Transfert de clientèle en bloc : injustice réparée?

Par Daniel Guillemette | 4 février 2020 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Ma dernière chronique parue dans le magazine Conseiller, intitulée « Transfert en bloc : injustice pour l’épargne collective », a suscité de vives réactions et engendré des conversations fort intéressantes qu’il me fait plaisir de partager avec vous.

J’y expliquais que si un conseiller en sécurité financière souhaite transférer ses affaires d’un agent général vers un autre, il peut le faire sans devoir rencontrer ses clients un à un pour leur faire signer des documents administratifs, ce qui ne m’apparaissait pas être le cas en épargne collective.

LE TRANSFERT EN BLOC PERMIS?

Un conseiller préférant conserver l’anonymat (signe qu’il s’agit d’un sujet chaud!) m’a indiqué que mon interprétation de la réglementation liée aux transferts de clientèle en bloc en épargne collective était erronée. Après relecture de l’article 14.11 du Règlement 31-103 sur les obligations et dispenses d’inscription et les obligations continues des personnes inscrites, il semble en effet que j’étais dans l’erreur.

Il m’a gentiment fait remarquer que la source de ma mauvaise interprétation était l’exemple présenté par l’Autorité des marchés financiers (AMF) sur son site web, où on y décrit deux conditions qui rendent possible un transfert en bloc de comptes clients sans tenir compte de l’expression « ou de céder tout ou partie du compte d’un client » qu’on retrouve à l’article 14.11 du Règlement :

« La société inscrite qui se propose de vendre ou de céder tout ou partie du compte d’un client à une autre personne inscrite fournit des explications écrites au client avant la vente ou la cession et l’informe de son droit de fermer son compte. »

En termes simples, vous n’avez pas le droit de transférer vos clients autrement qu’en les rencontrant un à un, mais votre firme de courtage en épargne collective actuelle peut « céder tout ou partie d’un compte client » à une autre firme de courtage au moyen d’un simple avis écrit qui respecte les conditions énumérées à l’article 14.11. Ceux parmi vos clients qui ne veulent pas vous suivre vers la nouvelle firme n’auront qu’à manifester leur désaccord.

Si certains de mes contacts issus de firmes de courtage ont semblé en désaccord avec cette interprétation, sachez que je connais des conseillers qui ont réussi à la faire appliquer avec succès.

ÇA SE PASSE COMMENT?

Dans sa forme actuelle, la réglementation vous oblige donc à obtenir l’étroite collaboration de la firme que vous quitterez. Si ses dirigeants sont frustrés par votre départ et que vous n’avez pas pris de bonnes précautions préalables, vous n’aurez d’autre choix que de transférer vos comptes clients un à un.

Vous perdrez ainsi de nombreuses semaines à ne faire rien d’autre que de remplir de la paperasse, presque identique à celle que vous avez déjà fait remplir et signer à vos clients à l’ouverture de leur compte. Vous perdrez aussi beaucoup d’argent au profit de la firme que vous quitterez puisqu’elle conservera vos commissions tant que les dossiers n’auront pas été transférés au nouveau courtier.

Quelles précautions devriez-vous prendre immédiatement, même si vous n’envisagez pas de changer de firme dans un quelconque avenir?

Nous vous suggérons de négocier immédiatement l’ajout d’un addenda au contrat de distribution que vous avez signé avec votre firme de courtage, dans lequel elle s’engagera à faire le nécessaire pour vous accompagner si vous décidez éventuellement de transférer votre clientèle ailleurs.

QUE METTRE À L’ADDENDA?

Les éléments suivants devraient figurer à votre nouvelle entente :

  • La firme reconnaît que les relations clients vous appartiennent en propriété exclusive;
  • Elle admet votre droit de changer de firme unilatéralement, sans motif ni compensation;
  • Elle s’engage et s’oblige à préparer, dans le délai maximal que vous jugez acceptable, les avis de transfert qui seront envoyés à vos clients, lesquels devront respecter les conditions spécifiées à l’article 14.11 du Règlement 31-103. Le coût de préparation et d’envoi des avis devrait être largement compensé par les honoraires de service que la firme conservera jusqu’au transfert des actifs vers l’autre courtier;
  • Elle s’engage et s’oblige à procéder au transfert de l’ensemble de vos comptes clients dans le délai maximal que vous jugez acceptable.

QUE FAIRE EN CAS DE REFUS?

L’AMF a l’obligation de s’assurer que tous ses assujettis respectent la réglementation qui les encadre. Bien que l’article 14.11 du Règlement 31-103 n’oblige pas votre firme de courtage à vous aider à transférer votre clientèle vers une autre, il n’en demeure pas moins une position législative claire.

En cas de refus, l’AMF devrait théoriquement pouvoir vous aider à dénouer l’impasse, sur la base que vos clients n’ont pas à subir une interruption de service en raison du manque de collaboration d’un assujetti à la Loi sur les valeurs mobilières.

DEUX POIDS, DEUX MESURES

Juridiquement parlant, la relation client n’appartient pas au conseiller, mais plutôt à la firme de courtage avec laquelle il place ses affaires. De mon point de vue, c’est parfaitement injustifié en ce qui concerne les conseillers indépendants puisqu’ils se placent toujours au centre de la relation, reléguant la firme de courtage à un rôle secondaire de courroie de transmission entre leurs clients et les sociétés de fonds d’investissement.

Puisque tout le monde est d’accord sur le principe d’accorder au consommateur le droit de choisir son conseiller sans contrainte, pourquoi ne pas accorder au conseiller le droit de choisir son courtier? Présentement, il doit s’agenouiller devant sa firme de courtage pour lui quémander de faire le transfert à sa place, sans aucune garantie de résultat. N’est-ce pas insultant pour notre profession? 

UNE PLUS GRANDE MOBILITÉ EST ESSENTIELLE

Je définis l’agilité comme étant la capacité d’un individu ou d’une organisation à s’adapter rapidement aux conditions changeantes. La mobilité des conseillers indépendants est un élément important qui favorise leur agilité et est cruciale dans leur lutte contre les avancées technologiques des géants du Web et de notre propre industrie, lesquels recherchent constamment de nouveaux moyens d’établir une relation directe avec leurs clients afin de leur vendre des produits financiers sans intermédiaire.

J’invite donc les conseillers indépendants à miser sur leur agilité et à reprendre le contrôle de leurs affaires. Faites-le pour vous-mêmes… Faites-le pour la survie et la croissance du conseil indépendant. Faites-le pour le mieux-être de la population que vous desservez.

Jointe pour commenter l’interprétation de M. Guillemette, l’AMF a décliné l’offre, indiquant demeurer « toujours ouverte aux suggestions, idées ou propositions venant de l’industrie », mais l’invitant à se tourner vers les « canaux de communication […] que les acteurs de l’industrie peuvent utiliser pour [la] contacter ».

Daniel Guillemette

Daniel Guillemette est conseiller en sécurité financière depuis 1984. Il a terminé ses études en fiscalité à l’Université de Sherbrooke en 2000. Il dirige plusieurs cabinets de services financiers qu’il a acquis au fil du temps, la première acquisition datant de 1996. En 2008, inspiré de ses propres besoins, il a commencé à s’investir dans le projet iGeny, une entreprise visant à augmenter son agilité, sa capacité à s’adapter aux conditions changeantes. iGeny commercialise aujourd’hui iGeny Form, iGeny Pro, ScanSquad et offre également aux conseillers un service d’adjointes virtuelles.