on s’appauvrit. » gaetan_veillette_150x150

« Les bas taux d’intérêt actuels sur les dépôts mènent à l’appauvrissement du déposant. »

– Gaétan Veillette, planificateur financier au Groupe Investors

PLUS DE RISQUES ?

Le conseiller a aussi intérêt à bien expliquer les avantages de la diversification. « Si la personne à l’approche de la retraite a une portion assez sécuritaire dans son portefeuille, par exemple, elle doit la diversifier et la décomposer dans toutes sortes de choses, estime M. Major. Elle peut commencer à investir dans le marché obligataire international. Les taux d’intérêt peuvent être bas au Canada, mais un peu plus élevés ailleurs. »

Ainsi, le conseiller peut amener son client à prendre un produit un peu plus risqué (et payant !) que ce qu’il aurait choisi spontanément au départ, tout en respectant son profil d’investisseur. « Pour sensibiliser les clients aux bienfaits de la diversification et au fait que l’on peut avoir des placements en actions intéressants, mais pas trop risqués, je leur parle des banques, explique M. Major. Est-ce que votre argent est en sécurité à la banque  ? Ils disent oui. Donc c’est probablement sécuritaire si vous détenez des actions de la banque. »

Il fait ensuite comprendre aux clients que le rendement est plus élevé et l’imposition moindre que pour un certificat de dépôt. Il cite également en exemple les placements des grandes caisses de retraite pour qu’ils réalisent l’importance de la diversification.

Mathieu Ducharme

Mathieu Ducharme

RESPECTER LE PROFIL D’INVESTISSEUR

Mais attention! Le conseiller doit toujours s’assurer que cela convient à la situation personnelle de son client. « Un danger, c’est la conversation de réunion familiale, illustre Mathieu Ducharme, planificateur financier banque privée à RBC. Le beau-frère parle de ses rendements et le client en conclut qu’il devrait prendre plus de risques. Comme conseiller, il faut le ramener à la base, à son profil d’investisseur et à son objectif initial. Nous avons un devoir de conseil. » Si le conseiller ne tient pas compte du profil de son client, il s’expose au mécontentement de ce dernier et à une plainte à l’Autorité des marchés financiers, rappelle-t-il.

De plus, mieux le conseiller connaît son client, plus il pourra proposer des solutions qui répondent à ses besoins. « Les jeunes, par exemple, ont beaucoup de temps avant la retraite, mais leur situation peut évoluer très rapidement », note M. Major. Ils peuvent notamment changer d’emploi, se lancer en affaires ou fonder une famille. « J’ai conçu pour mes clients un questionnaire en complément du profil d’investisseur, explique-t-il. Ma question-clé, c’est : « Qu’est-ce qui pourrait faire en sorte que vous changiez d’idée quant à votre horizon d’investissement ? » »

PROTÉGER CONTRE L’ENDETTEMENT

Les bas taux d’intérêt peuvent aussi avoir des effets sur l’endettement. En effet, il peut être tentant, par exemple, de prendre une très grosse hypothèque, sans mesurer la position de vulnérabilité dans laquelle on se place alors face à une hausse éventuelle.

Les conseillers devraient s’attarder sur cet aspect, croit M. Veillette. « Lorsqu’on dépasse le ratio de 3,3 fois le revenu brut familial pour l’ensemble des dettes du couple, c’est beaucoup, estime-t-il. S’il y a un coup dur comme une perte d’emploi ou une maladie, le revenu d’un seul des membres du couple sera peut-être insuffisant pour assumer les frais de l’habitation. »

98 % de la hausse de l’actif confié aux sociétés de courtage était attribuable aux actions et aux fonds d’investissement au troisième trimestre de 2016

Source : Institut de la statistique du Québec

Il suggère également d’expliquer aux clients les avantages et inconvénients des termes hypothécaires à taux fixes et variables. « Si le client veut se protéger d’une hausse des taux d’intérêt, il peut modifier son terme hypothécaire, souligne M. Veillette. Si 30 mois se sont écoulés sur un terme de 60 mois, il peut demander un nouveau terme de 60 mois à taux fixe. Ainsi, la hausse éventuelle ne l’affectera pas pour cette période. » Évidemment, il faut aussi tenir compte des pénalités !

Toujours sur le thème de l’endettement, votre client pourrait bénéficier d’une consolidation de dettes. La marge de crédit est un outil intéressant pour y parvenir si les fonds le permettent, note M. Veillette.

Bien sûr, protéger votre client contre l’endettement n’empêche pas de lui faire profiter de certaines opportunités. « Compte tenu des très bas taux, on pourrait être moins empressé dans le remboursement de l’hypothèque, illustre

M. Ducharme. La question, si le client a des liquidités, est de savoir quelle sera la meilleure utilisation : rembourser une dette ou les placer ? »

TROUVER LES BONS MOTS

Certains clients peuvent être prompts à faire porter le blâme à leur conseiller pour la piètre performance de leur portefeuille. Il n’est pas toujours facile de les ramener à la raison lorsque les émotions prennent le dessus.

« ­La première chose à faire, c’est d’écouter les préoccupations de son client, croit M. Veillette. À travers cela, il va nous donner des indications sur sa zone de confort, ses expériences, ses attentes, etc. Le conseiller pourra mieux réagir ensuite. » ­Le meilleur argument, à son avis, c’est de montrer les historiques à long terme. « ­La personne réalise l’évolution du patrimoine par type d’actif », ­note-t-il.

Même si ce n’est pas toujours facile, il est important de garder son calme. « ­La gaffe principale, c’est de suivre l’émotion du client et de se retrouver avec une escalade dans le ton, estime M. Major. Je pense qu’il faut l’inviter à avoir un contact en personne pour lui montrer ce qu’il en est. On peut faire des parallèles avec des choses qu’il comprend aisément, comme la valeur de sa maison. Elle peut baisser, mais la brique est toujours là, on ne l’a pas perdue. »

S’il peut être tentant de couper la communication lorsqu’un client est trop émotif, mieux vaut l’éviter. « ­Il ne se calmera pas tout seul, fait valoir M. Major. Il risque d’aller parler à quelqu’un d’autre qui sera calme, lui donnera des informations et communiquera avec lui. Là, vous venez de perdre votre client. »

À bon entendeur  !


• Ce texte est paru dans l’édition de février 2017 de Conseiller

Nathalie Côté