CDPSF : où sont les chiffres?

Par Christine Bouthillier | 27 septembre 2016 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Crumpled colorful paper notes with question marks.

Alors que le Conseil des professionnels en services financiers (CDPSF) s’apprête à célébrer ses deux ans, plusieurs membres se plaignent d’être gardés dans le noir quant aux activités de l’organisation.

« Les états financiers, le plan pour l’année à venir, la vision stratégique (le plan d’affaires) et le rapport d’activités doivent tous être dévoilés aux membres », affirme Michel Nadeau, directeur général de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP).

Les états financiers du CDPSF ont bien été rendus publics lors de l’assemblée générale (AG) de juin 2015. Une version préliminaire a été présentée lors de l’AG de mai 2016, mais nul n’a pu en avoir copie.

Pourtant, rien n’interdit de faire circuler des états financiers avant l’audit, sauf dans le cas d’entreprises cotées en Bourse. Mais certaines organisations appliquent une telle politique interne pour éviter toute confusion avec le bilan vérifié.

Deux mois après l’échéance, cette version vérifiée se fait toujours attendre. Pourquoi?

« Elle sera déposée prochainement dans le cadre d’une assemblée générale extraordinaire », répond le CDPSF dans un courriel à Conseiller.

Pour quelle raison la publication des états financiers vérifiés a-t-elle été reportée? Quand aura lieu cette assemblée spéciale?

« Le CDPSF et la Chambre de la sécurité financière [CSF] ont actuellement un différend à l’égard du protocole qui a conduit à la mise en place du Conseil. Le report du dépôt de nos états financiers est lié à ce différend que nous tentons de résoudre dans le meilleur intérêt des professionnels de l’industrie », indique dans un courriel Mario Grégoire, président du conseil d’administration et directeur général du CDPSF.

Un retard dans le dépôt des états financiers peut survenir en cas d’événement extraordinaire, explique Michel Nadeau. Mais il croit que, dans ce cas-ci, le délai est assez long, ce que confirme également Michel Lavoie, associé chez Raymond Chabot Grant Thornton.

« Dans beaucoup de cas, lorsqu’il y a un retard, c’est que l’auditeur [le vérificateur] n’est pas d’accord avec certaines entrées de fonds et ne veut pas signer les états financiers », affirme M. Nadeau.

QUELQUES INFORMATIONS

Ce qu’on sait, c’est qu’au 31 décembre 2015, la CSF avait versé 882 339 $ au Conseil depuis sa création (dont 241 422 $ en 2014), peut-on lire dans le rapport annuel de la Chambre. Ces sommes ont été livrées en argent ou par la prise en charge de certaines dépenses du CDPSF, notamment des services de secrétariat et de comptabilité.

Au final, la CSF doit remettre au CDPSF 488 739 $ en 2016 et 187 500 $ en 2017, pour une contribution totale de 1,8 M$. La Chambre a confirmé à Conseiller par courriel que la contribution de 2016 n’a pas encore été versée. « Le protocole prévoit des circonstances qui nous permettent de retenir une contribution, mais nous ne pouvons commenter davantage en raison du différend avec le CDPSF », explique-t-elle.

Rappelons que le Conseil est le produit du regroupement des anciennes sections régionales de la CSF. Selon le protocole qui lie les deux parties, la Chambre doit fournir un soutien au CDPSF jusqu’en 2017.

Pour mémoire, les états financiers du CDPSF de l’an dernier (au 31 mars 2015) affichaient des revenus d’environ 620 000 $ et des dépenses de près de 349 000 $, pour un excédent des revenus d’environ 271 000 $. Toutefois, plus de 480 000 $ de revenus provenaient des contributions de la Chambre de la sécurité financière.

Difficile également de déterminer combien de membres compte précisément le CDPSF. Dans une lettre publiée en août, l’organisation affirme que plus de 4 000 personnes y ont adhéré. Mais le répertoire sur son site Web ne contient que près de 700 noms.

Les questions de Conseiller à ce sujet sont elles aussi demeurées sans réponse.

LES MEMBRES EN VEULENT PLUS

Pourtant, certains membres du CDPSF voudraient obtenir plus de détails quant à la répartition budgétaire du CDPSF. Ils estiment par exemple qu’ils devraient recevoir les états financiers non seulement en assemblée générale, mais aussi par courriel, car tous ne peuvent pas nécessairement y assister.

« On veut savoir ce qu’ils font avec l’argent, pourquoi on paye », souligne Gabriel Paradis, représentant en assurance de personnes et assurance collective.

« Ça devrait être envoyé, ça démontrerait de la transparence. Avant que les sections régionales de la CSF ne deviennent le CDPSF, la Chambre publiait son rapport financier chaque année », remarque Pauline Haddad, Pl. Fin. et ancienne présidente de la section régionale de Montréal.

D’autres, comme le conseiller en sécurité financière Jacques Brière, ne ressentent pas le besoin d’obtenir ces documents : « Ce n’est pas pertinent. Il faut faire confiance, jusqu’à preuve du contraire », dit celui qui a déjà aidé l’ancienne section régionale des Laurentides à effectuer des collectes de fonds.

La tendance est justement à l’envoi des états financiers par courriel, souligne Michel Nadeau. « De plus en plus, la démocratie [relative aux entreprises] se fait sur Internet », affirme-t-il.

