Nouvelles précisions sur l’obligation d’immatriculation de certaines fiducies

27 février 2015 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Dans notre chronique de novembre dernier, nous présentions la nouvelle obligation d’immatriculation au Registraire des entreprises du Québec concernant certaines fiducies, entrée en vigueur le 1er juillet dernier. À ce moment, le Registraire n’avait pas élaboré plus amplement les notions « d’exploitation d’une entreprise » ou de « caractère commercial ». Plusieurs interrogations se posaient donc relativement à l’obligation d’immatriculation de certaines fiducies utilisées régulièrement en planification. Le Registraire vient maintenant de préciser[1] le sens de ces expressions et les types de fiducies assujetties à ces nouvelles dispositions. Voyons ce qu’il en est.

LE SENS DE « L’EXPLOITATION D’UNE ENTREPRISE »

Cette expression a le sens donné par l’article 1525, 3e alinéa du Code civil du Québec, c’est-à-dire « l’exercice par une ou plusieurs personnes d’une activité économique organisée, consistant dans la production ou la réalisation de biens, leur administration ou leur aliénation, ou dans la prestation de services ».

Le guide réfère à la décision Belinco[2] pour énumérer les critères de l’organisation nécessaire à l’exploitation d’une entreprise, faisant en sorte que la fiducie doit s’immatriculer ou non :

La nécessité d’un plan précisant les objectifs économiques de l’entreprise, qu’il soit écrit ou non;

La nécessité d’actifs reliés à la poursuite de ses objectifs (équipements, immeubles ou un simple coffre à outils);

La nécessité d’une série d’actes juridiques habituels et usuels faits dans la poursuite de ses objectifs;

La présence d’autres intervenants économiques réceptifs aux biens ou services offerts par l’entreprise, comme la clientèle;

La présence d’une valeur économique ou d’un bénéfice directement attribuable aux efforts de l’entreprise.

LE SENS DE L’EXPRESSION « À CARACTÈRE COMMERCIAL »

Le Registraire mentionne que cette expression englobe, dans son sens courant, les activités artisanales, agricoles, commerciales, professionnelles, financières et industrielles ainsi que celles fondées sur la coopération qui sont réalisées dans le but de faire du profit.

Il précise qu’une fiducie qui exploite un bien récréatif, comme un bateau de plaisance ou un parc récréatif, ou qui fournit une activité qui n’est pas génératrice d’un revenu d’entreprise, n’exploite pas une entreprise à caractère commercial si elle n’a pas d’expectative raisonnable de profit ou si elle n’exploite pas cette entreprise d’une manière suffisamment commerciale. À cet effet, les règles existantes en matière fiscale pourront être déterminantes pour établir s’il y a expectative de profit.

Les règles fiscales : La définition d’entreprise selon les lois fiscales est plus large que celle figurant à l’article 1525 du Code civil du Québec, de sorte qu’elle inclut tout projet comportant un risque ou une affaire à caractère commercial, ou même une seule intention de réaliser un profit. Faut-il donc appliquer le critère du droit fiscal ou du droit civil ? Le Registraire répond en mentionnant que le profit fait toujours partie des objectifs économiques à atteindre pour toute entreprise commerciale, mais qu’il n’est pas le seul élément déterminant.

Prenons l’exemple d’un immeuble résidentiel transféré dans une fiducie et revendu rapidement à profit. Cette vente donnerait probablement lieu à un revenu d’entreprise aux fins de l’impôt, mais pas au sens du Code civil du Québec parce qu’elle n’a pas d’activité suffisamment organisée. La fiducie n’a donc jamais été tenue de s’immatriculer.

LE CRITÈRE « D’ACTIVITÉ » À RETENIR

Le Registraire mentionne qu’il est à retenir que le critère principal n’est pas tant l’objectif pour lequel la fiducie est créée mais son activité. Il convient donc de distinguer les activités de la fiducie de celles des entreprises dans lesquelles cette fiducie serait actionnaire ou associée.

Prenons le cas d’une fiducie qui serait actionnaire d’une société par actions, ce qui sera souvent la norme dans une fiducie de gel, ou une fiducie qui serait associée dans une société de personnes. Dans ces situations, une telle fiducie n’aurait pas à s’immatriculer au Registre car elle-même n’exerce pas d’activités commerciales.

