Un taux d’inflation à 4 %?

Par Patrick O’Toole | 20 janvier 2021 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Flèche noire indiquant le haut et sur laquelle est apposé le symbole de pourcentage.
Photo : DNY59 / iStock

La possibilité est réelle dans les prochains mois, surtout aux États-Unis, croit Patrick O’Toole, vice-président, titres à revenu fixe mondiaux, Gestion d’actifs CIBC.

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Le risque inflationniste pèsera nettement plus lourd cette année pour les investisseurs dans le revenu fixe, affirme-t-il.

« Entre la crise financière de 2009 et la pandémie de COVID-19, nous trouvions que les perspectives inflationnistes étaient exagérées. La plupart des investisseurs et stratèges croyaient que l’inflation allait venir en conséquence des sommes importantes injectées dans le marché par la Fed et d’autres banques centrales, mais nous étions d’avis que la démographie, l’innovation technologique ainsi que l’endettement élevé allaient maintenir l’inflation et la croissance sous les niveaux prévus dans le consensus. Ces trois facteurs sont toujours présents, et ils vont continuer de contrer l’inflation, mais celle-ci sera plus forte cette année, encore plus aux États-Unis qu’au Canada », explique Patrick O’Toole.

L’expert rappelle que pour mesurer l’inflation, la Fed utilise non pas l’indice des prix à la consommation mais le déflateur des dépenses de consommation, qui inclut davantage de données comme les coûts de soins de santé par exemple. Depuis 2012, la Fed a ciblé un déflateur de 2 % mais l’inflation mesurée a seulement atteint cette cible durant quelques mois. En septembre, la banque centrale américaine a donc changé d’approche en mettant en place un régime de ciblage de l’inflation moyenne. Celui-ci vise un taux en moyenne sur la durée, et non dans une année spécifique. Le déflateur a affiché une moyenne de 1,5 % entre 2012 et 2020, soit 50 points de base sous la cible de la Fed. On pourrait donc penser, note l’expert, que l’institution permettra à l’inflation d’atteindre 2,5 % en moyenne pendant les huit prochaines années pour obtenir une moyenne de 2 % depuis le début du ciblage.

« Par le passé, lorsque la Fed prévoyait une inflation de 2 % elle augmentait le taux des fonds fédéraux pour ralentir l’économie et calmer la pression inflationniste. Mais elle a déclaré qu’elle maintiendrait le taux entre 0 et 0,25 % au moins jusqu’en 2024. Elle peut toujours changer d’avis si l’inflation s’emballe trop longtemps, mais étant donné que l’économie n’atteignait pas la cible de 2 % de la Fed pendant les huit dernières années, pourquoi le ferait-elle maintenant ? Eh bien il se pourrait qu’elle le fasse et que le vœu de la Fed soit finalement exaucé », dit Patrick O’Toole.

Le déflateur des dépenses de consommation, qui sert à mesurer l’inflation aux États-Unis, comprend trois composantes principales : les biens durables (12 %), non durables (22 %) et les services (66 %). Or la dynamique des biens durables s’est récemment inversée, note l’expert.

« Entre la crise financière et la pandémie, les biens durables étaient en déflation d’environ 2 % par année, en raison de la mondialisation croissante de l’économie. À mesure que la Chine et les autres pays émergents gagnaient des parts de marché dans la fabrication des biens durables, leurs prix baissaient pour les consommateurs américains. Mais depuis le coronavirus, leurs prix augmentent à nouveau », dit-il.

Pendant ce temps, les biens non durables voient leurs prix fluctuer environ trois fois plus que les biens durables, car ils incluent l’énergie qui connait des grandes variations, et ils réagissent aussi aux taux de change dans les importations.

« Rappelons-nous que le pétrole a chuté jusqu’à -40 $ le baril et l’inflation du secteur de l’énergie était de -20 % par rapport à l’année dernière à pareille date ; nous entrevoyons maintenant une remontée de 30 % d’une année à l’autre. Le dollar américain a perdu 10 % face aux devises largement traitées, ce qui devrait provoquer bientôt une hausse des prix à l’importation tant pour les biens durables que non durables », analyse Patrick O’Toole.

Quand au secteur des services, le plus important du déflateur, c’est le plus touché par la pandémie avec des sous-secteurs comme les soins de santé en chute de -40 %, les loisirs à -26 %, les transports à -26 %, l’hôtellerie à -17 %. Mais l’expert prévoit un rebondissement cette année avec une forte hausse des prix.

« Quelles sont donc les conséquences pour l’inflation ? Bien que le consensus soit un pic de 2,5 % au second trimestre de 2021, puis un maintien sous les 2 % au deuxième semestre, nous croyons que l’inflation va dépasser 3 % et peut-être même atteindre 4 % durant le second trimestre, puis rester autour de 3 % pour le reste de l’année », projette Patrick O’Toole.

« La conséquence de cela est une hausse des taux d’intérêt à long terme qui pourraient augmenter en conséquence, jusqu’à un point où la Fed craindra de ne plus maintenir les rendements assez bas pour faire rouler l’économie. De plus, elle pourrait changer de direction plus tôt qu’on le pense et réduire son soutien aux marchés », dit l’expert.

Pour les investisseurs cependant, il n’y a pas beaucoup d’inquiétude à avoir selon lui – à condition d’avoir un portefeuille bien diversifié en premier lieu.

« Si les taux des obligations gouvernementales augmentent en raison d’une plus forte croissance économique, les investisseurs verront leurs actions et leurs obligations de sociétés en profiter. Si les rendements augmentent à cause d’une inflation plus élevée que prévue, le résultat sera similaire. Si l’inflation n’est pas un problème, les rendements des actions et obligations demeureront stables », rassure Patrick O’Toole.

Il reste que c’est « la première fois depuis des décennies » que le risque inflationniste est aussi important, selon lui.

« La Fed va nous dire de ne pas nous en faire à ce sujet, du moins au début. Et bien que nos prédictions au-dessus du consensus pourraient se réaliser, ce sera pour une courte durée car les forces de la démographie, de l’innovation technologique et de l’endettement reprendront le dessus sur l’inflation et la croissance du PIB. »

Ce texte fait partie du programme Gestionnaires en direct, de la CIBC. Il a été rédigé sans apport du commanditaire.

Homme d'affaires dans un champ de blé, levant les bras vers le ciel.

Patrick O’Toole

Entré au service de Gestion d’actifs CIBC en mai 2004, Patrick est membre de l’équipe des placements à revenu fixe à l’échelle mondiale oeuvrant à l’intérieur de la plate-forme de gestion de placements de la société.