Votre monde va-t-il changer?

21 septembre 2016 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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• Ce texte est paru dans l’édition de novembre 2004 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.


Ils sont travailleurs indépendants, font partie d’un réseau ou œuvrent dans une institution financière. Leur mode de rémunération varie tout autant. Commissions, honoraires ou salaire? Le secteur des services financiers évolue et nous avons demandé à des experts de faire le point.

Il est reconnu, à défaut d’être accepté de tous, que la présence des grandes institutions financières vient façonner l’univers des conseillers en services financiers. Si leur influence sur la configuration des réseaux et sur le mode de rétribution des intermédiaires est indéniable, leur action ne saurait cependant tout expliquer. Car au-delà du programme des banques, des quasi-banques et des grands assureurs, la multidisciplinarité impose son diktat. Elle force l’établissement d’une nouvelle relation d’affaires entre l’institution et le représentant autour des thèmes de l’autonomie et du partenariat.

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Ainsi, d’entrée de jeu, on reconnaît que le modèle bancaire, basé sur un réseau de distribution captif et sur le mode de rémunération par salaire, ne pourra s’imposer. Tout au plus peut-il espérer cohabiter avec une façon de faire misant sur l’autonomie du conseiller, comme il a été proposé par de grands assureurs et les réseaux indépendants. «L’influence bancaire est bien réelle. Elle s’impose et elle a pour but, à long terme, de transformer le conseiller en un salarié vendeur de produits maison. Il s’agit d’une tendance lourde qui ne saura toutefois jamais supplanter le besoin d’autonomie de l’intermédiaire désireux de conserver son indépendance.»

Cette déclaration vient de Richard Giroux, responsable du développement des affaires de l’Industrielle Alliance Valeurs mobilières. Exerçant auparavant au sein de Partenaires Cartier, il n’a pas, comme nombre de ses collègues, fait le saut chez Patrimoine Dundee. «Moi, je suis du côté des indépendants. Or Dundee a tôt fait d’imposer sa vision et ses normes, qui s’apparentent à celles des banques. Il est clair qu’il entre dans le plan de match de Dundee de vouloir les concurrencer.»

À l’instar de Performa, qui demeure dans le giron de la Standard Life mais qui se compose désormais d’intermédiaires non exclusifs, l’Industrielle Alliance veut se déployer autour de l’indépendance du repré- sentant en valeurs mobilières et en épargne collective. «Nous recevons beaucoup de demandes de la part de conseillers œuvrant au sein d’institutions bancaires, ajoute M. Giroux. J’entends, ou je perçois, que l’optique bancaire fait des mécontents. Car, si le représentant du type employé ne peut être heureux avec notre formule, celui du type entrepreneur peut éprouver une frustration au sein d’une institution bancaire. Il y a cette tendance à la rémunération par salaire fixe. Et il y a cette compétition à l’interne, entre le département de gestion privée et le conseiller à la commission, qui a pour objectif non avoué de retenir le client. Il se dessine une relation banque-client qui prend le dessus sur le lien conseiller-client.»

Ce changement est très subtil, et chaque période de correction des marchés ou de ralentissement sert à consolider ce lien banque-client, poursuit M. Giroux. «Avec moins de références à l’interne, qui sont dirigées vers la gestion privée, et avec cette pression d’engendrer des revenus, le représentant doit faire toujours plus de transactions, touchant toujours plus de produits maison, ce qui le rend, lui et son client, davantage captif de l’institution.»

LE SALAIRE NE S’IMPOSERA PAS

Malgré tout, M. Giroux ne croit pas que la rémunération par salaire s’imposera. «Il faut plutôt regarder du côté des États-Unis pour voir quelle tendance se dessine.» Il y observe un déplacement vers un mode de rétribution combinant les honoraires et une commission de renouvellement.

Même constat pour Rosemarie Labbé, avocate spécialisée en valeurs mobilières pour le cabinet Colby, Monet, Demers, Delage & Crevier. «Le salaire va concerner le représentant captif, l’intermédiaire embauché par un conseiller ou le conseiller qui se fait acheter son portefeuille et à qui on demande de rester pour assurer une transition.»

