La fiducie de common law, plus simple à administrer?

5 novembre 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
4 minutes de lecture
Butsaya Ruengpen / 123RF

Dans les régions québécoises limitrophes des autres provinces canadiennes, comme celle de ­Gatineau-Ottawa, le choix entre les fiducies de common law (en ­Ontario) et celle de droit civil (au ­Québec) est souvent évoqué. Certains croient que le client qui réside dans la ­Belle ­Province, mais qui établit une fiducie en vertu des lois de l’Ontario, est avantagé. ­Est-ce vraiment le cas ? ­Comparons les deux régimes.

LA NATURE DE LA FIDUCIE OU DU TRUST

En vertu du droit civil Selon le ­Code civil du ­Québec, la fiducie est un patrimoine d’affectation. Elle « résulte d’un acte par lequel une personne, le constituant, transfère, de son patrimoine à un autre patrimoine qu’il constitue, des biens qu’il affecte à une fin particulière et qu’un fiduciaire s’oblige, par le fait de son acceptation, à détenir et à administrer »[1].

En vertu de la common law Un trust est un instrument juridique servant principalement à détenir un droit quelconque de propriété. Lorsqu’il est créé intentionnellement, on le qualifie d’express trust (fiducie explicite). Il peut également résulter d’une opération en vertu de la loi ou par fiction juridique, sans volonté intentionnelle du constituant[2].

En common law, il existe deux propriétaires pour un bien détenu en fiducie : le beneficiary (bénéficiaire), qui détient le titre en equity, et le trustee (fiduciaire), qui possède le titre légal. Ce dernier n’acquiert que le titre du bien qui lui a été cédé, mais il demeure le « véritable propriétaire [en common law] des biens du trust ». Cela est contraire au patrimoine fiduciaire de droit civil. Au ­Québec, le fiduciaire n’est qu’un administrateur et ne peut prétendre à aucun droit de propriété sur les biens de la fiducie.

L’ADMINISTRATION DE LA FIDUCIE OU DU TRUST

En vertu du droit civil Il doit y avoir au moins un fiduciaire qui n’est ni constituant (donateur) ni bénéficiaire[3]. On le qualifie de fiduciaire « indépendant ». En pratique, cette obligation est souvent un frein à la mise en place de fiducies familiales.

En vertu de la common law Contrairement au droit québécois, en common law, il est possible que le constituant (settlor) se nomme ­lui-même comme fiduciaire (trustee) sans devoir être assisté d’un autre fiduciaire pour administrer le trust. On retrouve cette situation assez souvent dans les fiducies personnelles, dont le constituant peut même aussi être le bénéficiaire.

Dans ce cas, comment le contrôle indépendant, la base même de la création d’une fiducie, ­est-il assuré ? ­Et d’un point de vue fiscal, quelles sont les conséquences de l’absence d’un fiduciaire « indépendant » ?

  • Le contrôle : malgré la latitude accordée au trustee, le settlor peut quand même conserver un certain pouvoir de surveillance sur l’administration de la fiducie[4]. Il peut faire des spécifications relatives au mode d’opération de la fiducie par l’entremise de la letter of wishes (lettre d’intention), qui n’a par contre aucune valeur légale. Contrairement au droit civil, la common law permet de nommer une personne morale, autre qu’une société de fiducie, comme trustee.
  • ­Les répercussions fiscales : puisque le settlor a le droit de se nommer comme seul fiduciaire, il peut en résulter des conséquences fiscales indésirables.

Pensons en particulier à la règle du paragraphe 75(2) ­LIR. Lorsque l’auteur d’un transfert en fiducie se conserve un droit de retour sur les biens de la fiducie[5] ou si ce cédant contrôle les décisions des fiduciaires au chapitre du choix des personnes devant recevoir les biens de la fiducie, ce qui est le cas du settlor qui s’est nommé seul fiduciaire dans un trust de common law ou de la fiducie de protection d’actifs[6] en droit civil, deux conséquences importantes s’ensuivent[7] :

  • ­tout revenu ou perte résultant des biens transférés ou substitués ou tout gain en capital sera imposé dans les mains de l’auteur du transfert jusqu’à son décès et tant qu’il réside au ­Canada. Ainsi, l’objectif même de fractionnement via une fiducie familiale, lorsque ­celui-ci est possible[8], ne pourra pas être atteint.
  • ­toutes les distributions totales et partielles du capital de la fiducie à toute personne autre que l’auteur du transfert, issues ou non des biens ayant provoqué l’application du paragraphe 75(2) ­LIR et faites avant son décès, sont réputées survenir à leur juste valeur marchande, et non en tant que roulement fiscal, à l’exception du cas où le bénéficiaire est son conjoint.

Même si la règle d’administration est plus souple pour les trusts de common law, il nous semble fondamental de désigner un fiduciaire indépendant dans les trusts à vocation familiale (fiducies familiales) même si ce n’est pas obligatoire, particulièrement pour les raisons précédemment énoncées.

Me ­Odile ­St-Hilaire est notaire fiscaliste chez Lessard & ­St-Hilaire, société professionnelle inc. Michel ­Lessard est fiscaliste, assureur vie agréé et ­Pl. Fin. chez Lessard & ­St-Hilaire, société professionnelle inc.


[1] Article 1260, C.c.Q. [2] Lacombe Avocats, Étude comparative : fiducies vs. trusts, bit.ly/2g5lkmF [3] Article 1275, C.c.Q. [4] Au Québec, le constituant détient ce pouvoir de surveillance (article 1287, C.c.Q.). [5] Par exemple, dans la fiducie de protection d’actifs avec disposition admissible au roulement. [6] Avec disposition admissible au roulement. [7] BRUNEAU, Diane, LORANGER, Julie, L’abc des fiducies entre vifs : aspects civils et fiscaux, bit.ly/2wtoNSk, p. 30. [8] En vertu des nouvelles règles fiscales proposées le 18 juillet 2017.

• Ce texte est paru dans l’édition de novembre 2017 de Conseiller.