La vente d’assurance en ligne? Même pas peur!

Par Hélène Roulot-Ganzmann | 7 mai 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Ramant à ­contre-courant du discours ambiant, certains conseillers clament haut et fort que le grand méchant ­Internet ne va pas voler toute leur clientèle.

« ­Si, en tant que conseiller, tu as peur de te faire battre par un site ­Internet, c’est que tu n’as pas une très grande confiance, tant en tes compétences qu’en ta valeur ! »

Ian ­Sénéchal est conseiller en sécurité financière partenaire d’Investia ­Assurance. Il l’admet, certains clients préfèrent toujours tout faire tout seuls, et ­ceux-là iront probablement magasiner en ligne plutôt que de frapper à la porte d’un conseiller.

Mais cela ne signifie pas que l’industrie va s’effondrer comme un château de cartes. À preuve : le métier de courtier immobilier n’a pas disparu avec l’arrivée de ­DuProprio, pas plus que celui de conseiller en placement, alors que les investisseurs ont depuis plusieurs années tout le loisir de bâtir leurs propres portefeuilles directement sur ­Internet, ­souligne-t-il.

« ­Il y a des gens qui recherchent juste un prix, qui ne voient pas ce que le conseiller peut leur apporter, ­ajoute-t-il. ­Ceux-là n’auraient jamais été des clients à long terme de toute façon. J’irais même plus loin. Il y a des clients très désagréables, qui nous considèrent comme des vendeurs et qui passent par nous uniquement parce qu’ils n’ont aujourd’hui pas le choix. ­Ceux-là, j’ai envie de leur dire d’aller faire affaire en ligne ! »

TROP ­TARD ­POUR ­RECULER

Ils sont plusieurs comme ­Ian ­Sénéchal à ne pas voir d’un si mauvais œil la possibilité que certains produits d’assurance puissent être vendus sur ­Internet. Tout juste cela ­aurait-il comme effet d’assainir le marché. Les moins bons conseillers, ceux qui ne se comportent justement que comme des vendeurs, disparaîtront, ­croient-ils. Demeureront ceux qui privilégient une approche globale de la profession. Ceux qui ont pour ambition de mettre leur clientèle financièrement à l’abri des petites et grandes péripéties de la vie.

« ­Les clients qui viennent me voir ne cherchent pas seulement une assurance vie temporaire », explique un autre conseiller favorable à la vente en ligne, mais qui a préféré garder l’anonymat, preuve que le sujet demeure délicat.

« ­Je m’occupe des placements de mes clients, de leur hypothèque, de leur planification financière, etc. Au pire, si je m’aperçois que les polices d’assurance sont moins chères en ligne que le prix que je peux proposer, je pourrais être tenté de suggérer à mon client de faire une soumission directement avec l’assureur. Et moi, je vais le facturer pour l’ensemble des conseils que je lui fournis. »

Pas un facteur de danger, selon lui. Et même si ça l’était, il chercherait une façon de s’adapter, car il estime ne pas pouvoir lutter contre cette tendance. Aujourd’hui, le consommateur veut pouvoir acheter en ligne et est frustré lorsque c’est impossible.

« C’est déjà là, c’est à nos portes, confirme ­Lyne ­Duhaime, présidente de la division québécoise de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (­ACCAP-Québec). Qui n’a jamais fait une transaction en ligne ? ­Je ne vois pas pourquoi la personne qui est habituée à acheter ses voyages ou ses livres sur ­Internet, d’y faire ses transactions bancaires, aurait des réflexes et des attentes complètement différents lorsqu’elle aura envie de s’acheter un produit financier. »

FLOU ­JURIDIQUE

L’ACCAP plaide ainsi pour un assouplissement de la ­Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF), dont la révision devrait être déposée sous peu. Ou plutôt pour un éclaircissement de ­celle-ci.

« ­Il n’est pas clairement interdit de vendre des assurances via ­Internet, ­souligne-t-elle. En fait, ce n’est pas prévu, tout simplement parce que la question n’existait pas lors de la dernière mouture du texte. Nous souhaitons que cette possibilité soit officiellement inscrite et que l’on distingue formellement les produits qui peuvent être vendus en ligne et ceux qui ne le peuvent pas.

