Procuration et mandat de protection : votre client en ­a-t-il vraiment besoin?

Par Marie-Josée Houde | 5 mai 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
6 minutes de lecture
Saksan Maneechay / 123RF

La mère de votre client, âgée de 80 ans, lui demande de l’accompagner dans la gestion de ses finances et le paiement de ses factures, car elle se sent un peu dépassée par l’évolution du milieu bancaire et de la technologie. Il souhaite bien sûr l’aider, mais il appréhende la réaction de ses frères et sœurs, qui vont ­peut-être penser qu’il veut contrôler les affaires personnelles de leur mère.

Quel type de document devrait-elle signer afin que votre client, comme sa mère, soient bien protégés? ­Est-ce qu’une procuration générale est suffisante? Est-ce que le mandat de protection est toujours nécessaire? Qu’en est-il de la procuration spécifique? Tous ces documents sont différents et n’ont pas les mêmes effets.

La procuration spécifique et la procuration générale

La procuration se définit comme l’acte par lequel le mandant donne à une autre personne (le mandataire) le pouvoir de la représenter dans ses affaires1. Ce document peut être utile pour se faire remplacer en cas d’absence (voyage, intervention chirurgicale, par exemple).

La procuration générale s’étend à toutes les affaires du mandant, tandis que la procuration spécifique vise un geste particulier. Par exemple, si la mère de votre client lui donne une procuration bancaire, celle-ci lui permettra d’avoir accès uniquement à ses comptes bancaires, mais ne lui donnera pas le pouvoir de vendre sa maison ou d’obtenir de l’information concernant sa dernière déclaration de revenus.

La procuration entre en vigueur dès le moment de sa signature. Elle prend fin si le mandant devient inapte, s’il décède ou s’il révoque la procuration. Le Code civil prévoit toutefois que la procuration donnée avant l’inaptitude continue de produire ses effets, mais seulement pendant l’instance; c’est-à-dire le temps d’homologuer le mandat de protection ou d’ouvrir un régime de protection2.

Il n’est pas rare de rencontrer des mandataires qui, de bonne foi, continuent d’agir en vertu des pouvoirs prévus à la procuration alors que le mandant est inapte depuis plusieurs années.

Une personne qui continue à utiliser une procuration sans que les procédures judiciaires nécessaires soient entamées pour faire déclarer l’inaptitude du mandant peut toutefois se faire reprocher d’avoir agi sans droit.

Compte tenu de ses effets importants, il pourrait également être opportun d’assujettir la procuration à un délai de validité (un an, trois ans, cinq ans).

LE MANDAT DE PROTECTION

Le mandat de protection (ou mandat d’inaptitude) est une procuration signée devant deux témoins ou devant notaire qui entre en vigueur seulement après l’obtention d’un jugement d’homologation. La procédure pour faire homologuer un mandat de protection peut prendre plusieurs mois. Lorsque l’inaptitude survient, aucune action ne peut être prise pendant une certaine période, car le mandant n’est plus apte à s’occuper de ses affaires et le mandataire n’est pas encore autorisé à agir.

Le tribunal peut toutefois intervenir s’il y a un risque de préjudice sérieux pour le mandant. Les travailleurs sociaux et les médecins sont les seules personnes habilitées à se prononcer sur le degré d’inaptitude d’une personne. C’est lorsqu’il aura reçu leurs évaluations que le notaire pourra débuter les démarches d’homologation de mandat.

Le choix du mandataire est fondamental puisqu’il aura d’importantes responsabilités telles que la gestion des avoirs (payer les comptes, gérer les placements), la protection de la personne (hébergement, ­bien-être moral et matériel) et le consentement aux soins (testament biologique). Parmi les critères qui doivent guider le mandant dans le choix de son mandataire, notons la disponibilité, la proximité et l’expertise. Si le mandant a un conjoint et des enfants à charge, il est important que le mandat prévoie l’utilisation des biens de la personne inapte au profit de la famille afin de lui assurer le même niveau de vie. Il est également possible d’y nommer un tuteur si les enfants sont mineurs.

La responsabilité du mandataire peut être scindée en deux ; une personne peut être nommée pour administrer les biens et une autre pour la protection de la personne. Dans certaines situations plus complexes, par exemple dans le cas d’un propriétaire d’entreprise, la présence d’un mandataire aux biens professionnel (notaire, comptable, avocat, société de fiducie) sera nécessaire.

La gestion du mandataire n’est pas assujettie à la surveillance du Curateur public. Tout comme pour la procuration générale, il est recommandé d’exiger du mandataire qu’il rende compte de sa gestion à des tiers.

Étant donné la très grande portée que peut avoir un mandat de protection, il est recommandé d’inclure une clause de reddition de comptes par le mandataire envers un tiers. Cela permet une surveillance et un contrôle de l’administration du mandataire, au cas où celui-ci n’accomplirait pas ses fonctions adéquatement.

Par exemple, la mère de votre client pourrait exiger qu’il rende compte de sa gestion en tant que mandataire une fois par année à ses frères et sœurs.

SANS MANDAT DE PROTECTION

Mais qu’arrive-t-il si l’inaptitude survient et qu’il n’y a pas de mandat de protection? ­La croyance populaire veut que le ­Curateur public devienne propriétaire des biens de la personne inapte. Heureusement, ce n’est pas le cas. Dans cette situation, on procède à l’ouverture d’un régime de protection. Une procédure légale doit être entreprise devant le notaire ou le tribunal. Une assemblée de parents et amis est convoquée et c’est à eux que revient la responsabilité de nommer le représentant légal de la personne inapte.

Le type de régime sera déterminé par le degré d’inaptitude. Si l’inaptitude à prendre soin de ­soi-même et à administrer ses biens est totale et permanente, la curatelle est appropriée. Si l’inaptitude est partielle ou temporaire, une tutelle s’avère nécessaire. Un conseil de tutelle composé de trois proches doit être formé afin de surveiller la gestion du curateur ou du tuteur. Enfin, dans les cas où une assistance serait nécessaire uniquement pour certains gestes, le régime du conseiller au majeur peut être instauré.

Plusieurs formalités s’imposent au représentant légal une fois qu’il est en poste, notamment l’obligation de fournir une garantie financière lorsque la valeur des biens à administrer excède 25 000 $, d’effectuer des placements présumés sûrs, de rendre compte de son administration au conseil de tutelle et au Curateur public et d’obtenir l’autorisation du tribunal dans certaines situations, par exemple lorsqu’il s’agit de vendre un immeuble appartenant à un mineur.

Le mandat de protection permet d’éviter le long et coûteux processus de mise en place d’un régime de protection et facilite la gestion du mandataire. Il permet au mandant de nommer lui-même les personnes qui verront à son bien-être et à l’administration de ses biens s’il n’est plus en mesure de le faire.

La Société Alzheimer de Québec prévoit que d’ici quinze ans, le nombre de Canadiens atteints de troubles cognitifs aura presque doublé. Considérant ces statistiques peu réjouissantes et le vieillissement de la population, il est donc essentiel de planifier l’inaptitude au même titre que le décès!

Marie-Josée Houde

Marie-Josée Houde

­Marie-Josée ­Houde, notaire, est conseillère au ­Centre d’expertise ­Banque ­Nationale ­Gestion ­Privée 1859.

1 Art. 2130 CCQ 2 Art. 273, art. 2167.1 (2)


• Ce texte est paru dans l’édition de mai 2017 de Conseiller.

Marie-Josée Houde