Coût des médicaments : planifier l’incertitude

Par André Giroux | 21 juin 2011 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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La population vieillit, les médicaments coûtent cher, les régimes publics d’assurance médicaments s’essoufflent, certains craignent la désassurance. Que dire aux clients? Les avis divergent.

Président de J. L’Espérance Actuariat Conseil inc., Jacques L’Espérance y va dès le départ d’une mise en garde : « Nous pouvons prévoir à peu près correctement l’augmentation des besoins de santé dans une entreprise de plus de 500 employés ou de l’ensemble de la société sur un horizon de 10 à 20 ans, affirme-t-il. Par contre, établir des prévisions pour une seule personne devient beaucoup plus difficile. Si j’ai 10 000 personnes devant moi, les probabilités sont que deux d’entre elles mourront dans la prochaine année. Si je n’ai qu’une seule personne devant moi, je n’en ai aucune idée. Je peux devenir paraplégique dans deux ans; mes besoins changeront alors radicalement. »

Sur un horizon de 10 à 15 ans, Jacques L’Espérance prévoit une hausse annuelle de 4 à 5 % du coût des médicaments. « Sur 20 ans, ma boule de cristal s’embrouille », nuance-t-il.

« Malgré tout ce que l’on peut entendre, la hausse des coûts ralentit depuis trois ou cinq ans. D’une part parce que nombre de brevets de médicaments d’origine arrivent à échéance prochainement, si ce n’est pas déjà fait. Cela laisse une plus grande place aux médicaments génériques, moins coûteux. D’autre part, on ne prévoit pas à court terme la sortie de nouveaux médicaments très coûteux et qui viseraient une partie importante de la population. Les nouveaux médicaments s’adressent à une population beaucoup plus ciblée, donc petite en nombre. »

Le régime public d’assurance médicaments aide certainement les citoyens, mais complique la tâche des actuaires, opine Jacques L’Espérance. Que feront les pouvoirs publics dans dix ans? Bien malin qui pourra le prédire. « Je serais très étonné que l’État abandonne ce programme, mais le modifiera-t-il? Et si oui, de quelle manière? Nous ne pouvons rien prévoir à cet égard. »

« J’ai 57 ans, je suis travailleur autonome, mais je ne prévoirai rien dans ma planification financière à l’égard des médicaments », affirme Jacques L’Espérance.

« Le coût des médicaments augmente avec l’âge », convient Frédérik Venne, vice-président de Aon Hewitt, section assurances collectives, une firme de consultants.

« Dans nos évaluations actuarielles, précise-t-il, nous prévoyons une hausse annuelle de 5 à 7 % pour les personnes âgées de 50 à 64 ans et de 1 à 4 % pour les personnes de 65 ans et plus. C’est que beaucoup de maladies chroniques commencent dans la cinquantaine. »

Les retraités, les laissés-pour-compte de l’assurance médicaments? Pour le citoyen québécois inscrit au régime public, le coût des médicaments n’excède pas 1 600 $ par année : une prime maximale de 600 $ payable à même les impôts et une franchise maximale de 963 $ lors de l’achat des médicaments à la pharmacie (Voir tableau).

RAMQ – Population âgée de moins de 65 ans ne bénéficiant d’aucun régime particulier : contribution directe au paiement des médicaments
Année

Prime maximale annuelle payée dans la déclaration de revenus

(Hausse annuelle)

($)

Franchise

($)

Coassurance

(%)

Contribution maximale

($)

Augmentation de la contribution maximale

(%)

2010

600 (2,6 %)

16,00/mois 192,00/an

32

80,35/mois

964/an

0,9

2009

585 (2,6 %)

14,95/mois

179,40/an

31

79,53/mois

954/an

2,9

2008

570 (2,3 %)

14,30/mois

171,60/an

30

77,21/mois

927/an

2,5

2007

557 (3,5 %)

14,10/mois

169,20/an

29

75,33/mois

904/an

2,6

2006

538 (3,3 %)

12,10/mois

145,20/an

28,5

73,42/mois

881/an

2,8

2005

521 (5,5 %)

