Fin stratège

Par Charles K. Langford | 30 mars 2015 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Une compagnie procède à une émission d’actions parce qu’elle cherche des capitaux. Les investisseurs, en achetant ses actions, fournissent le capital requis. Elles sont ensuite cotées en Bourse.

Avec l’émission d’actions, la compagnie dilue la propriété et les bénéfices par action. Le ratio cours/bénéfice, qui est l’un des ratios les plus communiqués et analysés, est ainsi modifié par cette opération. Par exemple, si le titre AA vaut 20 $ et que son bénéfice net par action est de 2 $, le ratio sera 10 (= 20 $/2 $). On dira : ça prendra 10 ans à la valeur du dernier bénéfice pour payer l’action.

Si la compagnie AA augmente le nombre d’actions en circulation avec une nouvelle émission, le bénéfice attribué à chaque action (les « vieilles » actions + les nouvelles) diminue parce qu’il sera réparti sur un plus grand nombre. En admettant, par simplicité, que le cours de l’action reste le même, le ratio cours/bénéfice augmente. Par exemple, si le bénéfice par action est maintenant descendu à seulement 1 $ à cause de la nouvelle émission, le ratio cours/bénéfice devient 20 (= 20 $/1 $). On dira : ça prendra 20 ans à la valeur du dernier bénéfice pour payer l’action. Il est évident que le titre est moins attrayant après la nouvelle émission.

À présent, qu’arrive-t-il si la compagnie AA décide de faire le contraire, c’est-à-dire d’acheter une partie de ses propres actions émises précédemment ?

Cette manœuvre de rachat de ses propres actions (en anglais stock buyback) est une méthode inverse à celle d’une émission d’actions : la compagnie AA distribue de l’argent aux investisseurs qui lui vendent les actions qu’ils détenaient. Les raisons du rachat peuvent être les suivantes :

1. La compagnie va définitivement retirer ses actions du marché si elle pense qu’elles sont sous-évaluées.

2. Elle les garde comme des actions dites de trésorerie. Ceci va lui permettre d’avoir des actions à remettre comme indemnité à ses employés sans devoir en créer de nouvelles.

3. La compagnie remet de l’argent dans les poches des investisseurs et évite ainsi de distribuer des dividendes. Ici, c’est le traitement fiscal qui compte pour les investisseurs, à savoir : est-il préférable de recevoir des dividendes ou le gain résultant de la vente des actions ?

4. La compagnie souhaite réduire la possibilité d’être l’objet d’offres hostiles.

Le point (1) trouve sa raison d’être dans le fait que le marché n’est pas efficient. Si les actions sont sous-évaluées, l’investisseur, qui n’a pas vendu ses actions à l’émetteur, est en principe avantagé. À l’inverse, si les actions sont surévaluées, les investisseurs qui les ont gardées sont généralement défavorisés.

Le point (2) reflète des actions dont le cours est juste parce que le marché est considéré efficient. Ce rachat transforme ces actions en actions de trésorerie, dont les caractéristiques diffèrent des actions que les investisseurs ont achetées en émission primaire ou sur le marché secondaire à la Bourse. En effet, elles ne peuvent pas payer de dividendes, parce qu’une compagnie ne peut pas payer à elle-même les dividendes qu’elle distribue aux investisseurs. Elles ne comportent pas de droit de vote et leur nombre est nécessairement limité par les règlements.

Les points (3) et (4) sont assez évidents en soi.

L’un des avantages du rachat de ses propres actions pour la compagnie AA est celui d’améliorer les ratios financiers. Bien qu’en principe ça ne doive pas être le but véritable, il reste que les ratios, effectivement, deviennent plus attrayants.

Voici un exemple dans le tableau 1. Imaginons que le cours des actions à la Bourse est de 20 $ et que la compagnie en rachète deux millions. Cela donne un déboursé de 40 millions. Supposons aussi les données qui se trouvent dans le tableau ci-dessous :

On constate qu’après le rachat des actions le ratio cours/bénéfice est plus bas (77 contre 83), ce qui est habituellement considéré bon, parce que le bénéfice par action est passé de 0,24 $ à 0,26 $.

