Salaire ou dividendes?­

Par Jean-François Blanchette | 5 janvier 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
6 minutes de lecture
Photo : 123rf

C’est l’éternelle question que se posent les propriétaires de sociétés privées quant à leur rémunération. Salaire ou dividendes? ­Après plusieurs années de statu quo, la donne vient de changer.

Auparavant, les actionnaires devaient prendre en compte divers facteurs décisionnels qui, outre la facture fiscale, incluaient par exemple le droit aux cotisations ­REER et l’accumulation de prestations du ­Régime de rentes du ­Québec (RRQ). À l’époque, les lois de l’impôt faisaient en sorte que l’écart fiscal entre les deux options, sans être totalement nul, était bien souvent minime. Ce regroupement de règles fiscales se nomme « principe d’intégration ».

Aujourd’hui, l’analyse se complique un peu. On doit maintenant prendre en compte de nouvelles règles mises en place autant par le gouvernement fédéral que québécois. Afin d’illustrer le principe d’intégration dans le contexte des nouvelles réalités fiscales, imaginons la situation suivante :

ABC inc. est une société privée sous contrôle canadien. Pour son année financière terminée le 31 décembre 2017, elle présente un revenu imposable de 200 000 $ et son actionnaire unique désire retirer la totalité des bénéfices, peu importe la facture fiscale.

Sans connaître davantage la situation d’ABC inc., quelles sont les diverses possibilités quant à l’imposition de ses revenus et les répercussions sur son actionnaire unique ? ­Dans ce scénario, il est établi que la totalité des sommes générées par ­ABC inc. doit être sortie de la société. Dans la réalité, les sommes économisées pourraient servir à effectuer des placements à l’intérieur de la société et permettre à son actionnaire de profiter d’un report d’impôt.

SI ­ABC INC. A RÉMUNÉRÉ MOINS DE 5 000 HEURES AU COURS DE SON ANNÉE FINANCIÈRE :

Pour toutes les années fiscales débutant après le 1er janvier 2017, il faudra maintenant tenir compte du nombre d’heures rémunérées afin de déterminer le taux de déduction pour petite entreprise (DPE) applicable au palier provincial. Ainsi, si une société a rémunéré moins de 5 000 heures de travail admissibles au cours de son année financière, son taux de ­DPE québécois sera nul, faisant en sorte que le taux d’imposition total de la société sera de 22,3 % (10,5 % au fédéral et 11,8 % au ­Québec).

Une telle société qui voudrait verser des dividendes à son actionnaire devrait le faire sous forme de dividendes ordinaires. La baisse de la ­DPE ne touchant que l’impôt du ­Québec, les revenus en cause n’augmentent pas le compte de revenu à taux général, qui permet de verser des dividendes déterminés. Dans cette situation, l’entreprise paierait donc une somme de 44 600 $ en impôt, alors que la facture fiscale de son propriétaire, M. X, s’élèverait à environ 42 379 $, lui laissant ainsi un revenu net de 113 021 $, soit 56,5 % du revenu imposable de la société.

SI ­ABC INC. A RÉMUNÉRÉ PLUS DE 5 500 HEURES AU COURS DE SON ANNÉE FINANCIÈRE :

Les sociétés qui dépassent les 5 500 heures rémunérées auront plutôt droit à la pleine ­DPE au ­Québec. Le taux d’imposition total de l’entreprise se retrouve alors à 18,5 % (10,5 % au fédéral et 8 % au ­Québec). La société paierait donc une somme de 37 000 $ en impôt, alors que M. X débourserait environ 45 413 $, laissant ainsi un revenu net de 117 587 $, soit 58,8 % du revenu imposable de la société.

SI ABC INC. EST UNE SOCIÉTÉ MANUFACTURIÈRE :

Imaginons maintenant que les activités d’ABC inc. sont admissibles à titre d’activités de fabrication et transformation. Si ­celle-ci respecte les critères établis, son taux de ­DPE québécoise sera augmenté de 4 %. Ainsi, le taux d’imposition total de la société diminuera à 14,5 % (10,5 % au fédéral et 4 % au ­Québec). La société paierait donc une somme de 29 000 $ en impôt, alors que M. X devrait personnellement verser 48 609 $, laissant ainsi un revenu net de 122 391 $, soit 61,2 % du revenu imposable de la société.