L’experte reconnaît que la rémunération par salaire peut dissiper les soupçons qui pèsent sur la rémuné- ration à la commission voulant qu’elle incite à la fragmentation et à la multiplication des transactions ou ceux liés aux honoraires, qui, au même titre que les commissions de suivi, pourraient conduire à une analyse trop poussée ou à une exagération en matière de suivi. «Mais la rémunération basée sur le salaire est peut-être moins motivante pour le représentant s’il n’y a pas d’incitations liées à la performance», résume Mme Labbé.

LA MULTIDISCIPLINARITÉ APPELLE LES HONORAIRES

Gaétan Veillette apporte les mêmes nuances. «Compte tenu de l’optique multidisciplinaire et des interventions toujours plus segmentées faisant appel à plusieurs intermédiaires, on se dirige de plus en plus vers une rétribution hybride qui fera une large place aux honoraires. La gestion multidisciplinaire a recours à une segmentation des interventions qui amène, à son tour, une facturation selon le service rendu.» Sans compter que la commission de recommandation est endiguée, encadrée sinon prohibée, limitée qu’elle est aux intervenants en valeurs mobilières inscrits.

Gaétan Veillette, administrateur agréé et planificateur financier

Gaétan Veillette, administrateur agréé et planificateur financier

« La gestion multidisciplinaire fait appel à une segmentation des interventions qui,à son tour, amène une facturation selon le service rendu.  »

L’ex-président de la spécialité Planification financière de l’Ordre des administrateurs agréés du Québec (Adm.A) invite, au passage, à la réflexion en ajoutant une variable liée à la préoccupation des professionnels pour l’incorporation de leur pratique d’affaires. «L’incorporation, déjà retenue par les comptables agréés et les avocats membres du Barreau, implique 45 ordres encadrant 300 000 professionnels. C’est tout dire de l’ampleur du chantier, et du travail d’harmonisation législatif et réglementaire qu’un tel chantier est susceptible d’engendrer ensuite.»

Celui qui a œuvré comme coordonnateur de la conception du programme Gestionnaire de patrimoine privé de l’Adm.A insiste : «Juxtaposez à cela la multidisciplinarité, qui est devenue incontournable, et vous vous retrouvez avec un mode de rémunération évolutif. Du moins, les formules sont appelées à se chevaucher avec la multidisciplinarité et la multiplication des partenariats qu’elle implique, soit avec d’autres cabinets, soit par impartition.»

Le panorama deviendrait plus bigarré encore si l’incorporation des professionnels venait à s’effectuer. On assisterait alors à l’émergence de sociétés multidisciplinaires. «Des regroupements du type comptable agréé, avocat et conseiller membre de l’Autorité des marchés financiers impliquant un mode de rémunération hybride. Mais cela, c’est plus complexe à analyser.»

UNE DIVULGATION CLAIRE EST ESSENTIELLE

Y a-t-il une forme de rémunération plus objective qu’une autre? «C’est un mythe, répond M. Veillette. On peut penser que le conseiller à honoraires aura intérêt à faire des recommandations plus complexes ou à recourir à des montages plus sophistiqués, qui lui apporteront des honoraires futurs. On peut soupçonner le conseiller à la commission de multiplier les transactions à outrance ou de rechercher des situations qui lui permettraient d’accroître ses commissions, ce qui ne serait pas sans créer des problèmes de conformité. On se demande où est l’objectivité si la rétribution par salaire implique des primes, des quotas ou d’autres incitations directes ou indirectes, telle une promotion. D’où l’importance d’une divulgation claire.» Ainsi, il y aura toujours cette insistance des organismes de réglementation sur le principe de «claire, complète et ponctuelle divulgation du mode de rémunération», rappelle-t-il.