Le rendement de l’actif (en anglais ROA pour return on assets) montre un accroissement important après le rachat des actions, ce qui est aussi considéré comme une bonne indication.

À noter que la meilleure qualité des données et ratios obtenus n’est pas le fruit d’une meilleure performance de la compagnie.

Quel est l’effet sur la performance en Bourse des titres qui ont racheté une partie de leurs actions ? Regardons de plus près le comportement graphique de trois indices composés de titres qui, au cours des 12 derniers mois, ont effectué le rachat d’au moins 5 % de leurs actions.

GRAPHIQUE 1 - Graphique à 6 mois de l’indice S&P 500 représenté par son FNB (SPY)Cliquez pour agrandir

Le graphique 1 représente l’indice S&P 500, le « soleil » des marchés nord-américains, autour duquel la plupart des titres et des FNB « gravitent ».

La question qui se pose : La performance d’indices de titres qui ont racheté, au cours des 12 derniers mois, leurs propres actions est-elle différente de celui de l’indice S&P 500 ?

GRAPHIQUE 2 - Graphique à 6 mois de l’indice DRB – NASDAQ US BuyBack AchieversCliquez pour agrandir

Le graphique 2 représente l’indice DRB (titres cotés au NASDAQ), qui a racheté au moins 5 % de ses propres actions. Si on le compare avec le graphique 1, on ne voit pas vraiment de différences marquantes. Il est possible que l’ampleur des mouvements (échelle verticale) soit différente; mais la forme graphique est essentiellement la même.

GRAPHIQUE 3 - Graphique à 6 mois d’IPKW, le FNB de l’indice PowerShares International BuyBack AchieversCliquez pour agrandir

Le graphique 3 montre un autre indice, celui-ci international, mais toujours composé de titres qui ont racheté au moins 5 % de leurs actions au cours des derniers 12 mois. Les compagnies étrangères présentes suivent la sélection de titres selon les normes de l’émetteur.

Ce graphique est descendant, reflétant l’économie de pays en dehors de l’Amérique du Nord. On ne peut pas le comparer avec le graphique 1; mais on notera que les fluctuations des cours des deux produits ont la même fréquence.

Graphique 4 - Graphique à 6 mois de PKW, le FNB de l’indice PowerShares BuyBack AchieversCliquez pour agrandir

Le graphique 4 représente un FNB composé de titres américains, comme celui du DBR (graphique 2).

Ici aussi, il s’agit de compagnies qui ont effectué le rachat d’au moins 5 % d’actions.

On constate en définitive que l’impact du rachat des actions dans DBR et PKW sur le comportement des cours des FNB et des indices est plutôt négligeable par rapport à celui de l’indice « soleil ». Il n’en demeure pas moins que l’existence de ces trois titres (ainsi que d’autres non présentés ici) reflète l’importance du rachat d’actions pour le bénéfice des investisseurs institutionnels et privés. Le lecteur intéressé par ce sujet peut visiter le site us.spindices.com, qui donne des informations sur l’activité de rachat d’actions aux États-Unis.

Graphique 5 - Graphique à 6 mois du VIX, indice de turbulence des marchés nord-américainsCliquez pour agrandir

Le rachat d’actions a augmenté de 25 % au cours du dernier trimestre de 2014, selon l’hebdomadaire Barron’s. Le graphique 5 (sur le VIX ou « indice de la peur ») montre qu’à partir d’octobre dernier le marché est devenu turbulent. On peut se demander s’il existe un lien entre les deux faits.

• Ce texte est paru dans l’édition de mars 2015 de Conseiller. Pour télécharger le PDF, cliquez ici. Cliquez ici pour consulter l’ensemble du numéro.


Charles K. Langford, Ph. D., Fellow CSI, est président de Charles K. Langford Inc., gestion de portefeuilles, et enseigne la théorie financière et l’utilisation des dérivés dans la gestion d’actifs et passif à l’École des sciences de la gestion (UQÀM).

Charles K. Langford