De la panique à l’indifférence

Par Pierre Saint-Laurent | 26 avril 2016 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
5 minutes de lecture

• Ce texte est paru dans l’édition décembre 2002 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.


C’est dans les périodes de volatilité marquée que l’on constate l’étendue des comportements de ses clients. La période actuelle constitue en fait un test sévère des aspects financiers et psychologiques des investisseurs.

Or il y a tout un courant de recherche en finance et en économie portant sur les aspects moins quantifiables du comportement des investisseurs : la finance béhaviorale. Celle-ci cherche à analyser les comportements humains en allant audelà de la rationalité économique.

Comment expliquer qu’une personne s’assurera contre des pertes importantes (en contractant une prime habitation contre le feu ou d’invalidité pour protéger ses revenus) et en même temps achètera des billets de loterie? Acheter de l’assurance témoigne d’une disposition timide au risque (risk averse), alors que l’achat de billets de loterie dénote un comportement favorable au risque.

Milton Friedman et Leonard Savage ont montré comment la même personne peut vouloir se protéger contre des pertes importantes tout en acceptant de subir des pertes faibles (le prix de billets de loterie) au cas où elle décrocherait le gros lot.

Tout est fonction de montant : il est cohérent de se protéger contre les rares situations de pertes importantes tout en participant à de rares occasions de gains importants. De plus, on peut invoquer la valeur de consommation des billets de loterie (l’achat de rêve). Peut-être que les sociétés d’assurances devraient distribuer des billets de loterie pour attirer de nouveaux clients!

La finance béhaviorale a bonne mine sur fond de marasme financier qui perdure. Le prix Nobel d’économie a été attribué cette année à Daniel Kahneman, expert de la finance béhaviorale, pour sa contribution à l’incorporation des concepts de la psychologie à la science économique. Plusieurs autres auteurs, tels que Richard Thaler, Meir Statman, Robert Shiller et Hirsh Shefrin, ont contribué à faire évoluer et connaître la finance béhaviorale.

Bref, on tente de réconcilier un investisseur émotif et asymétrique – asymétrique dans ses attentes et ses objectifs – et des marchés qui sont sinon symétriques, du moins objectifs et sans émotion.

L’objet de la finance béhaviorale peut se diviser en deux grandes sections : les biais heuristiques et la dépendance au contexte.

Les heuristiques, ce sont des méthodes pour faciliter la prise de décision. Ces règles approximatives (rules of thumb) peuvent cependant mener à des erreurs systématiques dans la prise de décision. On peut se tromper en mettant l’accent sur les informations les plus récentes, les données négatives ou les informations les plus fréquentes ou les plus souvent répétées. De même, on attribue plus de poids à l’information la plus facilement disponible et aux données jugées les plus représentatives. Les heuristiques mènent souvent à des biais persistants.

Un exemple important et courant : les investisseurs bâtissent un portefeuille avec une répartition d’actif trop agressive, en la basant sur un fort optimisme initial. Plus tard, ils ajusteront leurs perceptions et seront déçus d’un portefeuille jugé alors inadéquat.

Quant à la dépendance au contexte, tout repose sur la façon de percevoir la situation. Deux situations avec des résultats (probabilistes) identiques sont perçues de façon diamétralement opposée, selon que l’on en présente le bon côté (la majorité des gens veulent gagner) ou le mauvais côté (ces mêmes gens détestent perdre). Aussi, les investisseurs conservent les titres perdants et vendent ceux qui ont progressé : c’est l’aversion envers les pertes, par laquelle on déteste admettre avoir perdu. De même, le fait d’avoir du regret (d’avoir perdu de l’argent dans le passé, par exemple) faussera les décisions futures.

Donc, des marchés inefficients sont la résultante de ces deux thèmes dominants de la finance béhaviorale. Qu’en retenir? Trois choses : les investisseurs sont émotifs et sujets à des changements d’idée sans préavis; il ne faut pas présumer des connaissances, des réactions et de l’évolution de vos clients, car elles dépendent d’une foule de facteurs non financiers (le «tuyau gagnant» du beau-frère devant le sapin de Noël par exemple). Enfin, il vaut la peine de proposer à vos clients un questionnaire bien fait, posant des questions qui les mettent dans le bain financier pour ainsi dire, et conçu pour leur faire prendre conscience de leur vraie nature financière

Pierre Saint-Laurent

Pierre Saint‑Laurent

Pierre Saint-Laurent, M. Sc., CFA, est président d’ActifConseil à Montréal. On peut lui écrire à l’adresse psl@actifconseil.com.


• Ce texte est paru dans l’édition décembre 2002 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Pierre Saint-Laurent