Divorce, séparation, rupture… et l’entreprise dans tout ça ?

Par Me Sophie Fortin | 1 septembre 2014 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Couple, dos à dos, tenant chacun un bout de coeur rouge brisé.
Vadim Guzhva / 123RF

À quoi peut-on s’attendre en cas de rupture, de séparation ou de divorce ? Quels sont les effets du droit de la famille sur les entreprises lorsque ces évènements surviennent ? Voilà ce que nous allons brièvement analyser.

Dans un premier temps, nous relaterons les impacts possibles sur une entreprise détenue par un couple marié ou en union civile, et dans un deuxième temps, sur une entreprise détenue par l’un ou l’autre des conjoints de fait.

L’ENTREPRISE DÉTENUE PAR UN ÉPOUX OU PAR UN CONJOINT EN UNION CIVILE

Les personnes mariées sont régies par les dispositions du Code civil du Québec et par la Loi sur le divorce. Elles devront, au moment de la séparation, du divorce ou d’un décès, procéder au partage du patrimoine familial[1], au partage du régime matrimonial et évaluer si une obligation de nature alimentaire est due pour l’un ou l’autre des époux.

Les entreprises ne font pas partie du patrimoine familial, c’est plutôt le régime matrimonial choisi par les époux qui leur dictera, dans un premier temps, si l’entreprise est partageable et dans un deuxième temps, les modalités d’un tel partage, le cas échéant.

Le droit québécois prévoit trois régimes matrimoniaux, soit la société d’acquêts, la séparation de biens et la communauté de biens. Pour les fins du présent article, nous ne nous attarderons point à la communauté de biens puisque c’est un régime désuet.

LA SOCIÉTÉ D’ACQUÊTS

Le Code civil du Québec prévoit que les époux qui n’ont pas fait précéder la célébration de leur mariage d’un contrat de mariage seront régis par le régime de la société d’acquêts[2]. Ce dernier est donc le régime matrimonial par défaut au Québec depuis le 1er juillet 1970.

La société d’acquêts crée deux catégories de biens, soit ceux qui sont partageables (les acquêts), et ceux qui ne le sont pas (les propres). Le tableau ci-dessous illustre quelques exemples de la classification des biens acquis durant le mariage :

La loi entend, par « entreprise propre », une entreprise soit acquise entièrement avant le mariage, soit échue par donation ou succession.L’ENTREPRISE SOUS LE RÉGIME MATRIMONIAL DE LA SOCIÉTÉ D’ACQUÊTS

Donc, une entreprise acquise durant le mariage sera partageable, même les bénéfices non répartis (BNR)[3]. Une entreprise propre ne sera quant à elle pas partageable. Par contre, si les BNR de l’entreprise propre quittent le patrimoine de la société par actions, par exemple sous forme de dividendes à l’actionnaire, ils seront considérés comme des acquêts[4].

LA SÉPARATION DE BIENS

Le régime de la séparation de biens prévoit que chaque époux a l’administration de ses biens et peut en disposer comme il le désire, et ce, peu importe le moment de l’acquisition des biens en question.

L’ENTREPRISE SOUS LE RÉGIME MATRIMONIAL DE LA SÉPARATION DE BIENS

Donc, l’entreprise acquise durant le mariage et appartenant à un seul des époux ne serait pas partageable, de même que les immeubles à revenus, les comptes d’épargne libres d’impôt, les placements (autres que les REER, fonds de pension et gains inscrits au Régime de rentes du Québec) ou tout autre bien exclu du patrimoine familial.

L’époux qui exploite son entreprise sera donc avantagé par le choix du régime de la séparation de biens. Pour adhérer au régime de la séparation de biens, les parties devront signer un contrat de mariage notarié avant le mariage ou à tout autre moment durant le mariage.

L’EFFET DE LA PRESTATION COMPENSATOIRE SUR L’ENTREPRISE

En plus du patrimoine familial et du régime matrimonial, le Code civil du Québec a prévu un mécanisme d’indemnité lorsqu’un époux, par son apport en biens ou en services, a enrichi le patrimoine personnel de l’autre époux ou de son entreprise.

Par exemple, si votre époux s’occupe de la comptabilité complète et du service de paie pour les employés de votre entreprise depuis les 10 dernières années, et ce, sans rémunération, cela pourrait donner droit à une prestation compensatoire[5].

