Le Brexit risque-t-il de provoquer une nouvelle crise financière?

Par La rédaction | 13 juillet 2016 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
5 minutes de lecture
Daniil Peshkov / 123RF

Depuis l’annonce du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE), un spectre hante les marchés, les investisseurs et les politiciens des pays industrialisés : celui d’une nouvelle crise économique comparable à celle de 2008, rapporte Le Monde.

A priori, cette inquiétude paraît bien légitime, explique-t-il. Avec le Brexit, les financiers du monde entier en quête de placements sûrs se sont jetés sur les emprunts d’État allemands, suisses ou français, dont les taux s’effondrent.

De son côté, la livre sterling est au plus bas et, depuis la semaine dernière, le gel de certains fonds immobiliers britanniques, destiné à limiter les retraits massifs d’investisseurs, constitue un sérieux avertissement.

« PAS UN NOUVEAU LEHMAN BROTHERS »

Ce genre de mesure, rarissime, « rappelle beaucoup le scénario de l’été 2007, lorsque BNP Paribas avait gelé les retraits de trois de ses fonds », écrit Le Monde, qui ajoute qu’un an plus tard, en septembre 2008, la banque américaine Lehman Brothers faisait faillite, « répandant la panique sur les marchés mondiaux, puis entraînant les États-Unis et l’Europe dans une terrible récession ».

Mais le référendum du 23 juin est d’abord un événement politique et n’a « rien à voir avec 2008 », lorsque la planète « avait découvert avec effroi que de mauvais génies de la finance avaient transformé des crédits accordés à des ménages américains insolvables en produits financiers toxiques, puis les avaient disséminés dans tout le système », souligne le journal.

« Il est vrai qu’il y a des similitudes avec la situation actuelle, mais les différences l’emportent », affirme au Monde Frederik Ducrozet, analyste chez Pictet, l’un des principaux gérants d’actifs indépendants en Europe.

« Le Brexit n’est pas un nouveau Lehman Brothers, confirme Norman Villamin, de l’Union bancaire privée. Toutefois, l’économie mondiale n’est pas hors de danger pour autant. »

LES BANQUES CENTRALES ONT APPRIS

La raison principale de ce relatif optimisme, selon le quotidien français, est que « les banques centrales ont retenu la grande leçon de 2008 », à savoir qu’« une crise financière devient dangereuse pour l’économie quand elle se transforme en crise du financement bancaire ».

Après la faillite de Lehman Brothers, les institutions bancaires américaines et européennes, prises de panique, « avaient cessé de se prêter des liquidités entre elles, au point que certaines avaient rapidement frôlé l’asphyxie » et cessé de financer les ménages et les entreprises, « mettant ainsi la croissance en péril », rappelle-t-il.

« Pour éviter que cela se reproduise, la Banque d’Angleterre, comme la Banque centrale européenne, offre aux banques des liquidités illimitées et quasi gratuites en cas de tension », relève Christophe Boucher, économiste à l’Université Paris-X-Nanterre.

Autrement dit, les autorités ont installé des filets de sécurité, explique le journal. Sans oublier qu’en 2012, la zone euro a également instauré l’union bancaire, qui « offre une meilleure surveillance des établissements ».

GARE AUX PROPHÉTIES AUTO-RÉALISATRICES

Malgré tout, « aussi solides soient-ils, les filets de sécurité ne sont jamais infaillibles », avertit Le Monde. Reprenant une mise en garde de l’économiste français Patrick Artus, de la banque Natixis, pour qui « le véritable risque, au fond, est celui des prophéties auto-réalisatrices », le quotidien estime qu’il est à craindre que « les soubresauts boursiers à répétition, combinés aux comportements moutonniers des investisseurs, finissent par provoquer des dégâts là où les fondamentaux économiques étaient pourtant bons ».

Même si « les économistes jugent qu’un tel enchaînement est aujourd’hui peu probable », une chose est sûre : « les incertitudes planant autour de l’avenir du Royaume-Uni et de l’intégration européenne auront tout de même un coût », conclut le quotidien. La croissance britannique devrait être proche de zéro en 2017, tandis que dans la zone euro, l’impact du Brexit devrait représenter une perte de 0,3 % à 0,5 % de produit intérieur brut sur trois ans.

Sans compter les autres problèmes qui menacent l’avenir de l’UE, comme la montée des eurosceptiques dans les sondages, la faiblesse des banques italiennes, ainsi que « les risques que les taux bas et négatifs peuvent engendrer à moyen terme ».

Des fonds immobiliers dévalués d’au moins 15 %

Deux gérants de fonds britanniques ont annoncé la semaine dernière que la valeur de leurs propriétés immobilières au Royaume-Uni avait chuté d’au moins 15 % à cause du Brexit, rapporte l’Agence France-Presse.

Aberdeen Fund Managers a ainsi prévenu que les investisseurs désirant retirer leur mise jeudi devraient accepter une chute de 17 % de la valeur de leur placement par rapport à celle de la veille. De son côté, Legal General Investment Management a intégré une décote de 15 % en raison de la chute estimée des prix de l’immobilier.

La semaine dernière, six groupes financiers distincts ont carrément suspendu l’activité de leurs fonds immobiliers, incapables de répondre aux demandes d’investisseurs pressés de récupérer leurs avoirs.

Au total, ces fonds suspendus représentent quelque 15 milliards de livres (environ 26 milliards de dollars canadiens), soit plus de la moitié des actifs immobiliers commerciaux gérés par des fonds au Royaume-Uni.

Le Brexit pourrait coûter 7,5 G $US aux banques

Les grandes banques d’investissement américaines et européennes risquent d’être obligées de débourser 1,5 milliard de dollars par an de plus que prévu si elles doivent quitter Londres après le retrait de la Grande-Bretagne de l’UE, rapporte Reuters.

Citant une analyse de JP Morgan publiée lundi, l’agence de presse précise que pour les huit institutions financières qu’elle a étudiées, ces coûts représentent en moyenne 2 % de leurs dépenses annuelles. Et comme ils s’étaleront sur environ cinq ans en cas de départ, leur montant cumulé pourrait atteindre 7,5 milliards de dollars pour l’ensemble de la période.

DÉMÉNAGEMENTS ET RESTRUCTURATIONS

Si la Grande-Bretagne ne parvient pas à négocier avec l’UE des conditions équivalentes au « passeport » européen, qui permet aux banques d’exercer dans l’ensemble de l’Union, JP Morgan affirme que les institutions financières seraient contraintes de déménager une partie de leurs activités de Londres vers d’autres villes européennes et de procéder à des restructurations.

« Dans le scénario extrême, les banques d’investissement pourraient devoir créer des entités juridiques, déplacer du personnel et obtenir des autorisations d’exercer et des permis immobiliers en Europe, ce qui entraînera probablement des augmentations significatives de coûts durant la période de transition », conclut la firme.

Les huit établissements cités par JP Morgan sont les européens UBS, Credit Suisse, Deutsche Bank, Société Générale, BNP Paribas et Barclays, ainsi que les américains Goldman Sachs et Morgan Stanley.

La rédaction