« Le Canada est au cœur des paradis fiscaux »

Par La rédaction | 8 novembre 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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En dépit des discours de Justin Trudeau, qui dit « combattre l’évasion fiscale et l’évitement fiscal », la réalité est que le Canada fait partie du problème et non de la solution en matière de paradis fiscaux, estime le chroniqueur économique Gérald Fillion.

Dans une analyse publiée sur le site de Radio-Canada, le chroniqueur économique juge que les informations révélées par la fuite des Paradise Papers soulèvent « de sérieuses préoccupations sur l’intérêt réel du Canada à mettre fin à l’existence » de ce phénomène.

« C’est toute la stratégie du gouvernement Trudeau en matière fiscale qui fait sourciller. Que ce soit les passe-droits fiscaux accordés à Netflix, les ententes fiscales avec KPMG, le possible conflit d’intérêts du ministre Morneau ou les réponses évasives de Justin Trudeau à propos de l’homme d’affaires Stephen Bronfman, le gouvernement libéral ne cesse d’alimenter la suspicion et le doute à propos de son engagement réel dans la justice fiscale », dénonce le journaliste.

263 G$ INVESTIS À L’ÉTRANGER EN 2016

« Il faut dire que les banques canadiennes ont pignon sur rue dans les paradis fiscaux depuis belle lurette et que jamais les gouvernements successifs, conservateurs et libéraux, n’ont levé le petit doigt pour faire changer cet état de fait », relève-t-il, en citant les récents propos d’Alain Deneault tenus sur la chaîne RDI. « Plusieurs paradis fiscaux comme tels ont été l’œuvre des Canadiens. Dans les années 1960 et 1970, ce sont des Canadiens qui ont créé, par exemple, les Bahamas, les Caïmans, les îles Turques-et-Caiques, Trinité-et-Tobago, la Jamaïque et, d’une certaine façon, la Barbade, avec [un] accord de non double imposition », avait déclaré lundi le chercheur, auteur de plusieurs livres-enquêtes sur la question.

Gérald Fillion souligne en outre que les Canadiens « investissent massivement dans les paradis fiscaux », puisque dans la liste de leurs investissements directs effectués à l’étranger, six des 10 pays qu’ils privilégient en sont un. Résultat, en 2016, ceux-ci représentaient quelque 263 milliards de dollars. Un montant faramineux qui amène le chroniqueur à poser deux questions. La première : sur tous ces milliards qui s’envolent vers l’étranger, « quelle part devrait revenir au trésor canadien pour investir dans les services publics, en éducation, en santé, dans les communautés autochtones, dans les infrastructures, dans la lutte contre la pauvreté »? Et la seconde : même si ces activités sont légales, « est-il normal que le Canada laisse autant de ses citoyens profiter des largesses fiscales de ces pays »?

En guise de réponse, le journaliste cite de nouveau Alain Deneault, pour qui « le problème des paradis fiscaux, ce sont les paradis fiscaux ». Et il reprend des propos de la fiscaliste Marwah Rizqy, également tenus à l’antenne de RDI : « L’histoire des paradis fiscaux, ça va faire 100 ans qu’on en parle. Alors, aujourd’hui, est-ce qu’on peut faire des affaires sérieuses et arrêter d’avoir des rapports volumineux de 1 000 pages qui disent pourquoi il est impossible d’agir? » Si la spécialiste assure que le Canada étant un État souverain, il pourrait rapidement agir sur plusieurs fronts, Gérald Fillion se montre plus pessimiste. « Est-ce que Bill Morneau et Justin Trudeau sont prêts à changer radicalement le rôle du Canada dans la prolifération et la prospérité des paradis fiscaux? Sont-ils prêts à un virage à 180 degrés pour mettre en œuvre une véritable justice fiscale? », se demande-t-il.

