Placements éthiques : les questions qui ne vous tueront plus

Par Didier Bert | 21 avril 2015 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
9 minutes de lecture

Selon quels critères une entreprise est-elle jugée « responsable » ? Les rendements des placements éthiques sont-ils si intéressants ? Ne restez plus sans voix face aux questions embêtantes sur l’investissement socialement responsable.

QUI DÉCIDE DE CE QUI EST SOCIALEMENT RESPONSABLE ?

Il n’existe pas de label reconnu pour les placements dits éthiques ou socialement responsables. « Le point commun des placements socialement responsables est qu’ils allient généralement des préoccupations environnementales, sociales et de gouvernance », précise Rosalie Vendette, conseillère principale en Investissements socialement responsables chez Desjardins Gestion de patrimoine.

Les gestionnaires de fonds et les institutions financières mandatent des firmes de recherche pour mesurer périodiquement l’évolution de ces préoccupations dans les entreprises. C’est ainsi qu’en 2012, Desjardins a retiré Barrick Gold des titres admissibles dans le Fonds Desjardins Environnement, en raison des déversements répétés par la minière de résidus dans les cours d’eau en Océanie.

Depuis septembre 2014, le site Ethiquette.ca indique sur quels éléments se basent les gestionnaires de placements canadiens pour affirmer que leurs produits d’investissement sont effectivement socialement responsables. Le but de ce site, développé et géré par l’Observatoire de la consommation responsable de l’École des sciences de la gestion de l’UQÀM et Ellio, une firme de conseil en développement durable, est d’aider les investisseurs à s’y retrouver. « Mais nous ne parlons pas des joueurs qui disent intégrer les enjeux éthiques sans expliquer comment », précise Brenda Plant, cofondatrice d’Ethiquette.ca.

Brenda Plant

Ethiquette.ca explique, pour chaque type de placement (fonds communs de placement, fonds distincts, fonds négociés en Bourse, investissement à impact…), les critères utilisés par les gestionnaires lorsqu’ils décident d’investir ou non dans telle entreprise.

Le site classe ces critères en quatre grandes stratégies : l’exclusion des entreprises impliquées dans des industries éloignées des préoccupations de responsabilité sociale (nucléaire, armement, tabac, etc.), l’exemplarité des entreprises, l’activité des actionnaires pour pousser les entreprises à agir de manière responsable, et l’impact social (les retombées sociales positives qu’impliquent les investissements, comme le microfinancement).

PEUT-ON VRAIMENT INVESTIR DANS DES ENTREPRISES PARFAITES ?

« Ça n’existe pas, les entreprises parfaites ! s’exclame Rosalie Vendette. Pour notre part, nous considérons les joueurs qui se débrouillent bien, même s’ils ont encore beaucoup d’impacts sur l’environnement ou sur le volet social. » Par exemple, une entreprise polluante, mais capable de démontrer ses efforts pour améliorer son bilan environnemental, peut ainsi conserver les faveurs de fonds socialement responsables. À l’inverse, les actions de certaines entreprises sont ignorées, voire même vendues si aucun effort n’est constaté pour résoudre une situation problématique.

Dans sa gamme de placements socialement responsables, Desjardins Gestion de patrimoine exclut ainsi les « sociétés qui tirent des revenus des industries des secteurs du nucléaire, du tabac et de l’armement », mentionne l’institution financière sur son site voué aux investissements socialement responsables. « Nos filtres sont basés sur des enquêtes d’opinion, mesurant de larges consensus sociaux quant aux industries dont les gens ne veulent pas tirer de bénéfices », indique Rosalie Vendette.

Le nouvel enjeu de la protection des données personnelles

LES INVESTISSEMENTS SOCIALEMENT RESPONSABLES incluront-ils bientôt le respect des données personnelles ? C’est ce que croit Neil Chappell, qui voit monter cette demande. « Nos recherches montrent que la manière de traiter les données des consommateurs et le respect de la vie privée vont prendre une place croissante dans les critères déterminant la responsabilité sociale des entreprises. »


Chaque investisseur est plus ou moins sensible à ces filtres : certains veulent éviter de tirer profit d’entreprises peu respectueuses de l’environnement, alors que d’autres voudront y investir pour pousser à changer les choses, par exemple en posant des questions lors de l’assemblée générale des actionnaires.

Dans tous les cas, les investissements responsables font s’interroger l’investisseur quant à la manière dont l’entreprise tire ses résultats, pas seulement sur le montant de ceux-ci. « Jusqu’à tout récemment, les investisseurs n’étaient pas encouragés à réfléchir aux actifs qu’ils détenaient », affirme Neil Chappell, vice-président de Blue Heron Advisory Group. Basée à Victoria, en Colombie-Britannique, cette filiale de CIBC Marchés mondiaux a créé deux portefeuilles socialement responsables en 2013 à la demande de ses clients en gestion privée. « La génération qui arrive veut comprendre. Et elle veut de plus en plus que ses paroles et ses actes soient en cohérence. »

La prudence de l’Autorité

« INVESTIGUEZ AVANT D’INVESTIR », clamait en 2009 le slogan de l’Autorité des marchés financiers pour inciter les consommateurs à faire leurs devoirs avant de confier leur argent à des professionnels des services financiers. C’est d’autant plus vrai en matière d’investissements socialement responsables… que l’Autorité ne mène pas d’action dans ce domaine pour éclairer le public.

