PL 141 : le traitement des plaintes critiqué

Par La rédaction | 21 février 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
6 minutes de lecture
everythingpossible / 123RF

À l’heure où plusieurs articles du projet de loi 141 inquiètent les associations de défense des consommateurs, les courtiers d’assurances et les conseillers en services financiers, la question du traitement des plaintes des clients qui s’estimeraient lésés demeure un enjeu important.

Invité avec d’autres intervenants du secteur de la finance à participer samedi dernier à l’émission de Michel Lacombe, Faut pas croire tout ce qu’on dit, diffusée sur Radio-Canada, Alain Paquet, professeur à l’École des sciences de la gestion (ESG UQAM), ancien ministre responsable de l’encadrement du secteur financier et ex-président de la Commission des Finances à l’Assemblée nationale, a accepté d’aborder le sujet pour Conseiller.

Conseiller : Le PL 141 prévoit que les consommateurs devront payer pour déposer une plainte en appel. Concrètement, qu’est-ce que cela va changer pour eux?

Alain Paquet : Aujourd’hui, si vous estimez qu’il y a eu une faute déontologique de la part d’un représentant certifié, vous pouvez déposer une plainte auprès de la Chambre de la sécurité financière (CSF) ou de la Chambre de l’assurance de dommages (ChAD), selon les cas. Après enquête, ces organismes rendent une décision. Si la décision ne vous plaît pas, vous pouvez aller en appel auprès de leur syndic pour que votre dossier soit réexaminé, ou même aller à l’Autorité des marchés financiers en troisième lieu. Et tout cela ne vous coûte rien.

Avec le projet de loi tel qu’il se présente pour l’instant, ce qui va arriver, c’est que si vous soupçonnez qu’une erreur a été commise par un professionnel, que vous estimez avoir été mal servi ou mal conseillé par rapport à vos besoins en raison d’une faute déontologique, vous devrez désormais contacter le fabricant du produit ou l’institution qui vous a vendu ledit produit, et ce, qu’il s’agisse d’une banque, d’une caisse Desjardins ou d’une compagnie d’assurances. Et là, ils auront 10 jours pour vous informer qu’ils ont accepté votre dossier.

Mais après, on ignore dans quels délais ces informations seront traitées. L’institution financière ou la compagnie vous reviendra avec une proposition. Si celle-ci vous convient, vous pourrez l’accepter, mais dans le cas contraire, vous n’aurez plus la possibilité d’aller en appel, sauf pour saisir un tribunal ou la cour des petites créances, et ce, à vos frais. Et personne n’a aucune idée des délais ni des coûts que cette procédure entraînera; ça fait partie du flou qu’on retrouve dans le projet de loi à bien des égards. La seule chose qui y est spécifiée, c’est que ces précisions viendront plus tard.

C : En quoi est-ce un problème, selon vous?

A. P. : On transfère tout le fardeau de la preuve sur les épaules du consommateur qui aurait été mal servi, par exemple dans le cas où on l’aurait poussé à acheter un produit inadapté à ses besoins. Or, dans ce cas de figure, le projet de loi actuel abaisse le niveau d’exigence, puisqu’il se contente de demander que le produit en question « réponde aux besoins » du client, alors qu’auparavant, c’est-à-dire dans le régime actuel, la loi stipule que le représentant doit s’assurer que le produit « est le meilleur » pour son client.

Tout cela a l’air d’un jeu de mots, mais il y a une grande différence! Parce que si on dit simplement « j’ai besoin d’une assurance vie », la compagnie pourra toujours vous répondre qu’en vous en vendant une, elle a répondu à ce besoin. Mais est-ce vraiment la meilleure dans votre cas? Eh bien, avec le projet de loi 141, cela n’est pas grave, puisque l’essentiel est qu’on ait répondu au besoin d’avoir une assurance. Alors qu’auparavant, dans le cas d’une assurance de personnes, par exemple, le vendeur devait dûment vérifier avec son client certains aspects cruciaux, comme « ses attentes par rapport au produit, son degré de tolérance au risque, la meilleure adéquation d’une assurance temporaire ou permanente en lien avec ses besoins véritables, etc. » Le même problème s’applique pour l’épargne collective et pour l’assurance de dommages.