11,90/mois

142,80/an

28

71,42/mois

857/an

2,1

Note : La RAMQ établit les maxima de la franchise et de la contribution maximale sur une base mensuelle, que nous avons aussi transposé sur une base annuelle. La coassurance indique la proportion du médicament payée par le citoyen après le paiement de sa franchise. La contribution maximale annuelle n’inclut pas le coût de la prime. Source : Le Régime public d’assurance médicaments – L’historique

Certaines assurances collectives remboursent une partie ou la totalité de ces coûts, mais les personnes de plus de 65 ans en profiteront de moins en moins. « Depuis le 1er janvier 2000, explique Frédérik Venne, les entreprises doivent déclarer une partie de leurs engagements financiers futurs dans leurs états financiers. Cette obligation a amené beaucoup d’entreprises à retirer cette protection à leurs retraités. Dans l’avenir, très peu de retraités bénéficieront du régime privé d’assurance médicaments. »

Actuellement, le régime gouvernemental paie 68 % du coût du médicament acheté en pharmacie, tandis que le consommateur en assume 32 %, jusqu’à concurrence de 963 $ par année par adulte. « Au cours des dernières années, la franchise et la prime du régime public ont augmenté de 2 à 3 % par année, constate Frédérik Venne. La faiblesse relative de cette hausse s’explique par le fait que le gouvernement paie une partie de sa part des médicaments à même les fonds généraux plutôt qu’uniquement à partir des primes que paient les citoyens dans leur rapport d’impôt. »

Les compagnies d’assurance ne bénéficient évidemment pas d’une telle possibilité, elles doivent prévoir une pleine indexation des coûts. « Au cours des dernières années, précise Frédérik Venne, le coût des médicaments a augmenté de 5 % par année, tandis que les régimes d’assurance collective estiment une hausse annuelle de 7 à 8 % pour les cinq à dix prochaines années. » Qu’adviendra-t-il dans 10 à 20 ans? « Je n’en sais rien » répond Frédérik Venne. « Quelle sera la volonté politique dans un contexte de hausse du nombre de personnes âgées? Pourra-t-on maintenir le régime actuel? Le gouvernement devra-t-il hausser les primes ou les franchises? Puisera-t-il davantage dans les fonds généraux? J’ai l’intuition que les Québécois exigeront une solide protection : nous n’avons pas la même philosophie que les autres provinces. Par contre, si nous conservons le régime actuel, il ne sera pas nécessairement abordable. Comme société, nous devrons réévaluer nos choix. »

Faudra-t-il aussi épargner pour les médicaments? Frédérik Venne, plus jeune que Jacques L’Espérance, planifie différemment son avenir. « J’ai 35 ans, j’épargnerai afin de prévoir couvrir des coûts de médicaments plus élevés qu’ils ne le sont aujourd’hui. De quel ordre de grandeur? Cela me paraît très difficile de le prédire aujourd’hui. »

Son conseil : « Soyez conscients que vos dépenses de médicaments seront probablement plus élevées lors de votre retraite que ce que paient les retraités d’aujourd’hui. Le régime public deviendra probablement moins généreux, ce qui augmentera les coûts pour les citoyens, soit sous forme d’assurance, soit sous forme de médicaments. Dans quel ordre? Impossible à dire actuellement. »

D’autres questionnent le mal à la source : le coût des médicaments et les profits des entreprises pharmaceutiques. L’Union des consommateurs relève les informations suivantes : au cours des 20 dernières années, le coût moyen des médicaments a augmenté de 10,5 %. En 2008, le coût des médicaments représentait 21 % des dépenses de santé au Québec, occupant ainsi le premier rang par habitant au pays. À l’échelle internationale, le Canada se classe au deuxième rang mondial pour le coût des médicaments.

L’an dernier, le gouvernement ontarien annonçait une économie annuelle de 164 millions de dollars à son régime d’assurance médicaments, réalisée en abaissant de moitié le prix payé pour ses médicaments génériques. Des voix s’élèvent pour que le Québec fasse la même chose.

Les médicaments, combien ça coûte? Mariés, Marc et Louise perçoivent un revenu familial net de 44 000 $. Ils ne bénéficient d’aucune assurance privée couvrant les médicaments. Ils ont deux enfants : Nadine, 17 ans, et Martin, 23 ans. Les deux enfants étudient à temps plein et demeurent sous le toit familial.

