La diversification expliquée aux clients

Par Nathalie Côté | 9 mai 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Christa Eder / 123RF

Éviter de mettre tous ses œufs dans le même panier demeure un conseil judicieux. Mais encore ­faut-il choisir les bons paniers pour les répartir. Comment aider votre client à saisir l’importance de la diversification et à faire les bons choix ?

Avant de « répartir les œufs », vous devez déterminer la meilleure recette pour votre client selon son profil d’investisseur. Pour ce faire, il est important qu’il comprenne bien de quoi il en retourne.

« ­Il faut accompagner les clients pour répondre adéquatement aux questions [qui permettent de dresser leur profil], insiste ­Angela ­Iermieri, planificatrice financière chez ­Desjardins. Par exemple, il faut leur expliquer qu’avoir une forte tolérance au risque n’équivaut pas à donner son accord pour des placements [audacieux]. Si les gens hésitent, c’est souvent parce qu’ils ont besoin de plus d’éclaircissements. »

Pour les clients débutants, les produits clé en main déjà bien diversifiés sont des options intéressantes, ­souligne-t-elle.

Mathieu Beaudry

Mathieu Beaudry

« ­La diversification devrait être inversement proportionnelle à la connaissance qu’a le client du monde de l’investissement », estime pour sa part ­Mathieu ­Beaudry, gestionnaire de portefeuille à ­Barrage ­Capital. En d’autres termes, plus la personne s’y connaît, plus son portefeuille peut être concentré, car elle comprend mieux ce qu’elle y fait.

Reste qu’une certaine diversification demeure souhaitable. « ­Les obligations, à long terme, peuvent fluctuer autant que les actions, rappelle ­Jean ­Dupriez, planificateur financier à ­Valimax Édival. Je l’ai vécu en 1983, à mon avantage d’ailleurs. L’histoire financière nous motive à bien diversifier. Cela permet de réduire le risque, c’est le meilleur moyen d’y arriver. »

Il recommande en outre d’utiliser les données historiques pour illustrer aux clients le comportement des différents produits et l’avantage de bien diversifier.

ACTIONS ­ET ­OBLIGATIONS

La façon la plus connue de diversifier demeure la répartition des placements entre actions et obligations. Vous pouvez en expliquer l’intérêt à votre client en soulignant que les actions fluctuent en fonction des conditions économiques, alors que les obligations, elles, varient en fonction des taux d’intérêt. Comme elles ne le font pas simultanément, le portefeuille bouge moins que chacune de ses composantes.

De nombreuses études montrent cependant que cette diversification ne suffit pas, affirme ­Jean-Philippe ­Tarte, professeur au ­Département de finance de ­HEC ­Montréal. « ­En général, quand l’une monte, l’autre baisse et vice versa. Sauf que lors d’un recul de l’économie ou d’une récession, les liens entre ces deux produits se resserrent, ­résume-t-il. Ce sur quoi on comptait pour réduire le risque s’évapore. Le portefeuille recule alors parce que les deux catégories d’actif bougent ensemble. » D’où l’importance d’avoir aussi d’autres stratégies.

GÉOGRAPHIE

Si votre client s’intéresse un peu aux nouvelles internationales, il comprendra facilement que la situation économique diffère d’un pays à l’autre. C’est aussi le cas pour la monnaie et les entreprises qui s’y trouvent.

« ­Les actions des entreprises de différents pays ne fluctueront pas de la même manière, ni en même temps ni avec la même amplitude, souligne M. Dupriez. À long terme, [si le portefeuille est bien diversifié géographiquement], les actions qui montent compensent les baisses des autres et le portefeuille fluctue moins. »

Mais attention, cet ingrédient est moins important qu’il l’a déjà été. « ­Des études ont démontré que ce facteur de diversification est moins efficace qu’avant, souligne M. Tarte. Les marchés sont beaucoup plus intégrés et corrélés qu’ils ne l’étaient auparavant. »

Cela s’explique notamment par le fait que les grandes entreprises, plutôt que d’agir dans différents secteurs d’activité d’un même pays, tendent maintenant à se concentrer sur un type de produit et à le vendre partout dans le monde.