Dorénavant, le conseil ne sera plus seulement dispensé par des professionnels certifiés, et il est donc possible que des fautes déontologiques se produisent plus souvent. Et dans ce cas, le consommateur se retrouvera avec le fardeau de la preuve et aussi des frais à assumer s’il veut aller plus loin.

Par ailleurs, avec le PL 141, si votre plainte va en médiation et que vous acceptez la proposition de la compagnie, ce sera une façon d’acheter la paix. Bien sûr, il y a des cas où cette solution peut être intéressante, mais si ce genre de scénario se généralise, on ne trouvera plus aucune trace publique de la faute qui a été commise, ni de la personne qui l’a commise. Dans ces conditions, il deviendra quasiment impossible d’apprendre de ces erreurs pour éviter qu’elles ne se reproduisent, ou encore d’en tirer des enseignements pour resserrer la réglementation. Autrement dit, on va effacer une part de mémoire, qui est pourtant indispensable si on veut améliorer la loi et l’adapter à un environnement en constante évolution pour mieux protéger le public.

C : Les compagnies d’assurance affirment que ce n’est pas un problème, car elles disposent à l’interne de mécanismes efficaces de gestion des plaintes…

A. P. : Tout ça est très beau, mais s’il n’y a vraiment pas de problèmes, pourquoi, dans ce cas, veut-on modifier la réglementation? Et s’il n’y a que des mécanismes internes de gestion des plaintes, où pourra-t-on trouver la trace des problèmes qui ont quand même eu lieu? La transparence en matière de réglementation devrait être aussi importante dans le secteur financier qu’ailleurs. Alors je veux bien « faire confiance », mais encore une fois, si personne n’a rien à cacher, pourquoi ne pas conserver le système actuel, qui a fait ses preuves et qui est cité comme modèle ailleurs au Canada? Je veux bien améliorer et moderniser la loi, mais je ne vois vraiment pas en quoi plusieurs dispositions du PL 141 constituent une amélioration!

C : Que faudrait-il changer au projet de loi, dans ce domaine, pour qu’il protège efficacement les clients de produits et services financiers?

A. P. : Dans le cas précis des plaintes, il faut conserver le système actuel, qui fonctionne parfaitement, et il faut aussi garder la CSF et la ChAD, car elles veillent à ce que les personnes qui vendent des produits et des services financiers soient de vrais professionnels, des personnes certifiées tenues d’offrir aux consommateurs les meilleurs produits les mieux adaptés à leur situation. Malheureusement, à bien des égards, le projet de loi actuel baisse la barre.

Dans une lettre aux membres de la Commission des finances publiques, notamment envoyée en copie à Philippe Couillard et Carlos Leitao, l’Association professionnelle des conseillers en services financiers (APCSF) évoque le controversé projet de loi 141 qui, selon elle, « propose une surprenante dérèglementation du secteur. »

Elle leur demande de retirer les articles « les plus litigieux » et les invite à retourner à leur « table à dessin ».

L’APCSF dénonce particulièrement une « élimination des principaux outils de protection du public » mais aussi ce qu’elle estime être « une déresponsabilisation majeure des grandes institutions financières et des compagnies d’assurances face aux intérêts de leurs clients. »

La lettre revient ainsi sur plusieurs points litigieux, notamment la fin de l’encadrement professionnel avec l’aboliton de la Chambre d’assurance de dommages (ChAD) et la Chambre de la sécurité financière (CSF), et le fait que le consommateur soit désormais seul à se défendre en cas de problème.

« Plus rien n’empêchera une institution de vendre un produit financier ou une assurance qui ne répondrait pas au réel besoin du consommateur, ce qu’empêchait l’encadrement déontologique du conseiller », affirme-t-elle sur le premier point. « La moindre erreur pourrait facilement ruiner une personne qui n’aurait bénéficié d’aucun conseil, ou qui aurait été mal conseillée, puisque le conseil ne serait plus encadré », dénonce-t-elle au sujet du second.

La rédaction