L’économie « dans un trou profond »

Par La rédaction | 16 juillet 2020 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Photo : bob_bosewell / istockphoto

Nouveau gouverneur de la Banque du Canada (BdC), le Montréalais Tiff Macklem estime que les « circonstances extraordinaires » actuelles justifient « les réponses extraordinaires des autorités politiques et monétaires ».

Dans une entrevue publiée jeudi par La Presse, le successeur de Stephen Poloz explique notamment les raisons pour lesquelles la banque centrale canadienne n’envisage pas de réduire ses achats d’actifs sur le marché.

Estimant que « l’économie a besoin aujourd’hui de beaucoup de détente monétaire », il se dit « très conscient du fait que les ménages et les entreprises vivent beaucoup d’incertitude », ce qui oblige la BdC à se montrer très claire sur l’évolution de ses taux directeurs, qui resteront à leur niveau plancher pour longtemps encore.

« Nous sommes dans un trou profond », ajoute le dirigeant, qui souligne que l’activité économique au pays a chuté de 15 % au premier semestre. Ce qui implique notamment que la reprise sera « longue et inégale », puisque tous les secteurs ne pourront pas rouvrir en raison de la persistance de la pandémie.

La banque centrale a d’ailleurs annoncé mercredi le maintien de son taux directeur à sa valeur plancher de 0,25 %. Dans une note publiée le jour même, Desjardins rappelle que celui-ci devrait rester à ce niveau « jusqu’à ce que les capacités excédentaires dans l’économie se résorbent, de sorte que la cible d’inflation de 2 % soit atteinte de manière durable ».

Benoit P. Durocher, économiste principal au Mouvement, relève que, « sans procéder à une révision complète de son scénario économique », la BdC a néanmoins présenté un nouveau scénario intermédiaire « nettement moins pessimiste » que les projections établies par la banque centrale en avril.

MIEUX ICI QU’AUX ÉTATS-UNIS

Même si la Banque du Canada a procédé à de tels achats d’actifs que son bilan atteint « des niveaux encore jamais vus », Tiff Macklem estime que sa situation est nettement meilleure que celle de plusieurs autres grandes banques centrales.

« Nous avons beaucoup d’espace, si nous avons besoin de plus de détente monétaire. Est-ce qu’il y a une limite à ce que nous pouvons faire? Bien sûr, c’est l’inflation. Notre cible d’inflation à 2 % est le phare qui guide notre politique. Maintenant, l’indice des prix à la consommation est à peu près à zéro et les pressions sur l’inflation sont à la baisse. Nous sommes plus préoccupés par la déflation que par l’inflation maintenant. »

Le patron de la banque centrale prévoit aussi que la reprise économique sera plus rapide au pays que chez nos voisins du Sud.

« Au début, on pensait que [le choc] serait plus sévère au Canada qu’aux États-Unis parce qu’ici, nous avons deux chocs, celui de la pandémie et celui du prix du pétrole. […] Avec la forte hausse de l’incidence des cas de COVID-19 aux États-Unis, nous avons réduit notre scénario pour l’économie américaine. Nous estimons que la chute sera à peu près la même, soit environ 8 % dans les deux pays, mais nous anticipons que la reprise sera un peu plus forte au Canada : environ 5 % de taux de croissance, contre 3,5 %. Ça reflète le fait qu’avec la hausse de l’incidence des cas de COVID, les plans de réouverture pour l’économie [américaine] sont retardés ou renversés. »

Le Québec est la province la plus durement touchée par la crise du coronavirus. Tiff Macklem se dit incapable de prédire s’il lui faudra plus de temps ou non que les autres pour que son économie revienne au niveau d’avant la pandémie.

« Nous sommes au début de la reprise. Le Québec a perdu 800 000 emplois, et la moitié sont revenus en mai et juin. C’est un peu plus fort que dans le reste du Canada. […] On va voir des hausses importantes de l’emploi et du produit intérieur brut, mais ce ne sont pas tous les secteurs qui vont rouvrir. On va voir combien de dommages seront permanents et quelle restructuration s’opérera dans l’économie. […] Vous avez quelques petits problèmes, mais en gros, ça se passe bien. J’espère qu’on va apprendre ensemble comment rouvrir l’économie sans augmentation des cas [de COVID-19]. »

L’INCERTITUDE DEMEURE

Tiff Macklem reconnaît qu’entre les bas taux d’intérêt et le surendettement des ménages canadiens, il y a un problème important de vulnérabilité économique. Cela dit, cette faiblesse pourra être partiellement atténuée en s’assurant qu’un maximum de Canadiens aient du travail.

« Quelqu’un avec un emploi va payer son hypothèque. Sinon, c’est beaucoup plus difficile, admet le dirigeant. C’est très important de soutenir la reprise et d’avoir des taux d’intérêt bas pour longtemps, et de réduire le coût du financement des dettes. Soutenir l’économie et réduire les vulnérabilités sont sur la même voie maintenant. »

Enfin, concernant l’avenir à moyen terme de l’économie canadienne, le gouverneur de la BdC se montre plutôt évasif.

« Nous n’avons pas d’hypothèse spécifique sur le moment exact où la frontière [avec les États-Unis] va rouvrir. Nous avons diminué notre scénario pour l’économie américaine à cause de la forte hausse de l’incidence de la COVID-19. Cela a des implications au Canada. La reprise de nos exportations aux États-Unis sera plus lente que prévu. Notre hypothèse, c’est que les restrictions vont diminuer graduellement et qu’elles seront toutes levées à la fin de l’année. Mais nous pensons aussi qu’il n’y aura pas de vaccin ou de médicament avant deux ans. […] Nous avons appelé ça un scénario intermédiaire pour souligner qu’il y a beaucoup d’hypothèses autour de la COVID qui sont très incertaines. »

« Les autorités monétaires restent plus prudentes sur l’intensité de la reprise économique à compter du troisième trimestre », remarque Benoit P. Durocher.

« Les incertitudes demeurent très élevées alors que la COVID‐19 continue d’être présente au sein de la population canadienne ». Toutefois, le constat demeure le même, à savoir que « l’économie canadienne traverse actuellement sa pire crise depuis la Grande Dépression des années 1930 ».

La rédaction