L’ARC POINTÉE DU DOIGT POUR SA PASSIVITÉ

Dans une enquête publiée mardi sur son site web, Radio-Canada se penche également sur « ces milliards qui échappent au fisc canadien » et se demande « combien d’argent échappe chaque année au Canada à cause des paradis fiscaux? » Mais selon la chaîne publique, la réponse est « difficile » à trouver. En effet, contrairement à ses homologues aux États-Unis, au Royaume-Uni, en France ou en Allemagne, par exemple, l’Agence du revenu du Canada (ARC) ne calcule pas l’« écart fiscal », autrement dit la différence entre ses revenus potentiels en impôts et les sommes finalement collectées.

Faute de données précises sur cette question, Radio-Canada reprend donc une récente estimation du Conference Board selon laquelle un montant compris entre neuf et 48 milliards de dollars pourrait échapper chaque année au fisc canadien. La chaîne d’information précise également que la ministre du Revenu national, Diane Lebouthillier, a commandé une étude sur la façon de mesurer l’écart fiscal. Elle indique par ailleurs que l’ARC ne reste pas totalement inactive, puisque 990 contribuables d’un océan à l’autre font l’objet d’un audit financier, dont 42 sont soupçonnés d’évasion fiscale, et qu’elle a identifié 164 promoteurs de structures d’optimisation fiscale, dont 25 sont actuellement soumis à un audit.

Des efforts qui n’empêchent pas l’agence fédérale de faire l’objet de vives critiques de la part de certains élus, qui l’accusent notamment d’entretenir « une culture du secret » et de ne pas déployer assez d’efforts pour combattre l’évasion fiscale, rapporte La Presse. Sénateur de l’Île-du-Prince-Édouard, Percy Downe se dit par exemple incapable d’obtenir de l’ARC des données précises concernant le montant des impôts impayés au Canada. Et il ne mâche pas ses mots, estimant qu’« il y a certainement un manque de transparence et une culture du secret à l’Agence qui sont très déplorables ».

La Banque du Canada demeure silencieuse

Quatre jours après le début des révélations autour des Paradise Papers, le gouverneur de la Banque du Canada (BdC) refuse de se prononcer sur les riches contribuables qui ont recours aux paradis fiscaux pour éviter de payer de l’impôt, rapporte Le Journal de Montréal.

« C’est une question loin de notre mandat et de notre expertise. C’est une question pour quelqu’un d’autre, mais pas pour nous », a répondu aux journalistes Stephen Poloz, « visiblement agacé par la question », selon le quotidien. Le rôle principal de la BdC est pourtant de « favoriser la prospérité économique et financière du Canada », note le JdeM, qui rappelle que l’une de ses quatre responsabilités est également de « promouvoir la fiabilité, la solidité et l’efficience des systèmes financiers au Canada et à l’échelle internationale ».

Quelles sont les personnalités et les sociétés citées?

De la société Apple au chanteur Bono, en passant par la reine d’Angleterre, la liste des personnalités et des multinationales dont les noms apparaissent dans les Paradise Papers est longue, rapporte l’Agence France-Presse.

Ainsi, Elizabeth II disposerait, par l’entremise du Duché de Lancaster, d’une dizaine de millions de livres sterling (environ 17 millions de dollars canadiens) d’avoirs dans des fonds basés aux îles Caïmans et aux Bermudes. De même, le secrétaire d’État au Commerce américain, Wilbur Ross, contrôlerait via des sociétés offshore près du tiers d’une compagnie de transport maritime, Navigator Holdings, dont l’un des principaux clients serait une société gazière russe contrôlée par des proches du président Poutine. Au pays, le milliardaire Stephen Bronfman, proche de Justin Trudeau et trésorier du Parti libéral du Canada lors de sa campagne électorale en 2015, aurait placé quelque 77 millions de dollars dans une société offshore aux îles Caïmans.

De son côté, le chanteur Bono serait actionnaire d’une entreprise maltaise qui aurait investi dans un centre commercial lituanien, par le biais d’une holding ayant utilisé des méthodes d’optimisation fiscale illégales. Les chanteuses américaine Madonna et colombienne Shakira sont également citées, ainsi que le quadruple champion du monde de Formule 1, le Britannique Lewis Hamilton.

Enfin, les Paradise Papers révèlent que plusieurs grands groupes font un usage massif de l’optimisation fiscale. C’est en particulier le cas d’Apple, de Nike, ou encore de la société Uber.

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