L’assurance « fraternelle », ça rapporte un max

28 mai 2014 | Dernière mise à jour le 28 mai 2014
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60 « agents fraternels », un seul inscrit

Les Chevaliers québécois compteraient environ une soixantaine d’« agents fraternels », dont au moins cinq « agents généraux » que nous avons pu identifier à travers le dédale confus que sont les deux sites web québécois des Chevaliers. Dans certaines régions, un « agent général » supervise un simple agent ; dans d’autres régions, ils seraient une dizaine à se rapporter à un « directeur d’agence ».

Nos recherches nous ont permis d’établir qu’il n’y aurait qu’un seul de ces agents recensé au registre des représentants inscrits de l’AMF. Cependant, l’article 3 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers exempte d’autorisation de pratiquer les agents d’une société de secours mutuel.

Quand on demande à l’AMF si elle a des exigences de formation envers les agents des SSM, Sylvain Théberge, porte-parole du régulateur, répond par courriel « non, car ils ne sont pas encadrés ». Si un conseiller vend des produits d’autres assureurs que les SSM, soit des produits qui relèvent de la LDPSF, il doit en revanche être inscrit et est donc tenu aux mêmes obligations que tous les autres conseillers, précise-t-il.

Un Chevalier sous enquête de l’AMF

En avril dernier, Yvon Perreault, jusqu’à tout récemment conseiller pour la Fraternelle d’assurance des Chevaliers de la région de Joliette, était visé par des ordonnances de l’AMF, qui l’accuse de placement illégal. On le soupçonne en outre d’être l’instigateur d’une fraude à la Ponzi.

À nos multiples demandes de précisions, tant auprès des responsables québécois qu’américains, quant à la teneur de leurs activités d’assurance, les Chevaliers ont finalement répondu par courriel qu’étant donné l’enquête policière dont Yvon Perreault fait l’objet, l’organisation « se voit forcée de se limiter à une brève déclaration ».

Les Chevaliers disent ainsi être stupéfaits des actes reprochés à Yvon Perreault, qu’ils auraient par ailleurs expulsé. « Pour le bien de nos membres et du public en général, les Chevaliers de Colomb ont lancé une enquête à ce sujet dès qu’ils ont été informés de ces allégations, ont pris toutes les mesures nécessaires pour protéger le public et collaborent pleinement à l’enquête des forces de l’ordre sur les activités alléguées de monsieur Perreault. »

« Un risque objectif »

La vente d’assurance non encadrée « est un risque objectif » déplore Michel Mailloux, président du cabinet de consultation en conformité Mayhews. Le peu d’information qu’il a pu glaner sur les produits offerts par la société le désole. « S’ils ne sont pas formés, s’ils n’ont pas de permis, on multiplie les risques en conformité. On ne sait rien sur la rémunération, sur l’encadrement, sur les mises à jour… »

À la Chambre de la sécurité financière, on fait savoir que « sous l’angle de la protection du public, la Chambre estime que le public est davantage protégé lorsqu’il fait appel aux conseils d’un membre de la Chambre, qui l’encadre au plan de la discipline, de la déontologie et de la formation continue ».

L’absence d’encadrement réglementaire du réseau de distribution des Chevaliers fait d’ailleurs en sorte que les clients lésés par un agent ou un produit des Chevaliers n’ont aucun recours réglementaire, « exception faite d’un conseiller qui serait inscrit chez nous et qui vend des produits d’une autre compagnie », selon Sylvain Théberge, de l’AMF.

Ce dernier précise cependant que les sociétés de secours mutuel « ont un permis et font donc l’objet de la même surveillance que tout autre assureur détenant un permis au Québec ».

En plus, il ne paient pas d’impôts!

De surprise en surprise… Il semble que les contribuables, et donc les conseillers inscrits, subventionnent les activités de la société de secours mutuel sans but lucratif qu’est Les Chevaliers de Colomb, sans le savoir.

On trouve trace de la structure de distribution des Chevaliers dans un litige opposant ces derniers aux autorités fiscales canadiennes en 2009. Dans un article de la Revue fiscale canadienne, un avocat fiscaliste qui a conseillé les Chevaliers, Joel A. Nitikman, de chez Dentons, décrit les activités de ventes qui les exemptent d’impôt sur leurs revenus d’assurance :

« Les Chevaliers, écrit l’avocat, sont un OSBL américain qui [vend des assurances] au Canada. Au sommet de la pyramide, on trouve un agent en chef. Sous lui se trouvent plusieurs paliers d’agents seniors, lesquels supervisent à leur tour plusieurs agents juniors. Tous perçoivent des commissions sur leurs ventes, mais également une partie des commissions perçues par les agents subalternes qu’ils ont recrutés. Plus nombreux sont les agents recrutés, plus importantes sont les commissions perçues par l’agent superviseur. »

Ce système prend place dans les résidences des agents, qui doivent faire approuver toutes leurs transactions par la maison-mère américaine.

« L’assureur n’a pas accès aux dossiers de ses agents […] Les Chevaliers de Colomb n’ont aucun directeur ou responsable visitant les agents. Tous les risques d’affaires de la vente d’assurance [pour le compte des chevaliers] sont donc à la charge des agents eux-mêmes [notre traduction] », poursuit Joel A. Nitikman.

Cette structure confère un autre avantage aux Chevaliers : l’utilisation d’agents indépendants faisant en sorte que l’assureur n’a pas de bureau permanent au Canada. Il est donc exempté d’impôt fédéral sur les revenus d’assurance réalisés au pays.

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