L’information, le nerf de la guerre (financière)

Par La rédaction | 12 août 2016 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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L’asymétrie des informations entre les investisseurs et ceux qui vendent des titres sur les marchés financiers serait-elle ce qui fait dérailler les marchés? C’est ce que soutient le chroniqueur Noah Smith sur le site de Bloomberg.

Le concept d’asymétrie de l’information n’a rien de nouveau. Dès 1970, il est au coeur d’un article de George Akerlof intitulé The Market for Lemons, qui ne parle pas de citrons, mais plutôt de voitures usagées. Dont certaines, on le sait, sont plus usagées que d’autres!

Et c’est justement là que le bât blesse. En effet, George Akerlof démontre que dans un marché où les vendeurs ont plus d’informations sur les biens qu’ils vendent que les acheteurs, le nombre de transactions chutera. Le vendeur honnête, qui sait que sa voiture est en bon état, souhaite la vendre à prix élevé. Mais l’acheteur, qui ne sait pas si la voiture est de qualité ou non, ni s’il peut faire confiance au vendeur, veut payer moins cher. Devant une telle situation, le nombre des transactions qui finiront par se conclure devrait rester bas.

EFFET MARQUÉ SUR LES MARCHÉS

Dans la plupart des marchés, on peut diminuer l’impact de l’information asymétrique. L’acheteur de voiture peut la faire inspecter par un mécanicien. Le vendeur peut acquérir au fil des ans une très bonne réputation, ou encore utiliser des outils comme Carproof retraçant l’histoire du véhicule.

Mais la nature très particulière des marchés financiers les rend très vulnérables à l’effet de l’information asymétrique. En 2008, ceux qui étaient censés faire « l’inspection mécanique » des produits financiers complexes (les agences de crédit) se sont révélées inefficaces, rappelle Noah Smith. Et l’excellente réputation de banques comme Lehman Brothers ou Bear Stearns a empiré le problème, puisque les gens leur ont fait confiance et ont acheté de mauvais produits.

De plus, si l’on se procure une voiture pour son utilité immédiate ou parce qu’elle nous est tombée dans l’oeil, nul n’achète de produits financiers pour leur valeur intrinsèque. Personne n’a de coup de foudre pour un titre adossé à des hypothèques. Ce qui compte, c’est la valeur du produit pour les autres et comment cette valeur évoluera au fil du temps. En d’autres termes, sur les marchés financiers, l’information est le produit.

LA RÉGLEMENTATION EST-ELLE LA SOLUTION?

En 1982, Paul Milgrom et Nancy Stokey posent une question cruciale : pourquoi le volume des échanges est-il si élevé sur les marchés financiers? Si quelqu’un m’offre une action à 100 $, c’est probablement qu’il pense qu’elle vaut moins. Ce qui devrait me rendre nerveux. Et si je l’achète, c’est que je crois qu’elle vaut plus. Ce qui devrait rendre le vendeur nerveux. Dans un tel contexte, si les investisseurs étaient tous rationnels, le volume d’échanges resterait bas. Or, au contraire, les volumes sont très élevés. Pourquoi?

En 1985, deux articles de Lawrence Glosten et Paul Milgrom, ainsi que d’Albert Kyle tentent de répondre à cette question. Selon leur hypothèse, le nombre élevé de transactions tient à l’interaction entre trois groupes : les courtiers informés, ceux qui font les marchés (les middlemen) et les courtiers de liquidités. Ces derniers ont besoin d’acheter ou vendre immédiatement pour des raisons qui n’ont rien à voir avec le marché, mais les premiers échangent parce qu’ils ont des informations sur la valeur fondamentale des actifs.

Ainsi, ceux qui font les marchés font des profits sur le dos des derniers et perdent de l’argent au profit des premiers. Cette valse d’informations entre courtiers finit par fixer le prix du produit. Sauf que quand l’information devient trop complexe, ce processus peut mener à des bulles, et à des crash boursiers.

Selon Noah Smith, l’information asymétrique, qui explique essentiellement comment les courtiers génèrent leurs profits, devrait se trouver au coeur des réflexions sur la législation entourant les marchés. Dans une allusion à peine voilée à Donald Trump, il indique qu’il faut garder une certaine méfiance face à ceux qui proposent de déréglementer fortement les marchés financiers, lesquels ne sont pas, dit-il, des marchés ordinaires.

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