Consultation sur la refonte de la loi sur la distribution des produits et services financiers (LDPSF)

16 septembre 2015 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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M. Richard Boivin Sous-ministre adjoint aux politiques relatives aux institutions financières et au droit corporatif Ministère des Finances 8, rue Cook, 4e étage Québec, Québec G1R 0A4

Objet : Consultation sur la refonte de la loi sur la distribution des produits et services financiers (LDPSF)

Monsieur Boivin,

La présente vous est soumise afin de vous faire connaître notre position quant à certains éléments soulevés dans le document de consultation intitulé « Rapport sur l’application de la Loi sur la distribution de produits et services financiers. »

Dans les prochaines lignes, nous traiterons des points suivant :

1 – L’offre de produits d’assurance de personnes par internet 2 – Remise en question de l’existence et des rôles de la Chambre de la sécurité financière (CSF)

1- L’offre de produits d’assurance de personnes par Internet

L’offre de produits d’assurance de personnes par Internet ne devrait pas être permise et ce, pour les raisons que nous énumérerons dans les pages suivantes. Nous sommes d’avis qu’il en va de la protection des consommateurs.

Premièrement, nous sommes d’avis que les produits d’assurance de personnes ne sont pas des biens de consommation. De par sa nature et sa fonction première, ce type de produit ne peut être convenablement « acheté » sans conseil. De plus, le but premier de ce type de produit est d’assurer une sécurité financière à ceux qui y souscrivent ou encore à ceux qui survivront au décès d’un proche. Nous croyons qu’il ne faut surtout pas, au seul motif que l’offre de tels produits via Internet serait plus simple ou plus facilement accessible pour le consommateur, perdre de vue la finalité des produits d’assurance de personnes soit celle de protéger adéquatement un individu et sa famille et ainsi assurer leur sécurité financière. Et cette finalité, selon nous, ne peut être atteinte que si les consommateurs peuvent bénéficier des conseils d’un professionnel en la matière, lesquels conseils doivent être adaptés aux besoins et à la situation de cet individu et de sa famille.

Deuxièmement, nous croyons qu’un consommateur qui pourrait souscrire un produit d’assurance de personnes via le Web ne pourrait prendre une décision pleinement éclairée. Même avec des connaissances minimales, le consommateur ne pourra convenablement comparer, l’un par rapport à l’autre, différents produits de différents fournisseurs dont il pourrait prendre connaissance sur un site Web. La multitude de produits disponibles et la complexité de ces produits nous laisse croire qu’un consommateur ne pourrait être assuré de souscrire le bon produit au meilleur coût possible, lequel conviendrait parfaitement à son besoin et à sa situation. Nous sommes d’avis que le consommateur doit être guidé dans ses choix et ne pas être laissé à lui-même.

Troisièmement, nous sommes d’opinion que le fait de rendre accessible sur le Web les produits d’assurance de personnes lance un mauvais message auprès des consommateurs. Ceci pourrait en effet laisser croire aux consommateurs qu’il est facile de s’assurer convenablement et que les conseils d’un professionnel ne sont ni utiles ni nécessaires et ce, peu importe la situation particulière du consommateur. Ceci est irréconciliable avec le fait que les conseillers ainsi que la Chambre de la sécurité financière insistent, depuis des années, sur la valeur du conseil d’un professionnel en cette matière.

Il est important pour nous de vous faire connaître tous les éléments qui nous ont amené à adopter cette position. Nous reprendrons donc, dans les prochaines lignes, chacun des éléments ou arguments appuyant nos prétentions.

La finalité de la réglementation actuellement en vigueur

La réglementation actuellement en vigueur en assurance de personnes est basée, en très grande partie, sur un modèle de distribution par des conseillers. Ces derniers ont de nombreuses obligations qu’ils doivent satisfaire.

Entre autre, les conseillers doivent bien connaître leur client. Ceci implique qu’ils doivent s’enquérir auprès de leur client d’une multitude d’informations nécessaires pour en venir à émettre des recommandations appropriées. Le conseiller connaît les questions à poser et sait sur quelles informations mettre l’emphase afin de s’assurer de la convenance de la stratégie et du produit proposé. Il doit donc être aux faits de la situation globale du client.

