Incompétents et irrationnels, les investisseurs autonomes

Par Ronald McKenzie | 8 septembre 2011 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Financial Planning and Review of Year End Reports

« Les investisseurs individuels qui gèrent leur propre portefeuille ont un niveau de connaissance et d’habileté généralement médiocre. Ils sont inconscients de leurs lacunes et persistent à attribuer aux autres leurs mauvaises performances. »

Voilà le constat sévère que dresse le professeur Jean-Marc Suret au terme d’une étude qu’il a menée en 2010 et 2011 auprès de 1 814 investisseurs autonomes du Québec et de l’Ontario.

Le Pr Suret, de l’Université Laval et du CIRANO de Montréal, en a présenté les grandes lignes lors de l’Assemblée annuelle du Conseil des fonds d’investissement du Québec, le 7 septembre dernier à Montréal.

N’importe comment, n’importe quoi Ces résultats désastreux confirment une perception que l’industrie financière au Canada ressent depuis des années et qui est largement documentée aux États-Unis. En deux mots : les autonomes investissent n’importe comment, dans n’importe quoi et ne mesurent même pas les rendements qu’ils obtiennent.

« Ils sous-estiment le risque, surestiment leurs connaissances et ont une mauvaise compréhension de plusieurs concepts fondamentaux tels que la diversification des actifs. Ceux qui font partie de clubs d’investissement sont même moins bons que ceux qui n’y participent pas », a-t-il souligné devant une centaine de gens de l’industrie.

Pour réaliser son étude, le Pr Suret a interrogé des Québécois et des Ontariens de plus de 55 ans ayant fréquenté l’université, retraités ou actifs à plein temps. Leurs revenus annuels étaient supérieurs à 50 000 $ et ils possédaient, en médiane, des portefeuilles de 200 000 $ environ, excluant les biens immobiliers.

« Nous avons vérifié leurs connaissances de base en matière de placements et de gestion de portefeuille. Celles-ci sont nécessaires pour pouvoir prendre de bonnes décisions financières », a expliqué le spécialiste.

Il s’inquiète particulièrement de l’ignorance répandue de la notion essentielle de risque/rendement, laquelle est nécessaire pour composer un portefeuille équilibré en fonction des objectifs financiers à long terme de l’investisseur. On a posé la question suivante aux participants : est-il vrai qu’un rendement élevé ne peut être obtenu qu’au prix d’un risque plus important? Eh bien, seuls 40,6 % d’entre eux ont répondu correctement. « C’est une lacune extrêmement grave », a commenté le professeur Suret.

Ignorance des mesures de référence On pourrait penser que les investisseurs autonomes décortiquent les marchés afin de mieux les dominer. S’ils le font, ce qui est loin d’être acquis, ils méritent de porter le bonnet d’âne, car leur compréhension des mesures de référence est faible.

Ainsi, le rendement de l’indice S&P/TSX depuis 10 ans se chiffre à 11,3 %. Or, à peine 14 % des participants ont été capables de citer (presque) correctement ce pourcentage. « On s’attendait à de meilleurs résultats», a-t-il déploré.

Même chose pour le rendement des obligations gouvernementales et des bons du Trésor au cours des 10 dernières années. Les premières ont rapporté 10,4 % sur la période (4 % de bonnes réponses), les seconds, 4,2 % (33 % de bonnes réponses, c’est mieux). « Il est inquiétant que des gens qui sont impliqués tous les jours dans le marché soient si nombreux à ne pas le connaître. »

Des comportements irrationnels L’expert s’interroge également sur les « paradoxes » qui caractérisent les gestes que posent (ou omettent de poser) la majorité des investisseurs autonomes. Trois exemples :

– 82 % des personnes interrogées ont une bonne idée du concept de diversification, mais à peine 30 % le mettent en pratique correctement.

– La majorité des participants estiment que les investisseurs individuels, dans leur ensemble, ne peuvent pas battre les indices boursiers. Mais ils sont convaincus qu’eux y parviendront. Or, quand on leur demande s’ils prévoient surclasser le marché au cours de l’année suivante, ils ne sont que 25 % à envisager cette possibilité.

– Un classique : ils gardent trop longtemps leurs titres perdants, et vendent trop tôt leurs titres gagnants.

« Ils continuent à gérer leur portefeuille tout en sachant qu’ils ne battront pas le marché », s’étonne le Pr Suret. Comment expliquer cette attitude? Là, les réponses sont moins claires. Le plaisir personnel de réaliser ses propres transactions pourrait être un élément explicatif. Leur perception que les gestionnaires professionnels facturent des frais élevés pourrait les influencer. « On note aussi l’opinion assez répandue que les institutionnels ont, en moyenne, un rendement inférieur à celui des indices. Remarquez que ce n’est pas loin de la réalité », dit-il, sourire en coin.

En conclusion, le Pr Suret a demandé aux intervenants du marché de prendre au sérieux les lacunes des investisseurs. L’industrie aura beau les bombarder d’information, ça ne fonctionne pas. « Les documents qu’on leur envoie, ils ne les lisent pas. » Elle devrait leur fournir des outils de mesure pour qu’ils puissent « combler les vides ».

Les organismes de réglementation devraient eux aussi déployer des efforts afin de permettre aux investisseurs d’évaluer leurs connaissances. Pour commencer, ils devraient leur dire franchement qu’ils n’ont pas les compétences requises pour gérer eux-mêmes leurs finances. « On les laisse aller, mais les résultats sont médiocres », insiste le Pr Suret. L’ennui, c’est qu’à force d’amasser des échecs financiers, les investisseurs autonomes peuvent devenir vulnérables et chercher des compensations chimériques dans des penny stocks hautement risqués ou des combines frauduleuses.

En dernier ressort, le rôle des organismes de réglementation pourrait être de protéger les investisseurs contre eux-mêmes. Il est très préoccupant qu’on en soit rendu là.

Ronald McKenzie