Rosemarie Labbé, avocate spécialisée en valeurs mobilières pour le cabinet Colby, Monet, Demers, Delage et Crevier

Rosemarie Labbé, avocate spécialisée en valeurs mobilières pour le cabinet Colby, Monet, Demers, Delage et Crevier

« La tendance est aux réseaux plus petits,aux petites boutiques offrant un service sur mesure.  »

LES TROIS SEGMENTS DE L’INDUSTRIE

L’industrie des produits et services financiers s’articule autour de trois grands segments, résume Rosemarie Labbé. Il y a l’optique produit, sans grande valeur ajoutée, qui préconise une modélisation automatisée et qui fait appel au volume. Les grandes institutions financières y trouvent leur champ de prédilection.

Une clientèle disposant d’un portefeuille moyen ou plus élaboré aura besoin d’un service plus personnalisé, qu’elle aura tendance à rechercher auprès des conseillers indépendants regroupés en réseau. Or, comme les réseaux indépendants se raréfient depuis les regroupements du type Cartier-Dundee ou Assante-CI Fund, cette clientèle va également s’en remettre à un intermédiaire pouvant faire preuve d’autonomie à l’intérieur d’une grande institution. «Ce type de clients veut toujours faire affaire avec la même personne. Il n’aime pas être trimballé d’une personne à une autre.»

À l’autre extrémité, on trouve la gestion privée, qui s’adresse à une clientèle plus fortunée, requérant un service à haute valeur ajoutée, plus raffiné.

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Si elle évolue en mode captif ou exclusif, l’institution financière peut difficilement retenir le conseiller, ou son expertise, dans ces deux derniers segments, où il est appelé à exercer pleinement son rôle. Le taux de rétention est, alors, beaucoup plus faible. «Il est farfelu de croire qu’une institution peut rendre captif un conseiller, qui est le véritable recruteur de clientèle, en attachant son client par des méthodes du type pooling de services, commente M. Veillette. D’abord, le client va vouloir généralement suivre son conseiller. Ensuite, il existe plusieurs façons de contourner les pénalités ou les frais de rachat lors de transferts d’actifs, et ce, même en présence de clause de non-concurrence.

«L’institution reconnaît de plus en plus que le coût de la perte d’un conseiller avec un actif sous gestion important peut être énorme. Elle admet qu’elle a plutôt avantage à créer l’encadrement de travail approprié, à faciliter l’exercice de sa profession, à lui offrir l’infrastructure qui lui permettra d’exercer son talent et de s’affirmer dans sa relation client.»

LA COHABITATION EST POSSIBLE

Si, à l’image de la Standard Life et de l’Industrielle Alliance, les grandes institutions tendent à vouloir appuyer le travail du conseiller lorsqu’un service à valeur ajoutée est requis et à respecter son libre choix, est-ce à dire que les réseaux indépendants sont devenus une espèce en voie de disparition? «Les deux vont se développer, vont cohabiter. Mais le cabinet va devoir faire davantage appel à l’impartition pour compléter la gamme de services requise en gestion du patrimoine», juge M. Veillette.

En fait, les experts sont unanimes. «La tendance est aux réseaux plus petits, aux petites boutiques offrant un service sur mesure, ne serait-ce que pour alimenter le sentiment d’appartenance des conseillers», dit Mme Labbé. «Les réseaux dits indépendants sont plus petits, parfois plus spécialisés, poursuit M. Giroux. Le conseiller sera généralement attiré par les actions alors offertes.»

Si le support technologique et l’infrastructure administrative sont de moins en moins des obstacles, notamment depuis l’expansion d’Internet, la réglementation et les normes de capitalisation peuvent constituer autant de barrières à l’entrée, rappelle l’avocate spécialisée. La conformité, qui est plus sévère, représente un autre défi. «Il faut de gros réseaux, ou un actif sous gestion élevé, pour supporter de tels frais.»

Et que dire d’une autre préoccupation légitime du conseiller, celle de trouver éventuellement un acheteur pour sa clientèle? «Ce type de transactions se trouve généralement facilité dans les grands ensembles», estime M. Giroux.


• Ce texte est paru dans l’édition de novembre 2004 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.