Une conseillère obligée de tracer la ligne rouge

Par Sylvie Lemieux | 18 septembre 2023 | Dernière mise à jour le 24 novembre 2023
3 minutes de lecture
Igor Zakharevich / 123RF

Un jour ou l’autre, tout conseiller est susceptible de recevoir une demande qui sort de l’ordinaire de la part de ses clients. Dans cette série d’articles, des professionnels partagent leurs expériences et les leçons qu’ils en ont tirées.

Il y a trois ans, lors d’un rendez-vous de suivi avec un de ses clients, Laurianne Dionne-Arseneault a eu la surprise de l’entendre lui demander s’il y avait moyen d’investir de l’argent… gagné sous la table.

« Il a abordé le sujet de manière détournée en prétextant qu’il avait un ”ami” travaillant dans la construction qui gagnait 1 000 $ par semaine au noir. L’ami en question voulait savoir s’il était possible d’investir cet argent sans se faire prendre », raconte-t-elle.

La conseillère en sécurité financière chez iA Groupe financier s’est ainsi retrouvée dans une position délicate. Vouloir investir des sommes gagnées illégalement équivaut à du blanchiment d’argent, une activité que les conseillers ont l’obligation de signaler aux autorités.

Même si elle n’était pas dupe, Laurianne Dionne-Arseneault a choisi de jouer le jeu en adoptant une approche prudente et éducative. « Je lui ai dit que si j’étais la conseillère de cet homme, je lui recommanderais de consulter un comptable. Ce dernier pourrait lui expliquer les nombreuses conséquences du travail au noir, soit une perte d’indemnisation en cas d’accident de travail, une capacité d’emprunt réduite, sans parler d’une éventuelle accusation de fraude fiscale. »

Laurianne Dionne-Arseneault reconnait avoir été prise au dépourvue par cette demande pour le moins particulière, elle qui était conseillère depuis un an à peine. « On ne s’attend jamais à être exposée à ce genre de question. Et la formation ne nous y prépare pas vraiment », dit-elle.

DES RÈGLES À SUIVRE

Que doit faire un conseiller dans cette situation ? Selon la Chambre de la sécurité financière (CSF), il doit en premier lieu en discuter avec le responsable de la conformité ou le dirigeant de sa firme pour connaître la marche à suivre. C’est ce que Laurianne Dionne-Arseneault s’est empressée de faire.

« Je voulais notamment savoir si j’étais tenu de le dénoncer. Comme je n’avais aucune preuve que c’était mon client qui était payé au noir, je ne pouvais rien affirmer. Mon directeur m’a conseillé de documenter l’échange dans le dossier du client. »

Après réflexion, Laurianne Dionne-Arseneault a choisi de maintenir la relation avec son client, bien que sa confiance en lui ait été érodée. « Je lui ai laissé le bénéfice du doute, mais cela a modifié la dynamique de notre relation. Je suis désormais plus méticuleuse dans mes vérifications, exigeant parfois des documents à l’appui plutôt que de me fier à sa parole afin de m’assurer qu’il a de bonnes pratiques en matière de finances personnelles. »

Cette expérience souligne le défi permanent auquel font face les conseillers en services financiers : équilibrer la confiance avec la vigilance, surtout lorsqu’il s’agit de questions aussi délicates que l’argent non déclaré. Pour Laurianne Dionne-Arseneault, cette expérience a été un rappel que la formation continue ne se limite pas aux cours et aux ateliers, mais s’étend aussi aux leçons tirées sur le terrain.

Sylvie Lemieux headshot

Sylvie Lemieux

Sylvie Lemieux est journaliste pour Finance et Investissement et Conseiller.ca. Auparavant, elle a notamment écrit pour Les Affaires.