Risques et obligations de l’administrateur d’une société

Par Andrew Neven | 11 octobre 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Photo : bolina / 123RF

Les obligations auxquelles les administrateurs d’une société par actions (­ci-après « société ») doivent se soumettre sont souvent méconnues des entrepreneurs. S’ils ne les respectent pas, les autorités fiscales peuvent engager la responsabilité personnelle des administrateurs pris en défaut, sous réserve de certaines conditions.

La croyance populaire au sujet du « voile corporatif »

Plusieurs dirigeants de société se croient protégés personnellement contre tout créancier. Cette croyance découle du concept de voile de la personne morale (« voile corporatif ») qui, selon l’article 309 du ­Code civil du ­Québec (C.c.Q.), distingue une personne morale (société) de ses membres (actionnaires). Ce principe essentiel aux droits des affaires du ­Québec permet donc aux actionnaires d’une société de limiter leur imputabilité face aux obligations de la société, sous réserve de diverses exceptions prévues par différentes lois.

Bien qu’il existe un « voile corporatif » uniquement pour les actionnaires, nombreux sont les entrepreneurs exploitant une société qui ne font pas la distinction entre actionnaire et administrateur. Or, les risques et les obligations les plus souvent méconnus des dirigeants de ­PME sont ceux touchant le rôle d’administrateur.

Un administrateur, qu’­est-ce que ça mange en hiver ?

Les actionnaires des sociétés régies par la ­Loi sur les sociétés par actions (LSAQ) ou la ­Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA) ont le devoir de nommer des administrateurs qui seront responsables de la supervision et de la gestion générale des activités de l’entreprise.

En acceptant ce rôle, l’administrateur s’engage à remplir son mandat tout en respectant les obligations fixées par la ­LCSA, la ­LSAQ, le C.c.Q et diverses lois particulières. Dans les ­PME, les administrateurs de la société sont généralement ses actionnaires et/ou des personnes proches de ­ceux-ci.

Les obligations d’un administrateur incluent, entre autres, le devoir de loyauté et d’honnêteté, celui de prudence et de diligence, la responsabilité relative au versement des salaires aux employés, la responsabilité des dettes de la société en cas de fusion et la responsabilité environnementale. Toutefois, la responsabilité fiscale constitue, en pratique, l’obligation la plus concrète et la plus risquée pour un administrateur. ­

Celle-ci découle du principe que « toute personne qui déduit, retient ou perçoit un montant en vertu d’une loi fiscale est tenue de payer au ministre un montant égal à celui qu’elle est tenue de remettre en vertu de cette loi » (Loi sur l’administration fiscale, LAF). Parmi ces lois fiscales, notons la taxe sur les produits et services (TPS), la taxe de vente du ­Québec (TVQ) et les diverses lois associées aux déductions à la source (DAS). Ainsi, lorsque la société agit à titre de mandataire pour les autorités fiscales, cette dernière se doit de leur remettre ces montants, à défaut de quoi les administrateurs pourraient devoir débourser cette somme personnellement et solidairement en vertu de l’article 24.0.1 LAF. Ce droit de dernier recours est toutefois valide uniquement sous certaines conditions.

Conditions permettant d’exiger le paiement par un administrateur

L’article 24.0.1 de la LAF prévoit trois situations différentes lors desquelles les autorités fiscales peuvent engager la responsabilité des administrateurs :

  • ­Lorsqu’un bref d’exécution ordonnant la saisie des biens de la société pour payer une dette fiscale est rapporté insatisfait en totalité ou en partie à la suite d’un jugement rendu en vertu de l’article 13 ;
  • Lorsque la société fait l’objet d’une ordonnance de mise en liquidation ou a fait faillite au sens de la ­Loi sur la faillite et l’insolvabilité et qu’une réclamation est produite par les autorités fiscales ;
  • Lorsque la société a entrepris des procédures de liquidation ou de dissolution, ou qu’elle a fait l’objet d’une dissolution.

Dans l’arrêt ­Canada (procureur général) c. McKinnon, la ­Cour d’appel fédérale souligne que la responsabilité d’un administrateur en cas de défaut n’est engagée qu’une fois les conditions prévues au paragraphe 227.1(2) de la ­Loi de l’impôt sur le revenu (LIR, similaire à l’article 24.0.1 LAF) réunies.

Or, tout récemment, le juge ­Daniel ­Bourgeois, de la ­Cour du ­Québec, a accueilli l’appel du contribuable dans l’affaire ­Archambault c. Agence du revenu du ­Québec puisque ­Revenu ­Québec n’a pas respecté les conditions prévues avant d’émettre une réclamation à un administrateur.

En effet, l’agence a livré une lettre à l’intention d’un des trois administrateurs directement à son domicile, indiquant sa volonté de le tenir personnellement responsable des dettes de la société et d’exiger de lui un paiement. Toutefois, comme le juge ­Bourgeois a évoqué, avant de pouvoir le faire, il faut que les autorités fiscales s’assurent que la société ne possède aucun bien pour régler la dette et que tous les recours possibles ont été épuisés envers elle. Cette obligation est légalement atteinte au moment où un bref d’exécution envers elle est rapporté insatisfait, en totalité ou en partie.

