Les Canadiens aiment-ils trop leur pays?

29 novembre 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Homme portant un chandail avec le drapeau du Canada.
Photo : Igor Stevanovic / 123RF

Leur préférence à investir au pays nuit beaucoup à la diversification de leurs actifs, croit Slava Kulesh, analyste de recherche principal au sein du groupe de recherche en gestion des investissements de la CIBC.

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« Les Canadiens sont parmi les pires du monde en ce qui a trait la surpondération de titres domestiques. En moyenne, la moitié de leur portefeuille est placé au Canada alors que le pays ne compte que pour 3 % des marchés financiers mondiaux. Ils sont surpondérés de 47 % sur le marché domestique. Seuls les Australiens sont pires avec 58 % », dit Slava Kulesh.

« La préférence domestique n’est pas un trait purement canadien ou australien, c’est un trait cognitif des humains qui remonte aux temps préhistoriques, quand la familiarité était associée à la sécurité. La recherche en psychologie comportementale a démontré que lorsqu’on est confronté à deux choix, on a tendance à sélectionner celui qui nous est familier. Alors ce n’est pas étonnant qu’un Canadien qui voit un portefeuille rempli de Bell, Rogers, TD, CIBC et Scotia le préfère à un autre qui composé d’entreprises similaires au Japon ou en Europe. Mais il y a une différence entre prendre la décision la plus confortable, ou la plus rationnelle », dit Slava Kulesh.

Bien qu’elle soit universellement humaine, la préférence domestique est plus dommageable pour un investisseur canadien que pour bien d’autres, car notre marché est lourdement concentré dans une poignée de secteurs, précise l’expert.

« Les services financiers, l’énergie et l’industrie représentent près des deux tiers du TSX. Qui plus est, ces trois secteurs évoluent en corrélation. On l’a vu lors de la chute des prix du pétrole en 2014, qui a entraîné les services financiers avec elle car le marché s’inquiétait de l’exposition des banques aux pétrolières », dit Slava Kulesh.

Au niveau des titres individuels, la diversification n’est pas non plus au rendez-vous puisque les dix plus gros du TSX en représentent le tiers, et ce sont trois banques qui tirent plus de 60 % de leurs revenus du Canada, argue M. Kulesh.

« Comparez cela avec les trois plus gros noms du S&P 500, soient Apple, Microsoft et Amazon, qui tirent moins de la moitié de leurs revenus des États-Unis. Et ce, dans un pays qui compte pour un quart du PIB mondial, alors que le Canada n’y contribue que 2 % », dit-il.

Bref, l’investisseur canadien moyen est trop exposé aux matières premières et aux titres individuels sans être adéquatement compensé pour cette prise de risque, croit l’expert.

« Au début des années 2000, les matières premières canadiennes comptaient parmi les meilleures catégories d’actifs en raison de la demande croissante des pays émergents. Mais depuis la crise financière de 2008, ces économies ont ralenti de même que la demande de matières premières. Et les marchés financiers ont commencé à se tourner plutôt vers l’innovation, comme les technologies de l’information. Au Canada, celles-ci ne représentent que 4 % du marché boursier. À moins de voir venir un autre boum des matières premières, est-ce que c’est une bonne idée de placer la plupart de vos actifs au Canada ? »

Pour Slava Kulesh, il est beaucoup plus prudent à long terme de détenir des actifs de régions et secteurs variés, que de miser trop sur un seul marché – surtout le nôtre.

L’expert recommande aux conseiller d’aborder le syndrome de la préférence domestique avec leurs clients, pour les aider à mieux diversifier leurs placements. Et il ajoute un autre point de discussion, lié à leur profession : le « capital humain », soit la valeur des revenus futurs du travailleur.

Il prend l’exemple d’un employé d’une pétrolière qui aurait investi son épargne dans les titres canadiens avant 2014. Après la chute des prix du pétrole, un tel investisseur aurait vu fondre à la fois son capital financier et son capital humain, puisqu’il aurait risqué de perdre son emploi.

« À moins d’être un employé de haut niveau dans les services publics, le capital humain de beaucoup de gens est à la merci des hauts et bas de l’industrie dans laquelle ils travaillent. Investir à l’étranger peut s’avérer prudent si on prend en compte à la fois le capital financier et le capital humain. Il est important pour un conseiller d’évaluer à la fois ces deux formes de capital des clients. »

Ce texte fait partie du programme Gestionnaires en direct, de la CIBC. Il a été rédigé sans apport du commanditaire.