Par ailleurs, le conseiller doit procéder à une analyse de besoins financiers complète afin, entre autre, d’établir le montant de protection requis par la situation du client.

Comment s’assurer que le consommateur a tenu compte de toute sa situation financière avant de souscrire seul un produit d’assurance de personnes via Internet? Comment s’assurer qu’il souscrit au produit qui lui convient? Nous croyons que le consommateur doit d’abord être protégé contre lui-même et que ceci est dans son intérêt ultime.

La réglementation actuelle met l’emphase sur une analyse approfondie de la situation et des besoins des clients. Ceci nous semble être incompatible avec une volonté de rendre disponible sur Internet la souscription de produits d’assurance de personnes.

Il faut se demander : « Pourquoi la réglementation actuelle exige des représentants de faire une analyse complète et détaillée de la situation d’un client avant de lui faire une recommandation? ». À notre avis, cette obligation témoigne de l’importance, pour le consommateur, de souscrire le produit qui non seulement lui convient mais que ce produit correspond bien à ses besoins. Par l’offre de produits par Internet, cette finalité, loin d’être rencontrée, est totalement anéantie.

Le consommateur risque de mettre l’emphase uniquement ou principalement sur la prime à payer

Comme nous le mentionnions précédemment, les produits d’assurance de personnes ne sont pas de simples biens de consommation. Ils assurent plutôt la sécurité financière des consommateurs.

Les consommateurs « magasinent » actuellement sur Internet plusieurs biens de consommation et trop souvent, ils accordent une importance démesurée au prix à payer.

Dans le domaine de l’assurance de personnes, la prime payée est une considération parmi tant d’autres mais ne devrait jamais être la seule considération à tenir en compte. Les professionnels du domaine comparent à tous les jours différents produits d’assurance de personnes et constatent que non seulement les primes varient d’une compagnie d’assurance à l’autre mais que les couvertures et les exclusions sont aussi fort différentes. Ils constatent aussi qu’il n’y a pas nécessairement de relation directe entre la prime payée et la protection offerte. Il faut comprendre qu’une petite prime n’est pas nécessairement un signe que le produit n’est pas convenable. À l’inverse, une prime élevée n’est pas non plus un signe que le produit offre une excellente couverture.

Nous craignons que, dans un modèle de distribution par Internet, les consommateurs accordent beaucoup trop d’importance à une prime peu élevée sans tenir compte des autres considérations. Par effet direct, nous appréhendons que les consommateurs soient mal assurés.

Nous sommes d’avis que le consommateur moyen n’est pas suffisamment informé et connaissant pour savoir donner une importance relative à la prime payée par rapport à la couverture réelle qu’il obtiendra.

Multiplicité des produits accessibles

Devant la multitude de produits rendus disponibles par toutes les compagnies d’assurance de personnes, nous considérons qu’il serait difficile, presque impossible, pour le consommateur, de faire le bon choix de produit d’assurance de personnes rendu disponible sur Internet.

Au fil des dernières années, les compagnies d’assurance ont usé d’ingéniosité pour développer différents produits qui répondent à différents besoins. Les professionnels du domaine s’acharnent non seulement à connaître tous ces produits, mais déploient des efforts immenses à bien les comprendre. De plus, le conseiller doit divulguer aux clients les avantages et inconvénients des différents produits afin que le consommateur puisse faire un choix libre et éclairé. Nous nous questionnons quant à la capacité et la volonté des consommateurs à analyser les nombreux produits existant ce qui nous laisse craindre que, devant une telle multitude de produits divers, les consommateurs ne fassent pas les bons choix.

Complexité des produits accessibles

Il ne faut pas prendre en considération uniquement les produits eux-mêmes. Ces produits s’inscrivent dans un contexte particulier et font partie intégrante d’une stratégie mise en place avec le support d’un conseiller. Avec le temps, les produits d’assurance de personnes sont devenus de plus en plus sophistiqués et complexes. Afin de les comprendre adéquatement, des notions juridiques et de fiscalité sont désormais nécessaires et doivent être bien maitrisées.