UN MANQUE DE COMMUNICATION

Reste que la communication du CDPSF avec ses membres pourrait être améliorée de façon générale, selon plusieurs d’entre eux. Lorsque contactés par Conseiller, certains ignoraient le rôle exact de l’organisation dont ils sont pourtant membres. L’un des conseillers interrogés pensait même qu’il était obligé d’y adhérer.

« La représentation régionale n’est pas extraordinaire depuis la migration des sections régionales. Le message ne passe pas. L’information envoyée par courriel ou qui figure sur le site Web concerne surtout les formations. C’est pertinent, mais le Conseil devrait aussi parler de ses objectifs et donner des renseignements sur les changements réglementaires », estime Jean-François Gauthier, conseiller en sécurité financière et ancien responsable de la formation pour la section régionale de l’Outaouais.

« L’information sur la migration n’était pas assez claire, pas assez peaufinée. J’ai eu beaucoup d’appels par la suite de gens qui s’interrogeaient sur les activités du CDPSF, sur le déroulement de tout ce processus, indique Pauline Haddad. Mais qui doit-on blâmer? Les gens ne lisent pas tout ce qu’ils reçoivent. »

Selon elle, plusieurs conseillers ignorent aussi comment obtenir de l’information sur les activités et le fonctionnement du Conseil, affirme-t-elle.

Pour régler ce problème, elle suggère d’entrer en contact plus directement avec des agents généraux et des compagnies d’assurance, par exemple, pour mieux se faire connaître.

PROBLÈME DE GOUVERNANCE?

La structure de gouvernance du Conseil semble également poser problème. Selon Michel Nadeau, le fait que le directeur général soit aussi président du conseil d’administration n’est pas une bonne chose.

« Le conseil d’administration est le patron du directeur général. C’est lui qui l’évalue, qui lui donne des mandats, qui va le congédier s’il ne fait pas du bon boulot. Le directeur général ne peut pas être à la tête de l’organisation qui le supervise », explique-t-il.

Ce cumul des rôles pour Mario Grégoire ne semble toutefois pas déranger les membres du CDPSF interrogés par Conseiller.

« Les gens à la tête du Conseil ont toute ma confiance », indique Alain Myrand, Pl. Fin.

« L’organisation est bien gérée, elle a une bonne structure », ajoute Jean-François Gauthier.

Notons qu’il est déjà arrivé, dans l’histoire de la CSF, que le président du conseil d’administration soit aussi directeur général. Ce fut notamment le cas en 2003 lorsque Martin Rochon assumait la présidence du CA et la direction générale par interim.

Invité à commenter, le CDPSF a indiqué ne pas pouvoir donner suite à la demande d’entrevue de Conseiller jusqu’à la tenue de son assemblée générale extraordinaire, ainsi qu’en raison des procédures juridiques entamées dans le cadre du conflit avec la CSF.

Plusieurs services jugés satisfaisants

S’ils ne savent pas toujours quelle est la mission du CDPSF, ses membres se disent toutefois satisfaits des services qu’ils reçoivent.

Plusieurs de ceux interrogés par Conseiller ont notamment apprécié les formations auxquelles ils ont assisté.

« Les sujets sont bons, ils complètent bien notre pratique. Il y a tellement de changements, les formations nous permettent de rester à jour », indique Gabriel Paradis, qui estime que leur rapport qualité-prix demeure très raisonnable.

Ils ont aussi été nombreux à souligner leur satisfaction envers l’assurance collective et l’assurance responsabilité professionnelle auxquelles ils peuvent souscrire en étant membre, ainsi que la possibilité de recourir aux services d’une avocate.

REPRÉSENTATION POLITIQUE

Plusieurs conseillers ont également affirmé que le CDPSF représente bien leurs intérêts.

« Nous, les représentants autonomes, contrairement aux banques, nous ne pouvons pas nous payer de lobby. Le Conseil fait contrepoids », estime Alain Myrand.

De son côté, le Pl. Fin. Benoît Théroux aimerait bien voir l’organisation s’attaquer au remboursement de la TVQ sur les dépenses faites dans le but de fournir des services financiers aux clients, avantage aboli en 2013 lorsque la taxe a été harmonisée avec la TPS.

« On perd entre 15 000 et 20 000 $ chaque année à cause de ça. Ça pourrait être un beau cheval de bataille », croit-il.

« Je suis satisfaite de leur bilan. Il faut laisser la chance au coureur. Le CDPSF a accompli beaucoup de choses, notamment la croissance de son nombre de membres et une bonne offre de services », juge pour sa part Pauline Haddad.

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Christine Bouthillier

Titulaire d’un baccalauréat en science politique et d’une maîtrise en communication de l’Université du Québec à Montréal, Christine Bouthillier est journaliste depuis 2007. Elle a débuté sa carrière dans différents hebdomadaires de la Montérégie comme journaliste, puis comme rédactrice en chef. Elle a ensuite fait le saut du côté des quotidiens. Elle a ainsi été journaliste au Journal de Montréal et directrice adjointe à l’information du journal 24 Heures. Elle travaille à Conseiller depuis 2014. Elle y est entrée comme rédactrice en chef adjointe au web, puis est devenue directrice principale de contenu de la marque (web et papier) en 2017, poste qu’elle occupe encore aujourd’hui.