SI ­ABC INC. A RÉMUNÉRÉ MOINS DE 5 000 HEURES PENDANT L’ANNÉE ET VERSE DES DIVIDENDES DÉTERMINÉS :

Tel que mentionné précédemment, si une société paie moins de 5 000 heures dans l’année, elle n’a pas droit à la ­DPE au ­Québec et ne peut verser que des dividendes ordinaires. Mais en planifiant adéquatement, il est possible de faire en sorte que la société n’ait plus droit à la ­DPE fédérale et que, par conséquent, elle puisse verser des dividendes déterminés.

Ainsi, le taux d’imposition total de la société passerait à 26,8 % (15 % au fédéral et 11,8 % au ­Québec). La société paierait donc une somme de 53 600 $ en impôt alors que M. X aurait 31 891 $ à verser personnellement, laissant ainsi un revenu net de 114 509 $, soit 57,3 % du revenu imposable de la société.

SI LE PROPRIÉTAIRE SE VERSE UN SALAIRE :

Contrairement aux dividendes, les salaires sont déductibles dans le calcul du revenu imposable. Si M. X décidait plutôt de se rémunérer ainsi, l’impôt de la société serait nul. Toujours en considérant un revenu disponible de 200 000 $, la société devrait payer des charges sociales de 8 353 $ (part employeur), laissant un salaire de 191 647 $.

L’impôt individuel à payer du côté du propriétaire (sans tenir compte des déductions à la source) serait alors de 74 468 $. Lesdites déductions à la source devraient se chiffrer à 3 194,50 $. Au final, la somme disponible pour le salaire de M. X s’élèverait à 113 984 $, soit 56,9 % du revenu disponible.

Si, dans quelques cas, le choix du mode de rémunération semble aller de soi, dans d’autres, la réponse est beaucoup moins claire. Par exemple, si une société est admissible à la ­DPE supplémentaire pour les activités de fabrication et transformation, il y a un net avantage à verser des dividendes plutôt qu’un salaire. Par contre, dans le cas d’une société qui a rémunéré moins de 5 000 heures, la réponse est moins évidente. Il faudrait alors prendre en considération d’autres facteurs de décision :

  • Possibilité de cotiser au ­REER : ­les salaires ouvrent des droits de cotisation au ­REER. Si plusieurs entrepreneurs ont décidé d’utiliser l’épargne de leur entreprise pour se constituer un fonds de retraite, les nouvelles règles du ministère des ­Finances du ­Canada touchant le revenu passif dans une société (pas encore rendues publiques au moment d’écrire ces lignes) pourraient rendre cette option moins attrayante.
  • Cotisations au ­RRQ : ­les propriétaires d’entreprise qui se versent un salaire voient leurs droits de prestation du ­RRQ augmentés, puisqu’ils y cotisent à travers le salaire. Reste que plus une personne est loin de sa retraite, plus il est intéressant qu’elle gère ses placements ­elle-même. Il vaut donc parfois mieux laisser les liquidités dans la société pour y investir. Par ailleurs, si une personne a déjà cotisé au maximum au régime public pendant plusieurs années, il se pourrait que de nouvelles cotisations n’apportent absolument rien de plus.

Le débat n’est donc toujours pas réglé. Il est nécessaire d’analyser chaque situation, notamment en portant attention aux critères financiers et ceux plus qualitatifs (droits de cotisation au ­REER, prestations d’assurance parentale, crédit d’impôt pour recherche scientifique et développement, etc.). Il faut également demeurer à l’affût des nouvelles règles fiscales que les gouvernements devraient annoncer d’ici le printemps prochain afin de voir quelles répercussions elles auront sur les planifications touchant la rémunération.

Jean-François Blanchette, CPA, CGA, M. Fisc., est associé à Blanchette Lasselle CPA, s.e.n.c.r.l.


• Ce texte est paru dans l’édition de janvier 2018 de Conseiller.

Jean-François Blanchette