Louise a besoin de médicaments pour contrôler sa maladie chronique. Martin doit prendre des médicaments de janvier à avril. Les deux médicaments sont inscrits à la liste de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ). En 2010, le coût total des médicaments s’est élevé à 100 $ par mois pour Louise, montant similaire à la moyenne des déclarations à la RAMQ. Le coût est plus élevé pour Martin : 300 $. Comment la famille et la RAMQ se partageront-elles les coûts?

Louise et Marc ont d’abord dû payer une prime de 600 $ chacun dans leur déclaration de revenu. Martin, âgé de moins de 26 ans, étudiant à temps plein vivant chez ses parents, n’a aucune prime à verser. Nadine, enfant mineure, non plus.

Quel montant Louise devra-t-elle verser au pharmacien? Du coût total du médicament (100 $ par mois), elle devra d’abord assumer la franchise : 16,00 $. (Voir tableau) À ce montant s’ajoute la coassurance, c’est-à-dire 32 % du solde : (100 $ – 16,00 $) * 32 % = 26,88 $. Pour Louise, le cumul de la franchise et de la coassurance s’élève à 42,88 $ par mois ou 514,56 $ par année. Le médicament de Martin coûte beaucoup plus cher : 300 $ par mois. La franchise demeure la même : 16,00 $. Il paie 32 % du solde, donc 90,88 $ (284,00 * 32 % = 90,88 $). Franchise et coassurance s’élèvent donc à 106,88 $, un montant nettement supérieur à la contribution maximale de 80,35 $. C’est ce dernier montant que Martin ou ses parents devront débourser.

Martin n’ayant eu besoin de médicaments que pendant quatre mois, le coût annuel s’élève à 321,40 $. Ajouté au coût des médicaments de sa mère, 514,56 $ par année, la famille devra débourser un total de 835,96 $ au pharmacien et de 1 200 $ au fisc. Total de la facture : 2 035 $. De la même façon, s’il s’agissait d’une assurance privée, ce montant pourrait servir de base à l’obtention d’un crédit d’impôt pour frais médicaux.

Et la médecine privée? En juin 2005, le Dr Jacques Chaoulli a convaincu la Cour suprême du Canada de lever l’interdiction de payer pour des services hospitaliers ou d’acheter des assurances privées couvrant les services offerts dans le système public de santé. Avons-nous connu le vent de changement annoncé?

« Les cliniques privées existent, mais en très petit nombre », répond Jacques L’Espérance, président de J. L’Espérance Actuariat Conseil. « Il en existe peut-être 25 au Québec. Sur 15 000 médecins omnipraticiens ou spécialistes 100 ou 200 tout au plus se sont désaffiliés du régime public. Il s’agit d’un phénomène marginal. »

Connaîtrons-nous un accroissement significatif de ce phénomène? Jacques L’Espérance en doute. « Il n’existe pas d’assurance pour la médecine privée et les médecins doivent composer avec la capacité limitée de payer des citoyens. Quant au régime de santé public, il s’améliore graduellement, mais on en entend peu parler. C’est quand ça va mal qu’on le sait. »

Depuis le 1er juin 2007, la législation québécoise autorise la souscription à une assurance privée pour les opérations à la hanche et au genou, ainsi que pour l’extraction de la cataracte. « Aucun assureur ne couvre ces services, souligne Jacques L’Espérance. Il n’existe pas de marché suffisant. »

L’actuaire compare avec la situation américaine : « Aux États-Unis, l’assurance individuelle privée ne représente que 5 à 10 % du marché. Tout le reste relève des assurances collectives. Or, au Canada, les employeurs ne sont pas intéressés à couvrir des services que le citoyen peut obtenir du service public de santé. »

Reste les assurances contre les maladies graves, qui offrent un montant forfaitaire en cas de réclamation, mais les assureurs ne couvrent que les maladies inscrites sur leur liste.

Cet article est tiré de l’édition de mai du magazine Conseiller. Consultez-le en format PDF.

André Giroux