Interrogé au sujet du travail réalisé par l’Autorité sur l’éducation en matière d’investissements socialement responsables, son porte-parole Sylvain Théberge a répondu : « Nous sommes très prudents lorsque vient le temps d’aborder les produits d’investissements, car cela pourrait favoriser un produit par rapport à un autre. Pour cette raison, nous n’effectuons pas de travail spécifique là-dessus. »

«C’est du marketing!»

Fabien Major a expliqué à Conseiller pourquoi il ne croit plus aux investissements socialement responsables.

Conseiller – Que peut faire le client pour placer son argent en accord avec ses convictions ?

Fabien Major – La meilleure façon d’influencer une entreprise est de vendre ses actions, ou à tout le moins de ne pas les acheter… plutôt que les acheter en espérant qu’elle s’améliore.

C. – Vous n’avez pas confiance dans les placements socialement responsables ?

F.M. – Durant sept ans, j’ai administré un site sur les fonds socialement responsables, mais j’ai perdu confiance dans ce segment très flou. Les gestionnaires de fonds ont des objectifs de rendement et si on leur met trop d’exclusions, ils n’atteignent pas leurs cibles. Alors les normes se sont progressivement assouplies…

C. – Par exemple ?

F.M. – On investit dans les banques canadiennes alors que la plupart d’entre elles ont des activités soutenues dans des paradis fiscaux. Sans parler des entreprises où les CA sont composés à 95 % d’hommes… mais qui prétendent respecter la parité hommes-femmes.

C. – Quel rôle le conseiller devrait-il jouer ?

F.M. – À moins d’être capable de répondre très précisément aux questions de son client, le conseiller peut se voir reprocher d’avoir vendu des investissements socialement responsables qui n’en ont que la couleur. Parce que c’est du marketing… C’est un emballage reluisant. Si le client veut défendre ses convictions, il devrait s’ouvrir un compte de courtage direct pour acheter les valeurs qui l’intéressent.

Rosalie Vendette

CES PLACEMENTS SONT-ILS TOUJOURS COHÉRENTS ?

Votre client pourrait avoir lu quelque part que plusieurs fonds socialement responsables investissent dans la firme pétrolière Suncor, qui exploite des sables bitumineux… Cela peut paraître totalement contradictoire !

Cependant, dans une stratégie de diversification de portefeuille, le choix d’une entreprise comme Suncor peut se justifier. « Un gestionnaire de fonds qui veut une entreprise du secteur de l’énergie pourrait choisir Suncor parce qu’elle est la meilleure de cette industrie en matière de gestion des enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance », explique Brenda Plant.

Il n’en demeure pas moins que l’argument ne convainc pas tout le monde. « On parle des efforts de Suncor… mais si on est cohérent, c’est dans les fabricants de piles solaires qu’on devrait investir ! », s’exclame Fabien Major, conseiller en sécurité financière et représentant en épargne collective.

On comptait 1 000 milliards d’actifs responsables au Canada au 31 décembre 2013, soit une croissance de 68 % en deux ans.

C’est 31 % de l’industrie canadienne de l’investissement.


56,9 % des Québécois n’ont jamais entendu parler des investissements socialement responsables.

8,5 % des Québécois ont déjà fait l’acquisition de produits d’investissement socialement responsables.

Mais 36 % des Québécois disent aussi qu’ils considéreront le choix de l’investissement socialement responsable lors de leurs prochains placements financiers.


Sources : Association canadienne pour l’investissement responsable, Observatoire de la consommation responsable


AUSSI PAYANT, L’INVESTISSEMENT RESPONSABLE ?

Dans sa dernière analyse trimestrielle, l’Association canadienne pour l’investissement responsable mentionne que les rendements obtenus avec des investissements responsables surpassent légèrement ceux des placements traditionnels, à court, moyen et long terme (trois mois à dix ans).

Le principal avantage en matière de rendement est que les entreprises socialement responsables peuvent être considérées comme mieux armées face à certains risques qui, sinon, pourraient gruger les rendements futurs.

« Les entreprises dotées d’une politique environnementale et sociale peuvent être considérées comme des investissements moins risqués, croit Neil Chappell. C’est un élément de plus que les investisseurs peuvent utiliser pour comparer la qualité des investissements. »

« Le risque de réputation est un des plus forts en raison de ses effets de contamination sur la productivité des employés et sur l’achalandage », acquiesce Fabien Major, par ailleurs sceptique de manière générale quant aux investissements socialement responsables (voir encadré ci-dessus).

• Ce texte est paru dans l’édition d’avril 2015 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Didier Bert

Didier Bert est journaliste indépendant. Il collabore à plusieurs médias sur les thèmes de l’économie, des finances et du droit.