Assurance vie : l’industrie sonne la charge

Par Ronald McKenzie | 20 septembre 2006 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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(20-09-2006)Escrocs, fraudeurs, malfrats, pommes pourries. Interviewés par le Journal de l’assurance(août 2006), trois dirigeants de l’Empire Vie, de l’Industrielle Alliance et de Transamerica ont décidé de « monter le ton d’un cran » dans la dénonciation des conseillers en sécurité financière dont les « pratiques d’affaires sont douteuses ».

Ils reprochent à une minorité de conseillers de s’adonner à des pratiques considérées comme répréhensibles qui nuisent à la réputation de l’industrie et qui leur feraient perdre des sommes considérables. Parmi celles-ci, on note:

* Les fraudes commises à l’encontre des consommateurs, des assureurs et des agents généraux. * Les faillites répétitives. * Les rabais sur primes. * Le remplacement systématique de polices.

En outre, affirment les trois dirigeants, ces « pommes pourries » seraient l’objet de plaintes sérieuses et répétitives.

« Nous en avons assez de ces individus qui commettent des fraudes, forgent des signatures, volent des commissions et entraînent les consommateurs dans leurs stratagèmes. Nous espérons que notre démarche fera prendre conscience du problème », dit Richard Charrette, président du Comité des dirigeants de ventes du Québec, et l’une des personnes citées dans l’article.

Richard Charrette estime que les organismes de réglementation n’ont pas, actuellement, les outils nécessaires pour empêcher les fraudeurs d’écumer le marché. « Prenez le dossier d’Yvan Prévost. Il a plaidé coupable à 13 chefs d’accusation. Après négociation avec la Chambre de la sécurité financière, il s’en tire avec 48000 $ d’amendes et une suspension de deux mois ! Les gens de l’industrie n’en revenaient pas! »

Pour lui, il est clair que des personnages de cet acabit reviennent sur le marché une fois qu’ils ont écoulé leur suspension. Habituellement, ils changent de réseau de distribution avant de récidiver. « Si on veut les neutraliser, il faut les faire condamner par un tribunal civil, mais les procédures sont longues et onéreuses. » Pour limiter les dégâts, le comité qu’il préside songe à mettre sur pied un registre des conseillers délinquants que les cabinets seraient invités à consulter avant d’embaucher un représentant. Une liste noire, quoi. Mais il faudra qu’il y ait consensus à ce sujet.

Richard Charrette n’a pu nous préciser combien de représentants véreux sévissent de cette façon ni le montant des pertes qu’ils causent aux assureurs et aux agents généraux.

En réaction à l’article du Journal de l’assurance, le Regroupement indépendant des conseillers de l’industrie financière du Québec(RICIFQ)a publié un communiqué de presse soulignant qu’il était d’accord avec le fait d’éliminer les «pommes pourries au sein de nos organisations et même de l’industrie».

Mais le président du RICIFQ, Larry Bathurst, s’interroge sur la pertinence du contenu de l’article. « Les fraudes et les escroqueries ne sont pas un problème généralisé en assurance vie. Ce n’est qu’une poignée d’individus qui commettent ces gestes. Et ça ne date pas d’hier. Le ton de l’article et l’importance qu’on a donnés à ce sujet… Est-ce une stratégie pour lancer un message à l’industrie et aux autorités que les compagnies font quelque chose avec les fraudeurs? Est-ce pour bien paraître? »

Larry Bathurst profite de ce que la controverse ait été lancée pour élargir le débat. Les assureurs, dit-il, ont des pratiques commerciales qui entrent en contradiction avec les situations qu’ils dénoncent. Par exemple, ils disent ne pas aimer les remplacements de polices. Mais, en même temps, ils cessent de verser des commissions aux représentants quatre ou cinq ans après que le consommateur a signé son contrat. « Tant que la police demeure en vigueur, les agents généraux continuent de toucher des commissions de service, et les assureurs les primes. Mais les conseillers qui sont tenus de donner du service à leurs clients ne sont plus payés. Pour vivre, ils doivent faire de nouvelles ventes. Voilà pourquoi il y a autant de remplacement de polices. »

Le RICIFQ saisit l’occasion pour fustiger les concours de ventes, les voyages payés et les participations à des congrès. Ces gratifications auraient pour effet « d’inciter certains conseillers à concentrer leurs affaires au sein de quelques entreprises », note Larry Bathurst. Celles-ci sont donc mal placées pour donner des leçons de déontologie.

Richard Charrette réfute catégoriquement cette thèse. « Bien que je comprenne le but de ce propos, je ne vois pas son lien avec le fait que nous dénonçons les fraudeurs. C’est une autre histoire. Mais quant au fond de cette question, je me demande si le communiqué du RICIFQ reflète vraiment l’opinion de ses membres. Je connais beaucoup de représentants qui aiment participer à des congrès. »

Il nie que certains conseillers concentrent leurs affaires auprès de quelques assureurs afin d’obtenir le volume suffisant qui leur permettra de partir en voyage aux frais de l’entreprise. Et ce, au détriment des consommateurs.

« Ce n’est pas vrai, ces affirmations-là, tranche Richard Charrette. Quand je paie une publicité dans Advisor’s Edge, c’est pour quoi, pensez-vous? Si ça continue, les conseillers vont être obligés de vendre la même assurance vie, la même assurance auto et la même assurance voyages. »

Ainsi étalée au grand jour, cette dispute risque-t-elle d’entacher la réputation de l’industrie de l’assurance vie? Le professeur de marketing Normand Turgeon, de l’École des hautes études commerciales, à Montréal, croit que non. « L’article est paru dans un magazine spécialisé à tirage limité. Je doute que cela ait un écho auprès des consommateurs. »

Mais auprès des gens de l’industrie? Il pense que cette chicane pourrait avoir un effet salutaire. En donnant la parole aux professionnels des diverses factions, le différend prend de la perspective, d’autant plus que tous sont d’accord sur le cœur de la question : éradiquer les conseillers malveillants, note-t-il. « Cette polémique peut même forcer la main des autorités pour qu’elles renforcent la réglementation. Ce serait une retombée positive. »

Pourtant, rien n’est moins sûr. Quand la dispute entre le conseiller Léon Lemoine et Desjardins Sécurité financière a défrayé la manchette en 2004, l’Autorité des marchés financiers avait une occasion en or de renforcer le réglementation, justement. Mais peu de choses ont été faites. Peut-être que la controverse soulevée par le Journal de l’assurance relancera le débat…

Normand Turgeon évoque une autre hypothèse. « Il est possible que les dirigeants des compagnies d’assurance constatent que tout ne tourne pas rond dans leur cour et qu’un ménage s’impose. »

Si cela se produisait, parions que le RICIFQ serait au premier rang pour applaudir cette démarche qui prendrait des allures de petite révolution.

Rappelons qu’en mars dernier, une étude exclusive du magazine Objectif Conseiller démontrait que, sur les quelques 28 647 conseillers en sécurité financière, seulement 21 ont subit une radiation, une suspension ou une interdiction de pratique, ce qui se comparait avantageusement par rapport à d’autres professions comme le droit. D’autres part, le taux de plaintes(0,09%)portées devant le comité de discipline se rapprochait davantage de celui des infirmières(0,04%), qui montraient le plus faible taux des tous les professionnels québécois. Cliquez ici pour lire l’étude.

Ronald McKenzie