Ainsi, les époux mariés sous le régime matrimonial de la séparation de biens pourront avoir recours à ce mécanisme afin d’obtenir une indemnisation pour l’apport qui a enrichi le patrimoine personnel, incluant l’entreprise de l’autre époux[6].

L’ENTREPRISE DÉTENUE PAR UN CONJOINT DE FAIT

A. Obligations entre conjoints de fait

Les conjoints de fait n’ont aucun statut légal dans le Code civil du Québec, et ce, même si les lois fiscales et certaines lois québécoises à vocation sociale reconnaissent le statut des conjoints de fait.

Ainsi, le concept de patrimoine familial ne s’applique pas aux conjoints de fait. Il n’y a donc aucune obligation, en principe, de partager des biens acquis durant l’union et dont l’un des conjoints est seul et unique propriétaire.

B. Développements récents

Toutefois, l’avis récent du Conseil du statut de la femme intitulé « Pour une véritable protection juridique des conjointes de fait » remet ces principes en question et suggère plutôt que le statut des conjoints de fait québécois soit révisé[7].

C. Contrat de vie commune

Les conjoints de fait peuvent présentement avoir recours à un contrat de vie commune pour prévoir les effets de leur rupture ou décès. Ainsi, lorsqu’ils exploitent une entreprise ensemble, il est pertinent de concevoir les solutions en pareille situation. Un contrat de vie commune peut également prévoir le rôle de chacun dans l’entreprise, la vente d’immeubles achetés conjointement en cas de rupture, le rachat des actions d’un conjoint et son prix, les modalités de paiement, etc.

ENRICHISSEMENT INJUSTIFIÉ ET L’ENTREPRISE

Les articles 1493 à 1496 du Code civil du Québec donnent ouverture à une demande d’indemnité lorsqu’un conjoint s’enrichit aux dépens de l’autre conjoint, et ce, sans justification. Par exemple, si un conjoint travaille dans l’entreprise dont l’autre conjoint est seul et unique actionnaire, et ce, sans rémunération, le conjoint non rémunéré pourra faire une demande d’enrichissement injustifié.

La décision Droit de la famille-132495[8] tend à changer la façon dont les juges analysent la demande d’enrichissement injustifié dans le cadre d’union de vie de longue durée. Dans cette décision, le juge Jean Bouchard reconnaît qu’en matière familiale, l’évaluation de l’enrichissement injustifié doit se faire avec plus de souplesse.

CONCLUSION

Le statut de personne mariée ou non ainsi que le régime matrimonial choisi pourraient avoir un impact indéniable sur une entreprise en cas de divorce, séparation ou même rupture. Un entrepreneur devra donc prévoir les mesures adéquates pour sa vie personnelle et pour la protection de son entreprise.

Me Sophie FortinMe Sophie Fortin est avocate chez Alepin Gauthier Avocats Inc.

Cette chronique contient de l’information juridique d’ordre général et ne devrait pas remplacer un conseil juridique auprès d’un avocat qui tiendra compte des particularités de votre situation.


• Ce texte est paru dans l’édition de septembre 2014 de Conseiller

[1] Article 416 C.C.Q. [2] Article 431 C.c.Q. [3] Droit de la famille 13351, 2013 QCCS 666. [4] M.T. c. T.R. [2002] AZ-02019663 (C.A.) [5] Droit de la famille-871 [1990] RJQ 2107 (C .A.) [6] Des critères ont été élaborés par la jurisprudence qui donne ouverture du droit à la prestation compensatoire. [7] À la suite à l’avis du Conseil du statut de la femme « Pour une véritable protection juridique des conjointes de fait », publié au mois de mai 2014, le débat de l’exclusion des conjoints de fait, dans le Livre de la famille du Code civil du Québec, refait surface. L’organisme propose maintenant que les conjoints de fait bénéficient eux aussi d’aliments et soient soumis aux règles du partage du patrimoine familial. L’organisme suggère également qu’il y ait un droit de retrait, ce qui constituerait, selon eux, un véritable choix de disposer des conséquences d’une rupture. [8] Droit de la famille-132495 [2013] QCCA 1586

Me Sophie Fortin