Les produits plus complexes font l’objet de séances de formation auprès des représentants afin que ceux-ci les maitrisent bien. Les représentants accordent plusieurs heures par année afin de parfaire et approfondir leurs connaissances des produits rendus disponibles par les compagnies d’assurance.

Nous ne croyons pas que le consommateur, vu la complexité des produits et les notions juridiques et fiscales à maitriser, soit en mesure d’exercer un choix éclairé lorsque viendra le temps pour lui de souscrire à un produit d’assurance de personnes.

Pour illustrer nos propos, nous ne croyons pas que les consommateurs soient outillés pour répondre convenablement à ces quelques questions :

• Quelles sont les conséquences des exclusions inscrites? • Quelle est l’implication de la clause « suicide »? • Que signifie la clause d’incontestabilité? • Dois-je ou non souscrire à la note de couverture intérimaire et pourquoi? • Quelles sont les distinctions entre bénéficiaires révocables et irrévocables? • Quelles sont les implications successorales des désignations que je choisirai?

À notre avis, la complexité des produits d’assurance est une considération importante à prendre en compte. Cette complexité fait en sorte que, à notre avis, il serait pour le moins hasardeux que les consommateurs fassent des choix sans obtenir au préalable les conseils d’un professionnel.

Risque de sous assurance ou sur assurance

Lorsqu’un conseiller accompagne un consommateur, il s’assure de connaître les protections actuelles détenues par celui-ci. Ces protections existantes sont tenues en compte au moment d’établir la protection à ajouter.

Il est plus que probable qu’un consommateur qui pourrait souscrire un produit d’assurance de personnes sur Internet omette de tenir compte de ces informations ou encore qu’il surévalue ses protections existantes, auxquels cas, le consommateur pourrait se retrouver dans une situation où il serait sous-assuré ou encore, sur-assuré.

Le risque qu’un consommateur obtienne une protection inadéquate est, à notre avis, omniprésent et très élevé.

Annulation prématurée de police existante

Dans un cas de remplacement de police, une des responsabilités des conseillers est d’expliquer à son client de ne pas procéder à l’annulation d’une police existante avant d’obtenir la confirmation d’acceptation par une nouvelle compagnie d’assurance. Ceci est pour protéger le client et lui assurer une couverture durant le traitement de sa demande.

Bien que des avis ou mentions écrites puissent apparaître sur les sites Internet, nous craignons que les consommateurs ne comprennent pas toutes les implications d’une annulation anticipée et les conséquences d’une telle décision.

Une autre des responsabilités du conseiller est de s’assurer que le consommateur ait compris les impacts que peut engendrer le remplacement d’une police d’assurance, et ce, en remplissant le formulaire de remplacement. Le consommateur doit prendre connaissance des avantages et des inconvénients lorsqu’il décide de remplacer son contrat d’assurance existant. Nous sommes d’avis que le consommateur aura difficilement accès à ces renseignements sans l’aide d’un conseiller et que dans certains cas la décision de remplacer un contrat d’assurance ne soit pas dans l’intérêt du client.

Analogie à titre d’illustration

Les propos qui suivent seront peut-être considérés « hors d’ordre » par certains mais nous trouvons intéressant de faire une certaine analogie qui viendra appuyer notre point de vue.

Il serait combien agréable, simple et facile, et les consommateurs en seraient sûrement heureux, de pouvoir naviguer à tout moment, peu importe l’heure, sur un site Internet où nous pourrions répondre à quelques questions pour énumérer nos symptômes physiques, d’appuyer sur le bouton « transmettre » et d’obtenir dans la seconde un diagnostic et une prescription qui nous permettrait d’obtenir les médicaments appropriés à la pharmacie la plus proche. Malheureusement, ceci n’est pas possible et ce, même si les consommateurs le souhaitaient. Trop de facteurs ou d’informations doivent être pris en compte afin d’établir un diagnostic approprié et juste. Trop d’éléments doivent être pris en compte pour prescrire le médicament adéquat car les contre-indications sont trop nombreuses. On ne doit pas prendre à la légère la santé des gens!

