Jacques-André Thibault ne paiera pas son amende

Par Jean-François Parent | 7 novembre 2016 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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La Chambre de la sécurité financière (CSF) ne pourra pas mettre la main sur les 18 000 dollars d’amendes qu’elle a imposées au multirécidiviste Jacques-André Thibault en juillet 2014 à la suite d’une décision disciplinaire rendue en 2013.

Reconnu coupable d’une dizaine de chefs d’accusation, le conseiller en sécurité financière a également été radié pour 11 ans.

Mais voilà, l’ex-représentant n’aura pas à payer, puisque la CSF n’a pas réussi à convaincre les juges que ses amendes devaient être exclues de sa faillite. Jacques-André Thibault s’est en effet déclaré sans le sou en novembre 2012 et a été libéré de sa faillite en novembre 2014. Cette dernière constituait l’une des plus importantes au Québec, avec des dettes déclarées de 75,3 M$.

RECOURS EN HOMOLOGATION REJETÉ

Parce que cette amende a été imposée par la CSF à Jacques-André Thibault avant qu’il soit libéré de sa faillite, la Cour supérieure a jugé qu’elle pouvait y être inscrite. La requête de la Chambre, qui voulait homologuer sa sanction disciplinaire, a donc été rejetée une première fois.

« La CSF peut intenter un recours en homologation devant la Cour dans les cas de non-paiement volontaire d’une amende, et ce, afin d’obtenir un jugement qui pourra faire l’objet d’une exécution forcée », indique la porte-parole de la CSF Julie Chevrette.

L’homologation permet que la décision d’un tribunal disciplinaire soit exécutoire, et donc qu’elle ait force de loi.

La Chambre a fait appel de la décision de première instance. Elle soutenait que puisque la décision du comité de discipline, rendue en 2013, et la décision sur sanction, rendue l’année suivante, sont survenues après la déclaration de la faillite de 2012, les 18 000 $ d’amendes ne pouvaient pas y être inscrits.

La Cour d’appel a rejeté cette prétention le 20 octobre dernier, les juges ayant décidé que puisque la comparution devant le comité de discipline avait eu lieu en 2011, soit avant la faillite, et que les amendes ont été imposées avant que Jacques-André Thibault n’en soit libéré, les 18 000 $ font bel et bien partie de la faillite.

Et sont perdus pour la CSF.

LA FAILLITE POUR ÉCHAPPER AUX SANCTIONS?

Est-il alors possible pour un conseiller d’éviter les sanctions pécuniaires en déclarant faillite?

« C’est théoriquement possible, mais il faut alors démontrer que ce n’est pas une manœuvre dans le but d’éviter la sanction », explique l’avocat Karl Delwaide, associé du cabinet Fasken Martineau.

Dans le cas d’une amende, tant le comité de discipline que le conseiller fautif sont susceptibles de voir leurs motifs scrutés à la loupe, poursuit-il. L’un pour s’opposer à ce que les amendes soient incluses dans la faillite, et l’autre pour avoir voulu faire faillite alors qu’il écopait d’amendes.

« Et il ne faut pas oublier qu’une déclaration de faillite est lourde de conséquences sur la vie professionnelle et personnelle d’une personne », ajoute Me Delwaide, expliquant ainsi pourquoi la Cour ne prend pas de telles déclarations à la légère.

L’avocat rappelle en outre que l’un des objectifs de la faillite est de faire en sorte que la personne puisse se réhabiliter financièrement. « La personne est donc libérée de toute réclamation », incluant les amendes.

Récupérer les amendes

Les chambres de la sécurité financière et de l’assurance de dommage ne sont pas les seuls organismes d’autoréglementation qui peuvent demander à la cour d’homologuer leurs décisions disciplinaires. L’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières peut également le faire au Québec, et ce, depuis 2013.

Par ailleurs, les amendes imposées à la suite d’infractions pénales, par exemple à la suite d’accusations déposées par l’Autorité des marchés financiers, ne peuvent être incluses dans une faillite.

L’AMF n’a pas besoin de faire homologuer ses décisions puisqu’en vertu de ses pouvoirs, c’est le Bureau des infractions et amendes du Québec qui gère le recouvrement des fonds, explique son porte-parole Sylvain Théberge.

Au Canada, l’an dernier, l’OCRCVM a récupéré 13 % des amendes qu’il a infligées aux conseillers.

Au Québec, « le taux moyen de recouvrement des sanctions sur 10 ans a été de 96,7 % pour les pénalités imposées par l’Autorité, 46 % pour les pénalités administratives imposées par le Bureau de décision et de révision et 10 % pour les amendes en matière pénale », écrit Sylvain Théberge.

Enfin, à la CSF, le taux de recouvrement des amendes et des frais imposés par le comité de discipline a varié au cours des cinq dernières années. Il est passé de 97 % en 2012 à 81 % en 2015, cette différence pouvant s’expliquer par les délais accordés par la CSF pour les paiements des amendes.

Le fil des événements

  • 2011 : comparution de Jacques-André Thibault devant le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (CSF);
  • 2012 : M. Thibault déclare faillite;
  • 2013 : la CSF rend sa décision. M. Thibault est reconnu coupable;
  • Juillet 2014 : la CSF annonce la sanction de M. Thibault : 18 000 $ d’amendes et une radiation de 11 ans;
  • Novembre 2014 : Jacques-André Thibault est libéré de sa faillite.

Jean-François Parent