L’héritage des scandales financiers

Par Yves Bonneau | 6 octobre 2016 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Depuis l’an 2000, beaucoup de scandales financiers ont secoué la confiance des investisseurs et du grand public – et surtout la confiance envers les conseillers. Le régulateur y a-t-il contribué?

C’est quand même stupéfiant que les plus grandes arnaques d’ici aient été l’affaire de sociétés émettrices… dont on a étrangement oublié les noms : Mount Real, Norshield, Triglobal, Portus, Zenith, Argentum… il y en a pourtant eu pour plusieurs centaines de millions de dollars ! L’exception, c’est Norbourg et Vincent Lacroix. Onze ans plus tard, qu’en reste-t-il ?

À la fin, les conseillers font toujours les frais de la mauvaise réputation des entreprises fautives puisqu’ils y sont associés malgré eux et qu’on les oblige à contribuer à un fonds d’indemnisation qui sème la confusion et même se retourne contre eux. Au bout du compte : vous vous êtes fait avoir.

Ce que retient le public de Norbourg, c’est 115 millions d’épargne escroqués par des subterfuges comptables et autres falsifications de documents à 9 200 petits épargnants. On a soupçonné longtemps que des conseillers étaient de mèche avec Lacroix.

Pourtant, le scandale méconnu, c’est qu’aucun représentant n’a été mêlé à cette fraude de près ou de loin. Point. Le seul malheur de ces conseillers, c’est d’avoir vendu des FCP de la famille Norbourg à leurs clients. Le principal argument de vente des représentants : encourageons les nôtres – ce sont des fonds « made in Québec », la Caisse de dépôt et de placement en est le principal actionnaire, c’est géré ici, ce sont des entreprises financières créées par l’incubateur de la CDP. Puis, la Caisse a vendu ces actifs sans vraiment se soucier à qui elle transférait les détenteurs de fonds.

Le FISF indemnise les victimes de conseillers malveillants, pas les victimes d’une société émettrice ou d’un gestionnaire. Malgré tout, on a cherché encore et encore par quel expédient on pourrait indemniser les épargnants floués. Il y avait la pression médiatique, la pression du ministère des Finances, la pression du gouvernement sur l’AMF. Il fallait faire quelque chose. On l’a fait. On a donc pris 31,8 millions dans le fonds d’indemnisation pour le donner aux victimes. Difficile d’être contre, tant de vies ruinées, il fallait réparer. L’AMF s’est acquittée de la tâche. C’était la chose (noble ?) à faire. Mais juridiquement parlant, était-ce contestable ? Fort probablement. Il y avait une question à soulever : sur quelles bases a-t-on accordé l’indemnisation aux victimes ? L’AMF et ses avocats ont ainsi prétendu que des représentants qui avaient vendu des parts des fonds de Norbourg aux investisseurs étaient soupçonnés d’avoir reçu des commissions inappropriées.

Grâce à cette prétention, l’AMF a pu justifier l’indemnisation de 925 épargnants. Imaginez, sur 9 200 victimes, il y a eu seulement 1 987 demandes d’indemnisation et, de ce nombre, 1 062 ont été rejetées. Lorsqu’il s’est avéré impossible de prouver que des conseillers avaient reçu des commissions gonflées ou inappropriées, l’AMF a alors tenté une autre tactique pour récupérer les 32 millions que le FISF avait déboursés : poursuivre 13 conseillers pour des fautes dites d’erreur et omission ayant entraîné la perte totale ou partielle des actifs confiés par leurs clients, et ainsi pouvoir exiger de leurs assureurs en responsabilité professionnelle, nommément la Lloyd’s (24,6 M $) et AXA (7,2 M $), qu’ils couvrent les dommages. Mais cela a également fait chou blanc !

Pourquoi déterrer ces squelettes ?

La révision de la LDPSF en cours touchera aussi les règles du FISF. Comme il n’y a aucune garantie que le règne de l’arbitraire ne prévaudra pas de nouveau avec les indemnisations accordées par le Fonds, il faut profiter de la modernisation de la loi pour confier celui-ci à un organisme complètement neutre, autre que l’AMF.

Il faut surtout que les administrateurs du Fonds soient en majorité des conseillers, puisque ce sont les conseillers de l’industrie des services financiers qui l’alimentent. Si le Fonds d’indemnisation de la Chambre des notaires est administré par des notaires, de la même manière, le FISF devrait être géré par des membres de la CSF et de la ChAD, qui sont des conseillers inscrits. D’ailleurs, dès 2008, la Chambre de la sécurité financière a pris position au nom de ses 30 000 membres dans ce dossier, disant juger inéquitable que les conseillers doivent regarnir le fonds d’indemnisation déplumé surtout en raison de fraudes de gestionnaires.

Dans son guide de référence pour la Consultation sur l’indemnisation des consommateurs de produits et services financiers au Québec, publié en 2011, l’AMF affirme qu’il y a quatre limites à ne pas franchir pour un fonds d’indemnisation : pas de couverture intégrale, pas de couverture des aléas de marché, pas de couverture des activités personnelles (par exemple : vous prêtez de l’argent à un ami qui n’est pas client pour un placement hors de vos activités professionnelles) et, tenez-vous bien, pas de couverture pour les fraudes commises par les sociétés émettrices (ce qu’était pourtant Norbourg !). La raison laconique invoquée au document : « Un mécanisme de protection contre la fraude des sociétés émettrices reviendrait à redéfinir l’ensemble des règles relatives aux personnes morales et au financement des entreprises. »

Clairement, l’AMF se positionne contre l’élargissement de la couverture du FISF, en même temps qu’elle contredit les raisons nébuleuses qui lui ont permis de piger 32 millions de vos cotisations pour renflouer la fraude d’une société émettrice.

Et tout cela ne l’a pas empêchée de resserrer les contrôles portant sur les conseillers, d’augmenter substantiellement le nombre d’inspecteurs et d’inspections impromptues, d’ajouter des procédures et des formulaires à noircir et d’élaborer un guide indiquant au public comment dénoncer son conseiller.

Il semble y avoir dans cette vision stratégique de l’encadrement un biais en faveur des grandes sociétés financières dicté par les lobbies, de même qu’un manque de respect pour le professionnalisme des conseillers. On constate dès lors les limites réelles de l’action de notre organisme de réglementation. Le ministre des Finances doit absolument tenir compte de ce déséquilibre flagrant en défaveur des conseillers dans la révision de la Loi sur la distribution de produits et services financiers.

Yves Bonneau, rédacteur en chef yves.bonneau@objectifconseiller.rogers.com


• Ce texte est paru dans l’édition d’octobre 2016 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

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