Dans le cas présent, le bref d’exécution a été envoyé directement à l’un des administrateurs et non au siège social de la société, et ce, malgré le fait que l’adresse qui y était inscrite était celle de la société.

Revenu ­Québec se défend en expliquant que les deux autres administrateurs n’étaient pas en position de payer la dette fiscale et que les efforts de perception devaient se faire envers cet administrateur.

Or, le ­Code de procédure civile exige que le document émettant une notification à une personne morale soit déposé à son siège social ou, s’il est à l’extérieur du ­Québec, à l’un de ses établissements au ­Québec. Dans le cas présent, le siège social de la société se situait au ­Québec. Le juge en a ainsi conclu qu’en déterminant vers quel administrateur il valait mieux diriger le recours, ­Revenu ­Québec a analysé le dossier de perception en fonction de sa propre gestion du risque plutôt qu’à la lueur des règles.

À noter cependant que si le bref d’exécution est émis à l’égard d’une société dont le siège social et l’adresse n’existent pas, de nouvelles instructions peuvent être données à l’huissier afin qu’il se dirige vers l’adresse des administrateurs de la société, tel que cité dans la décision ­Lapointe c. Québec.

Une décision similaire à celle de l’affaire ­Archambault a récemment été rendue par la ­Cour canadienne de l’impôt. Dans ­Custodio c. La ­Reine, le juge a accueilli l’appel du contribuable puisque le paragraphe 227.1(2) de la ­LIR, l’équivalent de l’article 24.0.1 LAF, n’a pas été respecté. Un certificat précisant la somme dont est responsable la société et s’il y a eu défaut de paiement total ou partiel doit en effet être enregistré à la ­Cour fédérale. Or, cela n’a pas été fait et aucun bref de ­saisie-exécution ou ­procès-verbal de carence du huissier n’a été déposé, rendant l’avis de cotisation émis à l’administrateur caduc.

Exemption prévue par la loi

Comme mentionné au paragraphe 227.1(3) ­LIR et à l’article 24.0.2 LAF, lorsqu’un administrateur agit avec le soin qu’une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables pour prévenir le manquement, la cotisation à l’égard de l’administrateur ne s’applique pas.

Dans une situation donnée, il est toutefois difficile d’évaluer le degré de « diligence raisonnable » d’un administrateur. Plusieurs faits, gestes et intentions peuvent faire en sorte qu’elle soit interprétée différemment par les autorités fiscales.

Il existe de nombreuses décisions à cet effet. Cependant, à ce jour, la jurisprudence applicable demeure celle de la ­Cour d’appel fédérale dans R. c. Buckingham. Dans cette cause, la norme pour mesurer la diligence, l’habileté et le soin requis pour recourir à une défense de diligence raisonnable est devenue purement « objective ».

Le fardeau de la preuve pour l’administrateur est basé sur ses efforts visant à assurer les paiements en temps opportun. Il existe une multitude de gestes qu’il peut poser pour ce faire, par exemple :

  • Exiger que les dirigeants de la société effectuent une mise à jour régulière au conseil d’administration afin de s’assurer de la remise des taxes et des ­DAS ;
  • Apporter des fonds additionnels pour soutenir la société lors de difficultés financières ;
  • Remettre des chèques postdatés afin de s’assurer que les paiements soient effectués aux autorités fiscales.

Selon ­Fox c. La ­Reine, l’administrateur se doit d’effectuer des efforts en tout temps afin d’éviter que l’entreprise ne commette des manquements, et il n’est pas admissible qu’il rembourse ses créanciers avant les autorités fiscales pour maintenir l’entreprise en vie, à moins que l’historique des remises d’argent de la société soit irréprochable et qu’une multitude de mesures soient prises par l’administrateur afin de rembourser la dette fiscale, comme dans l’affaire R. c. Campbell.

Finalement, rappelons que le ministre ne peut exiger une cotisation à un administrateur à l’égard d’un montant visé à l’article 24.0.1 LAF deux ans après la date à laquelle ­celui-ci cesse d’être un administrateur de la société. Il est donc primordial qu’un individu qui ne siège plus à un conseil d’administration rédige une lettre à cet effet, demande son retrait auprès du ­Registraire des entreprises du ­Québec et cesse d’agir à titre d’administrateur.

Deux questions que le conseiller en sécurité financière devrait poser à son client: 1 Pour protéger un administrateur contre des créanciers, ­a-t-on pensé à lui suggérer de nommer comme bénéficiaire désigné d’un contrat d’assurance vie son époux ou conjoint uni civilement, son ascendant (père ou mère), ou son descendant afin de rendre insaisissables les droits conférés par le contrat d’assurance, conformément à l’article 2 457 du C.c.Q. ?

2 Si un tel contrat est doté d’un volet placement, ­a-t-on pensé à y transférer des sommes afin de les rendre insaisissables, selon les limites permises par la ­Loi de l’impôt sur le revenu ?

Jean-Guy Grenier, BAA, CMC, Adm.A, Pl. Fin., est expert associé au centre financier SFL des Sources.

Andrew ­Neven, ­CPA, ­CA, M. Fisc, est conseiller en fiscalité chez ­Demers ­Beaulne.


• Ce texte est paru dans l’édition d’octobre 2018 de Conseiller. Vous pouvez consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Andrew Neven