L’incidence du nouveau paragraphe 55 (2) LIR sur les mécanismes d’invalidité à une CEA

26 octobre 2016 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Les nouvelles dispositions du paragraphe 55 (2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR) introduites par le budget fédéral du 21 avril 2015 ont déjà fait couler beaucoup d’encre et toutes leurs répercussions sont encore inconnues. En plus des incidences qu’elles peuvent avoir sur les dividendes intersociétés, elles peuvent influencer les mécanismes à prévoir en cas d’invalidité dans les conventions entre actionnaires (CEA), lesquelles devront certainement être revues.

LE PARAGRAPHE 55 (2) LIR

Cette disposition est une règle anti-évitement spécifique visant à empêcher l’utilisation de dividendes intersociétés libres d’impôt de manière à diminuer le gain en capital découlant d’une vente des actions. Voici un exemple courant : une société en exploitation (Opco) verse un dividende libre d’impôt d’un montant important, par exemple 500 000 $, à l’un de ses actionnaires qui est une société de gestion (Gesco), après quoi les actions de l’Opco sont vendues à une valeur moindre que celle du montant versé. Si les nouvelles dispositions s’appliquent, le dividende intersociétés devient un gain en capital imposable pour la Gesco, ce qui n’est pas nécessairement le résultat recherché.

Depuis le 21 avril 2015, tout dividende versé entraînant une diminution sensible de la juste valeur marchande d’une action sera visé par le paragraphe 55 (2) LIR. En pratique, tous les paiements de dividendes pourraient être considérés comme diminuant la juste valeur d’une action[1][2]­.

Certaines exceptions s’appliquent, faisant en sorte qu’un dividende versé à partir du revenu protégé[3], ou dans le cours ordinaire de sa politique interne, n’ayant pas pour objet de réduire la valeur des actions, ne serait pas visé par ce paragraphe (« test d’objet »). Les dividendes réputés reçus lors d’un rachat, d’une acquisition ou d’une annulation d’actions sont également exclus, et donc toute action détenue par une Gesco rachetée par une Opco bénéficie de l’exception[4].

En conséquence, sauf exception, toute prestation d’assurance invalidité versée par voie de dividende d’une Opco en faveur d’une Gesco serait visée par les nouvelles dispositions.

SITUATION EN CAS D’INVALIDITÉ À UNE CEA

Imaginons le cas où deux actionnaires détiennent personnellement chacun une valeur de 800 000 $ d’actions dans une Opco et que leurs Gesco respectives en détiennent pour une valeur de 200 000 $. L’Opco a pris des assurances de type rachat de parts en cas d’invalidité d’un montant de 1 000 000 $ sur la tête de chacun des deux actionnaires. En cas d’invalidité de l’un ou l’autre, l’Ocpo récoltera la prestation d’assurance pour ensuite verser une somme de 800 000 $, par voie de dividende extraordinaire, à la Gesco de l’actionnaire actif en vue de l’acquisition par cette dernière des actions de l’actionnaire invalide, et procédera au rachat des actions détenues par la Gesco de l’actionnaire invalide pour le montant de 200 000 $ restant.

Cette méthode est à fort risque relativement aux règles du paragraphe 55 (2) LIR, puisqu’un dividende extraordinaire de 800 000 $ est versé à la Gesco. De plus, le produit d’assurance invalidité reçu par l’Opco pourrait entraîner la contamination et la perte de la déduction du gain en capital, même au moment de la vente en cas d’invalidité[5]. Elle permet cependant de réaliser du gain en capital sur les actions détenues personnellement par l’actionnaire invalide et augmente le prix de base rajusté (PBR) pour l’acquéreur. D’autre part, le rachat des 200 000 $ en actions ne serait pas sujet à la nouvelle règle et serait encore traité comme un dividende libre d’impôt. Dans le cas d’un transfert entre personnes liées, ce mécanisme de vente d’actions détenues personnellement en faveur d’une société de gestion n’est généralement pas retenu[6].

Pour éviter ces désavantages des nouvelles dispositions, l’assurance invalidité pourrait avoir comme seul bénéficiaire la Gesco du co-actionnaire, qui pourrait aussi en être le titulaire, et les achats-ventes d’actions détenues personnellement devraient être en croisé, c’est-à-dire que la Gesco de l’actionnaire actif achèterait les actions de l’actionnaire invalide. Toutefois, dans ce cas, si l’Opco verse un dividende spécial à la Gesco pour rembourser les primes annuelles, celui-ci pourrait être sujet à l’application du nouveau paragraphe 55 (2) LIR, sauf s’il est versé dans le cadre d’une politique de rétribution.

Me Odile St-Hilaire, notaire fiscaliste, et Michel Lessard, fiscaliste, assureur vie agréé et Pl. Fin., Lessard & St-Hilaire, société professionnelle inc.


[1] À moins que celle-ci ne soit nulle. [2] Avant ces modifications, ce paragraphe ne s’appliquait pas à l’intérieur d’un groupe lié. Le sous-alinéa 55(5)e)(i) LIR indique que des personnes sont réputées n’avoir entre elles aucun lien de dépendance et ne pas être liées entre elles si l’une est le frère ou la sœur de l’autre. [3] Sous réserve du calcul du revenu protégé en raison du changement du mot « attribuable » à l’ancien paragraphe, au mot « est supérieur » dans le préambule du nouveau paragraphe 55 (2) LIR. [4] Alinéa 55 (3) a) LIR lequel réfère aux paragraphes 84 (2) et 84 (3) LIR. [5] Si les critères du paragraphe 110.6 (1) LIR ne sont pas respectés, notamment s’il fait passer les actifs non opérationnels à plus de 50 %. [6] Car l’article 84.1 LIR fait en sorte de convertir le gain en capital réalisé en dividende sur les actions détenues personnellement et donc, l’actionnaire invalide ne peut bénéficier de sa DGC sur ses actions admissibles.


• Ce texte est paru dans l’édition d’octobre 2016 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.