L’APCSF en route vers un ordre professionnel?

Par Didier Bert | 2 avril 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
6 minutes de lecture
Homme d'affaires se tenant sur une route déserte, fixant l'horizon.
Aleksandr Khakimullin / 123RF

L’Association professionnelle des conseillers en services financiers (APCSF) milite pour la création d’une nouvelle appellation : celle de conseiller en services financiers agréé, un nom qui ne fait pas l’unanimité. Elle n’écarte pas non plus l’idée que son adoption soit une première étape vers la création d’un ordre professionnel.

En novembre dernier, l’APCSF annonçait qu’elle allait lancer au courant de l’année 2018 la désignation de « conseiller en services financiers agréé ». Le communiqué émis par l’association pouvait prêter à confusion, car il utilisait les termes « label » (un anglicisme, NDLR), « titre » et « appellation » pour désigner ce que Flavio Vani, le président de l’organisation professionnelle, précise être « une marque » lors d’une entrevue avec Conseiller.ca.

Et le dirigeant de l’APCSF souligne que c’est bien une stratégie de type marketing qui anime son association. L’utilisation de cette désignation doit ainsi servir les membres de l’APCSF à se distinguer d’autres professionnels des services financiers.

Aujourd’hui, l’association en est à définir le programme de la formation qui sera donnée aux futurs détenteurs de cette appellation. « L’APCSF a la volonté d’identifier les conseillers autonomes aux yeux du public », explique Flavio Vani.

Pour l’APCSF, cette désignation met l’accent sur la qualité du service plutôt que sur la compétence à vendre tel ou tel produit. « Cette appellation visera la reconnaissance de l’excellence, martèle M. Vani. Nous voulons donner une distinction de qualité à nos membres. » En s’appuyant sur cette marque, l’APCSF vise ainsi à mieux promouvoir l’apport du conseiller pour le client.

Marque et titre sont bien distincts. Par exemple, on peut porter le titre professionnel d’ingénieur seulement si on est membre de l’Ordre des ingénieurs du Québec. Mais un ingénieur peut aussi être membre d’une association d’inspecteurs en bâtiment, et se présenter sous cette marque. Dans ce métier, une association comme l’Association des inspecteurs en bâtiment du Québec (AIBQ) met en avant ses normes de pratique et la qualité de la formation de ses membres.

COMBLER UN MANQUE

Cette création répond à un manque dans l’industrie, selon le dirigeant de l’APCSF. La désignation des professionnels est trop vague et réductrice, poursuit-il. « Conseiller en sécurité financière, demandez à n’importe qui ce que cela veut dire, il ne le saura pas, martèle Flavio Vani. Si l’on n’évolue pas dans le secteur de la distribution de produits, on n’y comprend rien! »

C’est d’ailleurs en réponse au débat qui refait surface périodiquement sur la multiplication des titres (conseiller en sécurité financière, représentant de courtier en épargne collective, conseiller en assurance et rentes collectives, planificateur financier et plusieurs autres) et à la confusion qui en résulte que l’APCSF veut créer à son tour son propre système de reconnaissance.

Paradoxal? Pas aux yeux de M. Vani. « Conseiller en services financiers, c’est clair », pointe-t-il, en vantant cette marque commune qui servirait de référence à tous les consommateurs.

« Pour le public, ce serait une appellation de plus, croit de son côté Jean Dupriez, planificateur financier à Valimax et auteur de Savoir choisir son conseiller financier. L’APCSF ne rend pas service à qui que ce soit en créant un autre nom. On devrait déjà commencer par clarifier les appellations existantes avant d’ajouter d’autres titres. »

Pour lui, il serait plus simple d’utiliser la désignation de conseiller financier. « Nous sommes tous conseillers financiers, car nous donnons des conseils financiers », résume-t-il.

De son côté, le président de Diversico Daniel Guillemette ne voit pas de compétition avec Astéris, nouvelle désignation pour conseillers indépendants qu’il lancera le 12 avril. Cette appellation visera à mettre en avant des professionnels triés sur le volet, qui feront la preuve de leur indépendance, de leur objectivité et de leur transparence. Pour cela, ils devront se plier à un audit périodique, qui évaluera ces trois critères, indispensables à leur accréditation. Astéris n’est pas un regroupement de conseillers, précise M. Guillemette, mais plutôt une vitrine pour ceux capables de satisfaire les trois critères cités.

