Un investissement malavisé de la Caisse?

Par La rédaction | 22 juin 2020 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Homme avec un air méfiant, les bras croisés.
Photo : Ion Chiosea / 123RF

La Caisse de dépôt et placement du Québec a investi « une fortune » dans une compagnie américaine de sécurité privée « surendettée » et concurrente de la société québécoise GardaWorld, rapporte La Presse.

L’investisseur institutionnel est devenu, en février 2019, le principal actionnaire d’Allied Universal, la plus importante société américaine de services de sécurité, avec huit milliards de dollars américains de revenus annuels et 200 000 employés. Or, cette firme fait aujourd’hui l’objet d’une poursuite à Denver (Colorado) après que quatre de ses agents ont violemment agressé un employé noir, Raverro Stinnett, et que des vidéos de surveillance et des reportages ont montré l’existence de pratiques sexistes et racistes au sein de ses équipes, souligne le quotidien montréalais.

L’institution québécoise, gestionnaire de plusieurs régimes de retraite dans la Belle Province, y aurait investi « au bas mot 1,5 milliard de dollars, et probablement plus, durant l’année 2019, au point que c’est devenu l’un de ses principaux placements privés », indique La Presse.

« UN MODÈLE D’AFFAIRES RÉSILIENT »

Questionné par le quotidien, un porte-parole de la Caisse explique que celle-ci s’intéresse tout particulièrement au secteur de la sécurité privée parce que celui-ci représente « un marché important, fragmenté et qui permet des consolidations intéressantes. De plus, c’est un modèle d’affaires qui est résilient à travers les différents cycles de l’économie. »

« Quand nous voyons Allied refuser d’assumer ses responsabilités pour les actes commis par ses propres employés et se montrer indifférente aux manifestations de racisme, selon nous, une caisse de retraite a mieux à faire que d’investir dans une entreprise pour laquelle rien n’a d’importance, sauf l’argent », s’étonne le procureur de Raverro Stinnett, joint par La Presse à Denver.

Dans un courriel envoyé au journal, la Caisse se défend en expliquant qu’un problème comme celui de l’agression de Denver « fait partie des risques liés à cette industrie ». Aux yeux des dirigeants de l’institution québécoise, ce type de cas constitue néanmoins une exception.

« Toutefois, chaque exception est inacceptable et à titre d’investisseur institutionnel important dans l’entreprise, nous insistons pour que les gestes inacceptables soient sanctionnés », ajoute l’organisme.

Interrogé par La Presse, l’expert des risques extrafinanciers François Meloche appelle les investisseurs en quête de bons placements à la plus grande vigilance. « Avant d’investir en sécurité privée, un investisseur institutionnel doit faire une vérification préalable à l’achat. Est-ce que la firme de sécurité adhère aux Principes volontaires sur la sécurité et les droits de l’homme, par exemple? Sinon, je m’attendrais à ce que l’institutionnel exige qu’elle y adhère. »

LOURDES DETTES

La Presse souligne par ailleurs qu’Allied a « la réputation de multiplier les acquisitions au prix d’un lourd endettement et de marges bénéficiaires faibles ». Une situation confirmée par un rapport de la firme de notation Moody’s, qui évalue le surendettement de la société à sept fois son bénéfice d’exploitation. De plus, les liquidités dégagées de l’exploitation ont été négatives l’an dernier et seront faibles en 2020, ajoute Moody’s.

« On ne comprend pas la stratégie poursuivie par la Caisse, d’autant que l’investissement est costaud, que sa rentabilité paraît faible et que le risque de crédit est élevé. Il serait important qu’elle s’explique publiquement à ce sujet », estime Robert Pouliot, expert des causes de risque fiduciaire, chargé de cours à l’UQAM et membre du conseil de la Fondation canadienne pour l’avancement des droits des investisseurs (FAIR Canada), en entrevue avec La Presse.

En réponse à ces critiques, un porte-parole de la Caisse soutient qu’Allied est « une entreprise de sécurité performante qui met beaucoup l’accent sur les nouvelles technologies ». Et il ajoute que « cet investissement a été analysé en profondeur par nos équipes et approuvé par les différents comités d’investissement parce qu’il correspond à nos critères, notamment en termes de rendement-risque et de diversification de nos investissements ».

La rédaction