Situation perdante

Par Yves Bonneau | 17 mai 2011 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Le règlement d’indemnisation de l’affaire Morinville, qui a fait la page frontispice du Journal de Montréal il y a quelques semaines, est un bel exemple d’histoire qui finit bien pour les investisseurs floués par un pair, mais qui laisse un goût amer aux autres conseillers qui, encore une fois, sont salis par association et continuent d’assumer la facture sans avoir voix au chapitre.

Le scénario se répète. Encore des épargnants floués, des accusations de fraudes, de vol, de dol. Et l’affaire s’éternise, en plus de faire la une des journaux, elle fait aussi celle des magazines à potins parce qu’une vedette du show-business est parmi les victimes. Du bonbon pour les médias qui étirent le supplice aussi longuement que la justice prend pour régler ce genre d’affaires.

Et quelle affaire! Morinville, 50 ans, représentante dûment inscrite à l’AMF, n’avait présumément investi aucune des sommes, totalisant 3,5 millions de dollars, confiées par ses clients. Tout était allé dans ses propres comptes de banque par un subterfuge à Agence Carole Morinville ou avec des chèques payés en son nom personnel.

Yves Bonneau, rédacteur en chef du magazine Conseiller

Yves Bonneau, rédacteur en chef du magazine Conseiller

Elle réglait les nombreuses vacances de sa famille dans le Sud. Elle s’est payé une bague de 20 000 $ pour son mariage avec M. Diano à l’été 2009. Malheureuse coïncidence, la bague a été perdue en mer lors de ses vacances. Elle a aussi payé seule la mise de fonds initiale de 52 000 $ à l’achat de leur condo de 600 000 $ à l’Île-des-Soeurs, de même que les rénos audit condo. Elle réglait l’hypothèque et les taxes municipales. Elle louait deux Mercedes de l’année.

Morinville finançait le fonds de roulement de l’entreprise de bagels de son mari et lui a ensuite transféré gratuitement sa moitié du condo, après sa radiation provisoire comme conseillère financière.

Elle a également aidé ses deux enfants majeurs à acheter des condos d’une valeur de 180 000 $ et de 182 500 $ au centre-ville de Montréal, en fournissant plusieurs milliers de dollars pour les mises de fonds et en leur payant l’hypothèque mensuelle. Les enfants remboursaient leur mère en argent comptant chaque mois. Ingénieux blanchiment! Elle avait 27 000 $ de dettes personnelles, en plus de 55 000 $ accumulés sur ses différentes cartes de crédit.

Elle venait de vendre son portefeuille de clients pour 180 000 $ et attendait des commissions restantes de 40 000 $.

Quelques mois après la découverte de la fraude, elle avait été aperçue par une de ses « clientes » sortant d’un magasin chic du centre-ville, les bras chargés de sacs. Lors de son arrestation par la SQ en novembre, et la perquisition qui a suivi, il n’y avait déjà plus rien dans le condo, les objets de valeurs y ayant été soustraits. Elle ne s’était pas gênée pour affirmer qu’elle était maintenant sans le sou et que ses biens lui appartenaient après sa mise en faillite.

Morinville a été accusée de fraude, de fabrication de faux documents et d’entrave à la justice, des accusations passibles de 14 ans de prison. Sans surprise, elle a plaidé non coupable, malgré les faits accablants. Ses avocats ont néanmoins souligné qu’elle avait droit à la présomption d’innocence et que sa vie n’était pas « jojo », vu qu’elle reçoit maintenant des menaces de mort. Elle a déménagé à Rivière-des-Prairies.

Son procès a été reporté en mai étant donné la grève des procureurs et n’était toujours pas commencé au moment d’écrire ces lignes. Elle a affirmé avoir hâte pouvoir donner sa version des faits : « Ce n’est pas tout blanc ni tout noir… »

Entre temps, l’AMF a décidé d’indemniser 28 victimes de Carole Morinville pour 1,6 million de dollars. Il s’agit de 65 % des demandes d’indemnisation reçues. Dans ces cas singuliers, l’ex-représentante a encaissé l’argent des épargnants sans avoir fait quelconque placement en leur nom. L’AMF confirme avoir reçu 42 demandes d’indemnisation entre août 2010 et janvier 2011 : « La preuve démontre de façon probante que Carole Morinville usait d’un stratagème et de la relation de confiance établie avec ces 28 investisseurs pour les convaincre de lui remettre des sommes en vue de procéder à des investissements. »

Cette saga interminable quasiment loufoque si ce n’était du caractère pathétique de la principale accusée tourne le fer dans la plaie des conseillers honnêtes. Carole Morinville fait malheureusement partie des 0,3 % des conseillers qui ont perdu leur permis de pratique l’an dernier. Un cas exceptionnel, mais tellement médiatisé qu’il occupe une place disproportionnée dans l’opinion publique.

Tout le monde y perd. Enfin presque.

Il y a quand même 28 investisseurs qui vont retrouver leur argent (malgré le fait qu’ils aient pu faire des chèques au nom personnel de Morinville) et il y a l’AMF qui retire enfin beaucoup de mérite, justifié ou non, après avoir remboursé les pertes de 1,6 million des victimes.

Clairement, le cas de Morinville, comme ceux d’autres fraudeurs reconnus ne pourront jamais être complètement circonscrits. En soi, un fonds d’indemnisation constitue un rempart utile pour maintenir un niveau minimum de confiance au sein de l’industrie à l’encontre des ces accidents imprévisibles, mais probables.

Il y a seulement un vice de forme dans ce contrat : les conseillers paient la facture, mais JAMAIS on ne communique aux investisseurs que c’est grâce à l’ensemble des conseillers que des victimes comme celles-ci ont pu retrouver leur patrimoine durement gagné et longuement accumulé. Les lauriers reviennent invariablement à l’AMF. Nonobstant la qualité du travail des enquêteurs et intervenants de l’AMF, on ne s’explique pas pourquoi, les conseillers règlent la facture et héritent malgré tout de l’opprobre général.

Le RICIFQ, qui tenait son assemblée générale le mois dernier, appuie un fonds d’indemnisation élargi qui ne serait plus géré par l’AMF. Il n’y a que 1 % d’entre-vous qui y ont joint les rangs du RICIFQ depuis cinq ans. Qu’attendez-vous pour faire entendre votre voix?

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Yves Bonneau, rédacteur en chef Conseiller


Cet article est tiré de l’édition de juin du magazine Conseiller.

Yves Bonneau