Investissement responsable : il est temps de bouger!

Par Jean-François Parent | 20 octobre 2016 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Les investisseurs ont soif de placements qui travaillent pour un avenir durable. Les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance prennent de plus en plus de place dans la sphère financière, et il est temps que les entreprises s’adaptent.

C’est, du moins, l’un des constats posés par une brochette d’acteurs de ce secteur, réunis pour le troisième Colloque québécois de l’investissement responsable, qui s’est tenu hier à Montréal.

Les grands gestionnaires de caisses de retraite intègrent de plus en plus l’analyse des risques environnementaux, sociaux et de gouvernance – les critères ESG – dans leurs choix de placements. Le tiers des actifs canadiens gérés par les investisseurs institutionnels au pays le sont par l’entremise de stratégies d’investissement responsable. Cela représente une cagnotte de 1 000 milliards de dollars.

A l’échelle mondiale, ce sont 60 000 milliards de dollars qui sont investis par les quelque 1 500 signataires des Principes pour l’investissement responsable de l’Organisation des Nations unies.

LES ENTREPRISES COLLABORENT PEU

Malgré cet engouement, il est encore difficile d’évaluer précisément la performance ESG des sociétés, déplore Anne-Marie Gagnon, responsable de l’intégration ESG à la British Columbia Investment Management Corporation.

« On manque de données quantitatives, ce qui rend la performance des émetteurs difficile à mesurer. Il faut donc utiliser des indicateurs de remplacement pour estimer le rendement des sociétés quant aux critères ESG. C’est un peu comme si on regardait dans une boule de cristal », explique-t-elle.

L’analyste pallie le manque de données fiables en évaluant plutôt la performance d’un émetteur quant à la divulgation de ses pratiques.

Autre problème : les disparités entre les sociétés cotées en Bourse.

« La divulgation quant à l’application des pratiques ESG dans leurs opérations est très inégale selon l’industrie analysée », ajoute Stéphanie Lachance, vice-présidente de l’investissement responsable à Investissements PSP.

Les sociétés minières ou du secteur énergétique, par exemple, peinent parfois à décrire concrètement les mesures qu’elles prennent pour satisfaire aux critères ESG.

Et trop souvent, en matière de gouvernance par exemple, les émetteurs servent aux investisseurs de vieux refrains éculés, comme qu’ils ne peuvent trouver suffisamment de femmes en raison d’un secteur donné, l’énergie par exemple, pour combler les postes à la haute direction, indique Mme Lachance.

DU CONCRET, S’IL VOUS PLAÎT!

Ce manque de diligence de la part des sociétés publiques vient tout juste d’être documenté par les consultants français de Vigeo Eiris.

Dans son importante analyse, réalisée auprès de 1 288 multinationales, le cabinet observe que leur taux de succès de l’application des critères ESG est, en moyenne, de 32 %. C’est donc à peine un tiers des mesures prises par les entreprises qui satisfont aux principes de l’investissement responsable.

« Quand on leur demande les mesures prises pour valider leur démarche, un tiers des entreprises disent qu’elles procèdent à des audits, mais de celles-ci, seulement une sur dix peut le prouver », relève Nicole Notat, présidente du cabinet de recherche sur l’investissement ESG.

Dans l’application de critères ESG à la chaîne d’approvisionnement, par exemple, « les entreprises fonctionnent beaucoup sur des principes généraux, mais on a moins d’actions concrètes », poursuit-elle.

À l’ère de la mondialisation, les chaînes d’approvisionnement demeurent un enjeu important pour l’investissement responsable : c’est là que l’on retrouve principalement les problèmes éthiques, comme le travail des enfants, voire même l’esclavage, par exemple.

UNE LUEUR D’OPTIMISME

Il reste que le chemin parcouru jusqu’à maintenant est important, affirme Daniel Simard, directeur général de Bâtirente et membre du comité consultatif PRI-Québec, organisation membre du réseau international Principles for Responsible Investment (PRI) et instigatrice du colloque.

« De plus en plus de gestionnaires investissent de cette manière », dit-il, énumérant plusieurs grands noms qui s’y adonnent : Mackenzie, Jarislowski Fraser, Hexavest, sans compter l’essentiel des institutions financières canadiennes.

M. Simard se réjouit de la tenue d’un événement de la trempe du colloque, qui a réuni 300 personnes, dont une quarantaine de gestionnaires institutionnels, et qui s’est tenu en français, une première au Québec.

Pour l’avenir, il souhaite que les autorités prennent acte du sérieux de l’investissement responsable.

« Aux États-Unis, en Ontario, au Royaume-Uni, des législations existent pour obliger les caisses de retraite à pratiquer l’investissement responsable. Il serait intéressant que Retraite Québec, le régulateur des caisses de retraite, agisse en ce sens. »

Les investisseurs québécois, privés de balises réglementaires pour appliquer les critères ESG, bénéficieraient d’une reconnaissance formelle de cette pratique, conclut-il.

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Jean-François Parent