FIDUCIES SOUMISES À L’OBLIGATION D’IMMATRICULATION

Le Registraire vient préciser les types de fiducies pour lesquelles l’obligation d’immatriculation s’impose :

1. Fiducie d’opérations immobilières :

• Une fiducie qui détiendrait un fonds de placement immobilier;

• Une fiducie qui détiendrait un immeuble commercial, industriel ou à bureaux, même s’il est offert en location à un seul locataire par un bail à long terme;

• Une fiducie qui offrirait dans un immeuble un service de conciergerie, qui détiendrait un parc immobilier;

• Une fiducie qui achète ou revend des biens immobiliers;

• Une fiducie détenant un immeuble locatif d’au moins 12 logements parce qu’elle exploite certainement une entreprise;

Une fiducie qui ne détiendrait qu’une résidence familiale ou secondaire n’exploiterait pas d’entreprise à caractère commercial et ne serait donc pas tenue de s’immatriculer.

2. Fiducie d’investissement :

Ce type de fiducie, qui peut prendre différentes formes, est souvent connu sous le nom de « fiducie de revenu ». Elle fait partie des fiducies tenues de s’immatriculer. Citons particulièrement :

• Les fiducies de fonds communs dans lesquels les petits investisseurs mettent en commun leur capital pour participer aux différents marchés de valeurs mobilières;

• Les fiducies de fonds de placements immobiliers dans lesquels les investisseurs mettent en commun leur capital pour que la fiducie acquière des propriétés commerciales industrielles et à bureaux destinés à la location. Les fonds de placements immobiliers sont généralement inscrits à la Bourse;

• Les fiducies de fonds de redevances qui sont en réalité des mises en commun de capital des investisseurs afin que la fiducie acquière et exploite des propriétés contenant des ressources naturelles. Les fonds de redevance sont généralement inscrits à la Bourse.

3. Fiducie détenant un portefeuille de placement :

La fiducie qui détient un portefeuille de placement peut aussi être tenue de s’immatriculer si l’activité de placement de la fiducie est suffisamment organisée pour conclure à l’existence de l’exploitation d’une entreprise. Ce sera notamment le cas si la fiducie a une activité qui s’apparente à celle d’un courtier en valeurs mobilières qui fait fructifier ses investissements au profit des bénéficiaires.

Les éléments suivants peuvent indiquer la présence d’une activité commerciale :

• Un comité de financement des investissements;

• Une personne au sein de la fiducie qui a des connaissances ou compétences fines du marché des valeurs mobilières;

• L’affectation d’une grande partie des fonds de la fiducie à l’achat de titres;

• La fréquence des transactions, la durée de détention des titres, le mode de financement et la diversité des titres, etc.

FIDUCIES NON ASSUJETTIES À L’IMMATRICULATION

Finalement, le Registraire mentionne une liste de fiducies généralement non assujetties à l’immatriculation, à moins qu’elles exercent des activités organisées à caractère commercial, soit :

• La fiducie de convention de retraite;

• La fiducie d’achat-vente entre associés;

• La fiducie d’achat d’actions;

• La fiducie-sûreté qui détient un bien;

• La fiducie d’entiercement (prête-nom);

• La fiducie de vote (voting trust);

• Les fiducies testamentaires et les fiducies familiales;

• La fiducie d’utilité sociale ou qui a un but culturel, éducatif, philanthropique, religieux ou scientifique.


[1] Dans son guide : « Obligation d’immatriculation concernant les fiducies exploitant une entreprise à caractère commercial », novembre 2014. Pour plus de précisions sur le présent sujet, consulter le guide IN-525. [2] Belinco Développements inc. c. Bazinet (1996) R.J.Q. 1390 (C.S.).

Odile St-Hilaire est notaire fiscaliste.

Michel Lessard est fiscaliste, assureur vie agréé et Pl. Fin. chez Lessard & St‑Hilaire, société professionnelle inc.


• Ce texte est paru dans l’édition de février 2015 de Conseiller. Pour télécharger le PDF, cliquez ici. Cliquez ici pour consulter l’ensemble du numéro.