De plus en plus d’aînés québécois sont endettés

Par La rédaction | 10 mai 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Les aînés québécois qui vivent des prestations universelles n’ont pas les moyens de mener une existence digne, d’autant que beaucoup d’entre eux sont de plus en plus endettés, selon une étude publiée mercredi par l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS).

Dans cette analyse d’une douzaine de pages, l’IRIS passe au crible la situation des personnes de 65 ans et plus. Et d’après ses calculs, celle-ci n’est guère reluisante puisque les montants de retraite publics ne leur permettent pas d’obtenir un revenu viable. En moyenne, il manque 5 000 dollars annuellement à une personne seule résidant à Montréal, tandis qu’au Québec, près de 50 % des aînés vivant seuls ont un revenu insuffisant.

Rappelant que les 65 ans et plus représentent aujourd’hui près de 20 % de la population dans la province, soit le double de ce qu’elle était en 1990, l’auteure de l’étude Eve-Lyne Couturier explique que pour pouvoir leur offrir des conditions de retraite convenables, il serait notamment nécessaire que les personnes âgées restent plus longtemps sur le marché du travail. Cette tendance se manifeste d’ailleurs depuis la crise financière de 2008, note-t-elle, puisque « l’âge médian de la retraite n’a jamais été aussi élevé depuis la fin des années 1980 ».

TROP DE RESPONSABILITÉS SUR LES PARTICULIERS

« Tel qu’il est conçu, le système de retraite fait reposer une part importante de la responsabilité sur les épaules des individus », observe la chercheuse, qui relève que « les programmes de soutien au revenu universel permettent d’assurer un revenu minimal plus élevé que ce qui est offert en aide sociale ». Lorsqu’on combine la Pension de la sécurité de la vieillesse (PSV), le Supplément de revenu garanti (SRG) et les crédits d’impôt de base, « on obtient un revenu annuel d’environ 18 400 dollars, soit environ 8 000 dollars de plus qu’à l’aide sociale », détaille-t-elle.

Cela dit, un tel montant ne suffit pas à combler l’ensemble des besoins d’une personne, surtout en milieu urbain, ajoute Eve-Lyne Couturier. La mesure du panier de consommation (MPC), un outil qui reflète le niveau de revenu nécessaire pour couvrir les besoins de base d’un individu, passe de 16 500 dollars pour le résident d’une ville de 30 000 à 100 000 habitants à 17 700 dollars pour un Montréalais.

Avec « beaucoup de discipline, un peu de chance et sans imprévus », les prestations de base pour les personnes seules de 65 ans et plus leur permettent donc, en théorie, d’avoir un toit, de manger, de s’habiller et de se déplacer, indique la chercheure. Le hic, c’est que le fait de percevoir un revenu plus élevé que la MPC « n’équivaut pas à sortir de la pauvreté, mais seulement à recevoir le minimum nécessaire pour répondre à ses besoins essentiels », et encore, à condition de bénéficier d’un loyer abordable et de n’avoir ni dettes ni problèmes de santé.

LES RÉGIMES PUBLICS « NE SUFFISENT PAS »

Pour tenter d’établir un portrait plus exact de la situation économique des aînés dans la province, l’IRIS préfère donc utiliser un deuxième indicateur, baptisé salaire ou revenu viable, correspondant « au salaire horaire qu’il est nécessaire de recevoir à temps plein afin de pouvoir non seulement répondre à ses besoins, mais également espérer sortir de la pauvreté ». Concrètement, cet outil prend en compte les dépenses de base (logement, alimentation, transport, vêtements, etc.), mais en inclut aussi d’autres « qui permettent de vivre dans la dignité », comme les sorties culturelles, les vacances ou les économies en cas d’imprévus.

Selon les calculs de l’IRIS, qui affirme « tenir compte de la réalité des personnes à la retraite, notamment en prévoyant des dépenses de santé plus élevées », le niveau de revenu annuel permettant d’assurer une vie convenable se situe entre 21 200 et 28 500 dollars pour une personne seule autonome habitant en milieu urbain. Des montants « bien plus élevés que ce que l’on obtient grâce à la PSV et au SRG », déplore Eve-Lyne Couturier.

Verdict de la chercheuse : « À moins d’avoir un très bon emploi depuis le début de sa vie active et d’être en mesure de rester au travail longtemps, il est pratiquement impossible d’avoir un revenu viable avec les seuls régimes de couverture publique. »

DES AÎNÉS SURENDETTÉS

Le tableau est d’autant plus préoccupant que les aînés sont de plus en plus nombreux à être endettés, voire surendettés, et que tous n’ont pas forcément les moyens de faire face à leurs obligations, souligne-t-elle. D’après une étude de la Financière Sun Life citée dans la note de l’IRIS, un retraité sur cinq paie encore son hypothèque, tandis que 25 % sont incapables de rembourser le total du solde de leur carte de crédit chaque mois. Relevant que les personnes à la retraite demeurent moins endettées que l’ensemble de la population, Eve-Lyne Couturier constate que cette situation est néanmoins en train de changer.

Non seulement les retraités sont de plus en plus nombreux à contracter des dettes, mais leur niveau d’endettement moyen augmente également. Entre 1999 et 2015, celui-ci a ainsi progressé de 76 % (en dollars constants), passant d’une moyenne de 30 000 dollars à près de 55 000 dollars pour ceux avaient des dettes. Un phénomène qui explique en partie pourquoi les personnes âgées sont de plus en plus nombreuses à déclarer faillite, selon la chercheuse. L’an dernier, les plus de 65 ans comptaient pour 12 % des ménages ayant déclaré faillite, soit une hausse de plus de 20 % en cinq ans.

« L’état de notre système de retraite a de quoi préoccuper. Les travailleurs sont peu et mal équipés pour économiser en vue de leurs vieux jours, l’endettement croissant des ménages augmente la précarité vécue à la vieillesse, et le marché du travail peine à s’adapter aux travailleurs âgés. Pour plusieurs, les difficultés rencontrées au cours de la vie active les empêchent de profiter pleinement des beaux jours de la retraite. Pour d’autres, l’âge devient un facteur incapacitant aux yeux de certains employeurs », détaille l’IRIS.

UNE RÉVISION EXIGÉE

« Le portrait actuel montre l’échec du système à responsabiliser les employeurs en termes de régime de retraite pour leurs employés, estime Eve-Lyne Couturier. Et malheureusement, les réformes récentes ne parviennent pas à améliorer la condition des personnes qui en ont vraiment besoin. Alors que l’on se contente de hausser le plafond des cotisations au Régime enregistré d’épargne-retraite, favorisant ainsi les personnes aisées qui peuvent épargner plus, le nombre de celles qui ont recours au nouveau régime volontaire d’épargne-retraite est anémique. Même la réforme de la Régie des rentes du Québec n’entrera en vigueur qu’après 2060. »

« Le système québécois doit être revu afin que la responsabilité [de l’épargne-retraite] ne repose pas uniquement sur les individus. Si on veut que les personnes âgées de demain aient assez d’argent pour vivre décemment, c’est une solution publique et obligatoire, avec la participation des employeurs, qu’il faut viser », conclut la chercheuse.

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