Flavio Vani ne considère pas non plus Astéris comme un concurrent à la marque de conseiller en services financiers agréé de l’APCSF. « Nous sommes une association dont le but est de défendre les intérêts des conseillers autonomes de tous horizons », souligne-t-il.

REMPLACER LA CSF?

L’annonce de la création de la nouvelle étiquette de l’APCSF survient alors que l’avenir de la Chambre de la sécurité financière (CSF) demeure incertain. Rappelons que le projet de loi 141 prévoit l’intégration de la CSF sous la houlette de l’Autorité des marchés financiers (AMF).

L’APCSF souhaite plutôt la refonte de la CSF pour la transformer en ordre professionnel, rappelle Flavio Vani. Mais si celle-ci disparaît, il ne cache pas que le nouveau nom mis de l’avant par son association pourrait être le premier jalon vers un ordre professionnel. « Je ne dis pas non, répond-il. Le jour où nous compterons assez de membres avec cette appellation, nous essaierons de créer un ordre professionnel », sans vouloir préciser d’objectif quantitatif.

« Pour être des professionnels, nous devons être regroupés dans une organisation choisie par les professionnels », affirme M. Vani. C’est le cas de la CSF, dont le conseil d’administration est en partie composé de conseillers en services financiers élus par les membres.

« Quand on se fait dire comment agir, on n’est plus des professionnels… On devient des travailleurs de l’AMF », ajoute-t-il.

UNE FORMATION EN VUE

Dans cette optique, l’APCSF indique avoir mandaté le Collège des professions financières pour « développer un programme de formation pour obtenir l’appellation de conseiller en services financiers agréés (CSFA) », préalable nécessaire à la demande de création d’un ordre professionnel auprès de l’Office des professions du Québec. Les premiers cours, dont il préfère taire le contenu pour l’instant, pourraient être annoncés dès le printemps, avance Flavio Vani.

La Chambre de la sécurité financière affirme pour sa part ne pas avoir pris connaissance du projet et ne pas en connaître les détails. « Nous nous prononcerons sur le sujet lorsque le projet nous aura été présenté », indique sa directrice des communications, Julie Chevrette. Elle salue toutefois « les initiatives des membres qui ont pour but d’améliorer la protection du public », toujours encouragées, selon elle.

« C’est la CSF qui doit être remaniée pour créer un ordre », argumente de son côté Jean Dupriez, qui estime que la Chambre dispose de tous les outils nécessaires à travers son mandat de protection du public : comité de discipline, formation, etc.

Afin de réussir à imposer sa marque là où d’autres ont échoué dans le passé, l’APCSF envisage de lancer une campagne de communication pour promouvoir sa nouvelle étiquette, laisse entendre Flavio Vani. « Nous ferons de la publicité pour faire connaître notre marque syndicale », indique-t-il.

LE VETO DE L’AUTORITÉ?

Mais un écueil pourrait poindre : l’AMF laissera-t-elle l’APCSF aller de l’avant avec son appellation?

« J’en doute fort », avance Jean Dupriez, qui rappelle que la Loi sur la distribution de produits et services financiers proscrit l’utilisation de l’appellation de conseiller financier (chapitre D-9.2, a. 215).

« Pourquoi l’Autorité nous empêcherait-elle d’avancer? s’interroge Flavio Vani. Nous ne faisons de mal à personne! Nous vendons la compétence et la confiance de nos membres. Si l’on veut nous empêcher de lancer cette appellation, il faudra le faire avec toute autre organisation. »

Le président de l’APCSF n’entend pas demander de permission particulière avant d’aller de l’avant avec son projet. « Comme syndicat professionnel, nous avons le droit de donner une marque à nos membres et de leur offrir des cours », conclut-il.

« Nous n’avons pas de commentaire à faire sur ce sujet », répond pour sa part Sylvain Théberge, porte-parole de l’Autorité, interrogé quant à la position de l’organisme de réglementation sur le lancement de ce nouveau nom.

Du côté du Conseil des professionnels en services financiers, on se montre peu impressionné. Il faut dire que la rivalité du CDPSF avec l’APCSF remonte à la création même du Conseil en 2014, contestée par l’APCSF. Le CDPSF mentionne ainsi que cette nouvelle appellation risque de créer de la confusion avec celles déjà utilisées dans l’industrie.

Didier Bert

Didier Bert est journaliste indépendant. Il collabore à plusieurs médias sur les thèmes de l’économie, des finances et du droit.