Conseillers ou têtes de turc?

Par Yves Bonneau | 4 janvier 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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• Ce texte est paru dans l’édition de janvier 2006 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.


Les professionnels des services financiers en ont ras le bol d’être pris à partie chaque fois qu’un scandale financier éclate. Comment se fait-il que les conseillers se font semoncer comme si les malversations étaient la règle au sein de la profession? Le temps est venu pour les conseillers de riposter.

L’année 2005 a fourni plusieurs occasions de tester nos gendarmes des marchés financiers. Ici même, est-il nécessaire de rappeler les Norshield (500 M$), Norbourg (130 M$), Mont Real/iForum (65 M$), (Argentum (3,3 M$) et Zénith (6 M$).

Au sud de la frontière, les CIBC, RBC et TD ont été mêlées au scandale Enron (pour des règlements respectifs de 2,4 G$, 590 et 300 M $US). Chez nos voisins ontariens, la synchronisation des marchés par cinq sociétés de FCP (une iniquité de 58 M$) et l’affaire Portus (240 M$ dont Manuvie a couvert les pertes pour ses clients) ont eu aussi des échos ici.

Décidément, les malversations ont été monnaie courante l’an dernier dans notre secteur d’activités et l’Autorité des marchés financiers (AMF) a été mis à rude épreuve.

De leur côté, et à sentir la morosité ambiante des investisseurs, 99,9 % des conseillers pourraient se poser la question suivante: sommes-nous vraiment des escrocs? Et, à la réponse évidemment négative, le corollaire: pourquoi les consommateurs ont-ils si peu d’estime envers les professionnels des services financiers aujourd’hui?

Les paroles du patron de l’AMF nous donnent un bon indice de la perception des gens. En effet, Jean Saint-Gelais s’est fâché à la sortie du Congrès de l’assurance en novembre dernier et, selon les propos rapportés par le Journal de l’assurance, il a affirmé le plus sérieusement du monde: «J’aimerais que les conseillers en arrivent un jour à se dire qu’ils n’aimeraient pas tomber dans les filets de l’Autorité!» Avez-vous dit, racaille?

Avouez qu’une pareille affirmation a de quoi vous décrocher la mâchoire, et davantage en considérant le contexte entourant cette citation.

Ironiquement, M. Saint-Gelais venait de prononcer une allocution sur l’importance de l’éthique dans les pratiques commerciales des conseillers. On se demande alors comment le PDG de l’AMF a pu accepter de partager la même tribune que celle des trois conférenciers précédents du MDRT, dont la présentation s’intitulait: Les champions de la vente! Découvrez ce que font les meilleurs vendeurs pour atteindre des sommets.

Sans dénigrer les pratiques de vente à gros volumes qui prévalent encore dans certains cabinets dont les méthodes appartiennent à un autre âge, on s’attend néanmoins à ce que l’entourage de M. Saint-Gelais fasse preuve de plus de circonspection avant de l’associer à un événement qui fait la promotion à outrance de la vente avant de faire l’apologie du conseil.

Mais revenons à la litanie de scandales de 2005 et comparons-la avec le nombre de conseillers qui ont eu maille à partir avec les filets de l’AMF.

On lit dans le rapport annuel de 2004 de la Chambre de la sécurité financière : « 14 dossiers portés en discipline ont fait l’objet de radiations temporaires et 7 dossiers se sont conclus par des radiations permanentes ». Donc, sept exclus sur 28 647 conseillers ou 0,02 %! La question que tous les conseillers posent maintenant à M. Saint-Gelais est la suivante : a-t-on le droit de faire planer le doute sur l’intégrité des conseillers avec des envolées de la sorte? L’attitude paternaliste de M. Saint-Gelais laisse tous les professionnels pantois.

Faut-il également rappeler à M. Saint-Gelais que les plus récentes condamnations, amendes et peines de prison ont été prononcées contre les Stevens Demers, Michael Macinnis, Ghislain Morin ou Camil Girard, qui ne sont PAS des conseillers, mais des gens qui ont soit usurpé ce titre ou soit commis des délits d’initiés?

Sur son site, l’AMF souligne que plus de 500 personnes travaillent pour elle. Avec 3 871 employés, la SEC dispose d’environ huit fois plus de personnel, alors qu’elle réglemente des marchés boursiers 100 fois plus importants et beaucoup plus complexes pour environ 100 millions d’investisseurs.

On peut se demander, comme le faisait remarquer dans La Presse Michel Magnan, titulaire de la chaire de comptabilité Lawrence Bloomberg à l’École de gestion John-Molson de l’Université Concordia, si l’utilisation de ces ressources est focalisée sur les bons enjeux? Comme des règles et des procédures existent afin de protéger l’investisseur et qu’un système pour pénaliser rapidement les fraudeurs est en place, on doit maintenant voir où se trouvent vraiment les fraudeurs!

Il est temps que l’AMF reconnaisse l’importance des professionnels qui œuvrent chaque jour auprès du public. L’intégrité et l’empathie des conseillers pour leurs clients peuvent aussi être des remparts contre les malversations qui pourraient survenir au sein de leur réseau ou de leur entreprise.

Bonne année malgré tout!

Yves Bonneau, rédacteur en chef


• Ce texte est paru dans l’édition de janvier 2006 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Yves Bonneau