En matière d’assurance de personnes, notre raisonnement est le même. De par la nature intrinsèque du fondement de l’assurance de personnes, nous considérons qu’il n’est pas dans l’intérêt ultime du consommateur d’avoir la possibilité de souscrire à un tel produit via Internet sans être accompagné d’un professionnel et ce, pour toutes les raisons énumérées dans le présent document. À notre avis, les erreurs de « diagnostics » seraient trop fréquentes et les « bons médicaments » risqueraient de n’être pas prescrits.

2 – Remise en question de l’existence et des rôles de la Chambre de la sécurité financière (CSF)

Actuellement, l’encadrement déontologique des conseillers est assuré par la Chambre de la sécurité financière (CSF) et l’encadrement règlementaire des cabinets est la responsabilité de l’Autorité des marchés financiers.

Il est soulevé dans le rapport que ce double encadrement soulève plusieurs enjeux.

Nous croyons qu’il est important de maintenir un encadrement adéquat et rigoureux de la distribution de produits et services financiers.

Malgré que le système actuel ne soit peut-être pas parfait, nous croyons que la juridiction de la CSF doit être maintenue, entre autre, quant à la déontologie et la discipline des conseillers.

Nous croyons que la CSF et le comité de discipline de celle-ci assurent adéquatement cette responsabilité depuis plusieurs années et que ce système a démontré sa raison d’être. Malgré certains irritants qui pourraient être amoindri, nous croyons que le rôle actuel de la CSF doit être maintenu.

Il est soulevé dans le rapport sur l’application :

« Une harmonisation du secteur du courtage en épargne collective difficile à compléter avec le reste du Canada. »

Renait donc ici le sempiternel débat historique de reconnaître ou non la juridiction d’un organisme présent partout au Canada (sauf au Québec) soit l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ACCFM).

Avant que le gouvernement ne pense se rallier à cette association et lui donner juridiction au Québec, nous vous demandons de bien analyser la situation. Dans un contexte où le gouvernement dit haut et fort que le domaine des valeurs mobilières est de juridiction provinciale et qu’il conteste la mise sur pieds d’une commission des valeurs mobilières canadienne, nous pensons qu’il est incohérent de souhaiter la venue d’une telle association (ACCFM) au Québec.

La CSF a démontré au fil des ans son efficacité et son professionnalisme. Elle a aussi démontré qu’elle est capable d’ouverture d’esprit et qu’elle est désireuse de communiquer et d’échanger avec les intervenants de l’industrie.

À notre avis, le modèle actuel fonctionne bien, bien que perfectible. Alors pourquoi vouloir remettre en question ce modèle? L’une des raisons d’être de la CSF est de veiller à la protection du consommateur de produits et services financiers. Elle a démontré cette capacité depuis de nombreuses années et contribue ainsi à maintenir le professionnalisme de l’industrie des services financiers.

Nous ne croyons pas que la protection du consommateur serait mieux servie par un organisme ou une association qui est loin de la réalité du consommateur québécois.

Conclusion

Vous l’aurez compris, notre croyons que la souscription d’assurance de personnes via Internet est incompatible avec la protection des consommateurs.

Nous ne croyons pas qu’il faille permette la souscription d’assurance de personnes via Internet au seul motif que le consommateur le souhaite ou parce que ce serait plus simple et facile pour lui. Nous croyons que les autorités doivent d’abord se demander s’il est dans l’intérêt ultime du consommateur de permettre la souscription de produits d’assurance de personnes via Internet connaissant les implications possibles; pour notre part, nous croyons que non. Parfois, la responsabilité sociale dicte de veiller à protéger le consommateur contre lui-même.

Par ailleurs, nous croyons que le modèle actuel prévoyant les pouvoirs conférés à la Chambre de la sécurité financière en matière de déontologie et de discipline devraient demeurer intacts, malgré certains irritants qui sont compensés autrement par l’accessibilité et l’efficacité de ses services. Nous croyons qu’il y va du meilleur intérêt du consommateur que la CSF soit maintenue dans ses rôles actuels.

En terminant, nous vous remercions de cette opportunité de vous soumettre notre point de vue quant à ce dossier.

Bien à vous