Il y a aujourd’hui un flou juridique dans lequel certains se sont déjà engouffrés, du reste. »

On retrouve ainsi de plus en plus d’informations sur les sites ­Internet des assureurs. Des comparateurs d’assurance vie indépendants pullulent aujourd’hui sur la Toile sans que l’on ne sache très bien s’il faut s’y fier. Il est tout à fait possible d’acheter une assurance automobile ou une assurance voyage en ligne. Les assureurs ­Canada-Vie et ­Manuvie proposent même une assurance vie aux clients des magasins ­Canadian ­Tire et ­Costco, respectivement. Tout se fait sur le web, un conseiller rappelant le client afin de finaliser la transaction.

« ­Je suis déjà en concurrence avec ce type de produits, confirme ­Alain ­Veilleux, conseiller en sécurité financière et représentant en épargne collective inscrit auprès du ­Groupe ­Cloutier. Pour moi, ça ne changera pas ­grand-chose. Un client qui ne veut qu’un prix, c’est sûr que je vais le perdre, mais je ne cherche pas non plus à le garder. Ça m’est déjà arrivé d’en voir partir. Mais d’expérience, je sais qu’ils reviennent un ou deux ans après. Il faut croire en sa valeur. »

PAS ­PLUS ­DE ­RISQUES

Le feu vert de la prochaine loi ne fera donc qu’accélérer une tendance, jugent ces conseillers. Il permettra surtout d’acheter sans jamais parler à un professionnel. Les plus réfractaires arguent que les ­Québécois disposent d’un degré de littératie financière bien en deçà du nécessaire pour se débrouiller seuls. Qu’ils se retrouveront ­sous-assurés, ­trop assurés, avec des produits dont ils n’ont pas besoin. Surtout, qu’ils seront de plus en plus nombreux à n’être pas indemnisés en cas de pépin, faute d’avoir bien rempli les questionnaires.

Arguments non valables, répondent les conseillers favorables à la vente en ligne.

« ­Tous ces risques existent, même en passant par un conseiller, estime ­Ian ­Sénéchal. Combien de fois, lorsque je reprends un dossier, je me rends compte que le client paie trop cher d’assurance ou n’est pas assuré adéquatement ? ­Parce que le conseiller lui a vendu ce qui lui rapporterait le plus à lui. Tous ne font pas ça, mais il y en a qui se comportent ainsi et on espère bien que la vente par ­Internet va les faire disparaître. »

Par exemple, M. Sénéchal a déjà vu certains conseillers pousser leurs clients à faire de fausses déclarations.

« ­Avoir fumé dans les douze mois précédant la signature d’une police, ça peut doubler la prime d’assurance, ­explique-t-il. Pour faciliter la vente, certains conseillers disent aux fumeurs occasionnels de taire cette information, prétextant que ça ne se verra pas dans les analyses. Or, mentir sur sa consommation de tabac, c’est le meilleur moyen de ne pas se faire indemniser.

Notre rôle, c’est justement d’indiquer aux clients quelles sont les conséquences de leurs actes. Si nous ne le faisons pas, nous ne servons à rien. »

PHÉNOMÈNE GRADUEL

Tous présument cependant que certains produits, plus complexes que les autres, ne pourront jamais être vendus en ligne. Lyne ­Duhaime évoque des « limites naturelles » et met notamment dans cette catégorie l’assurance vie universelle.

Quant aux conseillers interrogés, ils assurent que la profession ne vivra pas de grande révolution au lendemain de l’acceptation de la nouvelle loi.

« ­Les assureurs vont mettre un peu de temps à s’ajuster, croit M. Veilleux. Ils pourraient déjà préparer leurs clients, mettre de plus en plus d’information en ligne pour que, le moment venu, ils n’aient plus qu’à ajouter un système de soumission et de paiement. Mais je ne vois rien bouger. »

« ­Les assureurs ne sont pas prêts, confirme ­Ian ­Sénéchal. Les processus sont encore pénibles. Pour beaucoup de produits, nous devons toujours utiliser le papier et les procédures sont complexes. Il va falloir qu’ils commencent par simplifier leurs processus et tout numériser. »

« Ça va se faire graduellement, avec beaucoup de prudence, conclut ­Lyne ­Duhaime. Les assureurs n’ont pas l’intention de se passer des conseillers. Mais ils comprennent que c’est une occasion à saisir pour aller chercher de nouveaux clients, les plus jeunes notamment, qui ont besoin de produits plus simples. »

De nouveaux clients qui, croit ­Ian ­Sénéchal, frapperont inévitablement à la porte d’un conseiller par la suite, quand viendra le temps de transformer ce produit simple en une offre plus globale.


• Ce texte est paru dans l’édition d’avril 2017 de Conseiller.

Hélène Roulot-Ganzmann