Comité de discipline : deux juges vous disent tout

Par Didier Bert | 27 octobre 2014 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Yvon Fortin, assureur vie agréé et planificateur financier, membre du comité de discipline de la CSF depuis plus de 15 ans.

Vous connaissez sans doute un conseiller qui est déjà passé devant le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (CSF). Peut-être avez-vous, vous-même, été convoqué devant le tribunal en déontologie. Conseiller a rencontré deux représentants qui ont déjà occupé la délicate fonction de juger leurs pairs.

En apparence, une audience du comité de discipline de la CSF ressemble à une audience au palais de justice de Montréal. Dans la petite salle du 26e étage de l’édifice montréalais*, non loin du mont Royal, trois juges et une greffière font face aux parties. Le président du comité est habituellement un ancien avocat disposant d’une expérience de dix ans et plus. Il est le seul à prendre la parole dans le trio. Ses deux co-juges sont des représentants, que le conseil d’administration de la CSF nomme pour un mandat de trois ans, qui exercent dans le même champ de pratique que l’accusé. À droite des juges, l’accusé et son avocat. À gauche, l’avocat de la syndique de la CSF. Le vocabulaire juridique est ciselé et courtois. Les débats n’oublient pas le protocole (se lever à l’entrée et à la sortie des juges).

L’absence de public laisse à penser que les audiences du comité sont privées. Ce n’est pas le cas. Un jour où l’un des journalistes de Conseiller s’est présenté à une audience, les avocats se sont empressés de demander qui était cette personne curieuse venue assister aux débats. « C’est très rare ! », s’est exclamée une avocate. Une autre a même demandé à la présidente du comité de discipline d’interdire au journaliste de rendre compte de l’audience, craignant pour la réputation de son client. Sans parvenir à la convaincre.

« C’est le lot des tribunaux professionnels de ne pas susciter l’intérêt du public, bien que leur mission soit de protéger celui-ci, relève René Vallerand, avocat associé chez Donati Maisonneuve, et habitué à intervenir en droit disciplinaire. Suivre les débats demande un minimum d’expertise, de nature à décourager les spectateurs. »

L’expertise des pairs

« Quand on accuse quelqu’un de mauvais comportement professionnel, ce n’est pas toujours aussi simple qu’une appropriation de fonds », affirme Yvon Fortin, assureur vie agréé et planificateur financier. M. Fortin est membre du comité de discipline depuis plus de 15 ans. « Ce n’est pas difficile de juger un collègue, ajoute-t-il, on est plus objectif que d’autres, car on a la compétence. Comme pairs, on est capable de séparer le bon grain de l’ivraie. »

Même quand des clients ont été floués, il est rare d’en trouver un pour suivre les audiences, ont indiqué les avocats croisés à la sortie de la salle. Il faut préciser que le comité de discipline n’a aucun pouvoir d’attribuer une compensation aux victimes de manquement à la déontologie.

Parfois, c’est l’accusé qui ne se présente pas à l’audience. « Certains ne viennent pas, sans même avoir demandé de report de l’audience », constate Louis Lespérance, président de BECAS Assurances, qui a été membre du comité de discipline de 2009 à 2012. Dans un tel cas, le syndic fait sa présentation et l’intimé est presque certain d’être déclaré coupable.

« Quand on leur parle du comité, la plupart des conseillers voient des gens qui sont là pour punir », indique M. Lespérance. Pourtant, avant d’y arriver, les démarches sont nombreuses. « Il faut quand même l’avoir cherché », assure-t-il.

Entre le dépôt d’une demande d’enquête et la présentation devant le comité de discipline, il peut s’écouler plusieurs mois. Durant ce délai, le syndic de la CSF mène son enquête. Il peut décider de ne pas porter plainte, et donc d’abandonner les poursuites. Le syndic peut également réprimander l’intimé. La présentation du représentant incriminé devant le comité de discipline est donc la mesure la plus sévère.

En 2013, le bureau de la syndique de la CSF a transmis 20 % de ses dossiers au comité de discipline, soit 87 plaintes disciplinaires issues d’un total de 437 enquêtes traitées. Trente-deux pour cent des enquêtes ont donné lieu à l’imposition de mesures administratives (mise en garde, engagement volontaire à suivre un cours de conformité). Enfin, 48 % des dossiers ont été classés sans suite pour diverses raisons (manque de preuve, demande infondée, retrait de l’industrie, etc.).

« Quand le syndic demande des explications à un représentant, celui-ci devrait y porter une attention importante, conseille M. Lespérance. Il devrait répondre dans les délais, dès la première demande, et se nantir d’un avocat connaissant le domaine, pour procéder correctement. Souvent, l’impliqué réduira ainsi

l’ampleur des conséquences. » Et évitera peut-être de voir son dossier transmis au comité de discipline. « L’avocat et le syndic peuvent prendre un arrangement entre eux », observe également Louis Lespérance. La sanction peut alors se limiter à une réprimande ou à l’obligation, pour le conseiller, de suivre un cours de conformité.

Si le syndic décide de transmettre le dossier au comité de discipline, la machine se met en marche. À tour de rôle, les 71 membres du comité reçoivent un courriel leur demandant leurs disponibilités à une date donnée pour le dossier en question. Ils doivent répondre en précisant s’ils sont en conflit d’intérêts dans la cause à entendre, par exemple s’ils travaillent avec le représentant accusé.

Les membres retenus pour être juges reçoivent alors les chefs d’accusation formulés par le syndic. « Le dossier est habituellement très élaboré, très factuel, indique M. Lespérance. C’est aussi pour cela qu’un conseiller devrait se présenter avec un avocat : il a affaire à un syndic qui est lui-même avocat. » De préférence, le juriste devrait être expérimenté en cause déontologique. M. Lespérance se souvient d’une audience au cours de laquelle le président du comité n’avait pas hésité à reprendre l’avocat de l’accusé. « Il enterrait son client plus qu’autre chose parce qu’il ne connaissait pas le domaine. »

*Il arrive que les audiences se tiennent en région.

Une bombe chez le juge

Yvon Fortin a fait les manchettes en septembre 2006, alors qu’il faisait partie des juges du comité de discipline chargés d’entendre Vincent Lacroix, accusé de fraude dans l’affaire Norbourg. Le jour où les audiences devaient débuter, une bombe avait explosé à l’entrée de sa résidence, faisant voler en éclats son portail. « Selon la police, ç’aurait été lié avec mon implication dans le comité, indique M. Fortin. Mais ça n’a jamais été prouvé. Le comité m’a demandé si je voulais me récuser, j’ai répondu non. Je ne voulais pas donner le droit à des gens mal intentionnés de prendre le contrôle. »

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Notre dossier sur les 15 ans de la CSF :

Ce texte est paru dans l’édition d’octobre 2014 de Conseiller. Cliquez ici pour consulter l’ensemble du numéro.

Didier Bert

Didier Bert est journaliste indépendant. Il collabore à plusieurs médias sur les thèmes de l’économie, des finances et du droit.