Ces commissions que le client ne saurait voir…

2 mai 2013 | Dernière mise à jour le 2 mai 2013
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À partir du 15 juillet 2013, les conseillers et leurs firmes devront prendre les mesures pour se conformer à la réglementation amendée de 31-103. Par la suite, il y aura trois dates butoirs pour la vérification de la mise en application des règles selon un échéancier précis.

Nul ne peut être contre la vertu. Encore moins agir à l’encontre de son code de déontologie! De fait, ce à quoi sont parvenues les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM), c’est de se servir du premier énoncé pour court-circuiter l’autre.

Entendu que les épargnants ont pleinement le droit d’être informés sur les produits et services financiers qu’ils consomment. Le système actuel au Québec, bien que perfectible, a quand même démontré son efficacité et sa sécurité pour les consommateurs. Sur 31 500 conseillers inscrits, 0,2 % ont été traduits devant le comité de discipline de la Chambre en 2011. Au total, toujours en 2011, trois plaintes ont été déposées au comité de discipline pour le manquement suivant : « a transmis de l’information ou des explications incomplètes, trompeuses ou mensongères ». Si un client s’était jamais plaint officiellement auprès de l’organisme de ne pas avoir été mis au courant des commissions versées à son conseiller pour l’acquisition de ses fonds, c’est dans cette rubrique qu’on l’aurait classé. À ma connaissance, ce n’est jamais arrivé…

Yves Bonneau, rédacteur en chef du magazine Conseiller.

Pourtant, d’aucuns croient que la divulgation détaillée et consignée sur papier des commissions, telle qu’exigée par les ACVM, est vitale à la conformité et ouvrira enfin les yeux du client qui ne connaît pas l’ampleur de la rémunération de son conseiller pour le travail qu’il accomplit.

La question ici ne devrait pas être d’ordre quantitatif mais bien de principe. M’est avis que ce n’est pas uniquement sur cette base que les ACVM ont analysé le « problème » qu’ils croient avoir identifié.

Ce qui est certain cependant, c’est qu’elles ont fait complètement abstraction du contexte québécois pour imposer leurs nouvelles règles. On s’explique mal d’ailleurs comment il se fait que l’Autorité des marchés financiers (AMF), qui siège au comité des ACVM, n’ait pas levé le petit doigt pour défendre le système québécois, qui semble plutôt bien fonctionner. C’est comme si l’AMF avait décidé d’ignorer l’existence de la Chambre de la sécurité financière, du code de déontologie auquel tous les conseillers doivent se conformer, du comité de discipline et même de la prépondérance du Code civil… On comprend que, dans un contexte de common law, comme dans le reste du Canada, il puisse être plus ardu de baliser la divulgation des commissions des conseillers, mais la pratique est déjà amplement encadrée ici. A-t-on vraiment besoin d’une nouvelle mesure de contrôle?

Va pour le droit d’obtenir une information précise et claire, mais qu’en est-il du devoir du client de s’informer? Une partie de la responsabilité incombe résolument au consommateur et on ne peut l’informer de force. En matière de consommation, les exemples ne manquent pas pour illustrer les limites de la divulgation et en contrepartie de l’importance de l’établissement d’une relation de confiance entre le client et le fournisseur de biens et services.

Au garagiste de confiance à qui vous avez laissé votre voiture, redemandez-vous si les pièces qu’il a installées sur votre véhicule sont réellement des pièces d’origine comme il vous l’avait confirmé au téléphone? Évidemment, sur des pièces du marché secondaire, la marge de profit est plus élevée et elles peuvent même être vendues et installées au prix des pièces d’origine sans que le client le sache. Il est plutôt complexe de vérifier la marque d’un roulement à bille à l’intérieur d’une boîte de vitesse, non? Pourtant, vous continuez de faire affaire avec votre garagiste. Pourquoi? Vous lui faites confiance. Vous valorisez ses conseils et son expertise. Pourquoi en serait-il autrement entre un conseiller et son client? L’industrie des produits et services financiers serait-elle un repaire d’individus indignes de confiance où il faut consigner chaque détail concernant la rémunération? Sur le relevé de compte, faudra-t-il également soustraire à ces commissions divulguées chaque dollar dépensé en permis de pratique, en cours de formation continue, en assurances responsabilité professionnelle, en cotisations au fonds d’indemnisation, en inspection de conformité, en temps consacré à la paperasse administrative et en impôt pour que le client comprenne bien la situation d’affaires du conseiller?

Il y avait néanmoins une avenue mitoyenne pour aider les clients à comprendre la rémunération de leur conseiller, mais elle a été ignorée. Les structures de commissions comme on les connaît sont une invention des manufacturiers. Depuis des décennies, ces derniers en profitent largement, aussi. Pourquoi ne pas avoir exigé l’uniformisation de ce système? Cela aurait certainement simplifié leur présentation sur l’état de compte du client. Pourquoi ce système de commissions, aujourd’hui décrié, est-il perçu comme un système favorisant uniquement les conseillers aux yeux des ACVM et des redresseurs de torts?

L’investisseur et l’épargnant ne sont-ils pas aussi les clients des manufacturiers? Pourquoi ne pas aider systématiquement les conseillers à faire ce travail de divulgation et d’information auprès de la clientèle? Les ACVM semblent avoir bien peu impliqué les manufacturiers dans leur démarche.

Enfin, comment se fait-il que l’industrie de l’assurance, qui distribue des produits financiers comparables, ne soit aucunement visée par le même type de divulgation des commissions versées aux représentants? Il s’agit d’une iniquité majeure à l’endroit des représentants en valeurs mobilières et en épargne collective.


Yves Bonneau, rédacteur en chef yves.bonneau@objectifconseiller.rogers.com


Cet article est tiré de l’édition de mai 2013 du magazine Conseiller. Consultez-le en format PDF.

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