SECTEURS D’ACTIVITÉ

C’est pourquoi diversifier par secteur reste une bonne option. Les activités d’une entreprise ont une influence directe sur la fluctuation de ses actions. Par exemple, les bénéfices des supermarchés tendent à être constants, puisque tout le monde mange chaque jour. Un concepteur d’avion, lui, peut voir son action chuter s’il y a un pépin dans le développement d’un appareil, observe M. Dupriez. Avoir différents types d’industries dans un portefeuille permet donc de diminuer le risque.

Ce genre de diversification a d’ailleurs gagné en importance. « ­Au cours des trois dernières années, le secteur de l’énergie et des matériaux en a pris pour son rhume. Celui des nouvelles technologies s’est très bien porté. Un investisseur qui aurait diversifié ses actions selon le secteur d’activité plutôt que la géographie aurait réduit le risque davantage. C’est une diversification plus avantageuse maintenant », illustre M. Tarte.

TAILLE ­DES ­ENTREPRISES

La valeur des petites et moyennes entreprises fluctue davantage et plus fortement que celle des grandes. La diversification permet, encore une fois, de réduire le risque. L’investisseur peut profiter d’une hausse importante de la valeur de l’action d’une petite entreprise à court terme, par exemple, mais être moins exposé à une baisse en ayant aussi des actions d’une plus grande société.

« ­Après 30 ans, les actions des grandes compagnies donnent le même résultat que celles des petites compagnies ou des secteurs technologiques spécialisés, mais avec moins de fluctuation », constate M. Dupriez.

ACTIFS ­NON ­TRADITIONNELS

Diversifier avec des catégories d’actif non traditionnelles pèse lourd dans la balance des tendances depuis plusieurs années, souligne M. Tarte. « ­Au départ, elles étaient essentiellement réservées aux investisseurs institutionnels, comme les régimes de retraite ou les compagnies d’assurance, ­note-t-il. Maintenant, elles font de plus en plus leur chemin vers les investisseurs individuels. »

On en retrouve quatre grands types : les fonds spéculatifs (hedge funds), les produits de base, l’immobilier et l’investissement privé (entreprises non cotées en ­Bourse).

La manière dont elles fluctuent par rapport aux catégories traditionnelles est plus intéressante, selon M. Tarte. « ­Cela va réduire globalement le risque du portefeuille, ­explique-t-il. L’immobilier, par exemple, offre une très bonne protection contre l’inflation, ce que les actions et les obligations font moins bien. »

Pour expliquer cette stratégie à un client, vous pouvez citer en exemple la ­Caisse de dépôt et placement, qui utilise fréquemment cette approche. Elle investit notamment dans l’immobilier via sa filiale ­Ivanhoé ­Cambridge.

« ­Les conseillers en services financiers devraient considérer les investissements dits alternatifs, car les actions et les obligations ont de mauvaises perspectives à long terme actuellement », ajoute M. Tarte.

« Les conseillers en services financiers devraient considérer les investissements dits alternatifs, car les actions et les obligations ont de mauvaises perspectives à long terme actuellement. »

– Jean-Philippe Tarte, professeur au ­Département de finance de HEC Montréal

jean_philippe_tarte_100x150 MARGE ­DE ­MANŒUVRE

Il n’existe aucune recette idéale, tout dépend du profil du client. « S’il est prudent, son portefeuille pourrait être constitué de 20 % d’actifs de croissance et 80 % de revenu, illustre ­Angela ­Iermieri. S’il est plus du type audacieux, ça pourrait être l’inverse. »

Vous pouvez conserver une certaine marge de manœuvre sans gâcher la sauce. « ­Des logiciels dans lesquels on entre les données du client peuvent suggérer en quelques secondes une répartition d’actif », enchaîne M. Dupriez.

« ­Il faut se rappeler qu’ils valent ce que le concepteur y a investi. Ils n’ont pas de sensibilité, ­prévient-il. De plus, ils offrent un degré de précision inutile. Qu’on ait une répartition de 67 % d’actions et 33 % d’obligations ou de 65 % et 35 %, ça ne fait pas beaucoup de différence. Cela force à corriger très souvent [la composition du portefeuille] et ce travail additionnel n’apporte rien de significatif. Ça peut même embrouiller le client, qui se demande pourquoi on change tout le temps. »

Angela Iermieri

Angela Iermieri

Néanmoins, il faut rééquilibrer le portefeuille de temps à autre et il est important de l’expliquer au client. « ­Les gens ont tendance à regarder ce qui a bien performé ou non à court terme, constate ­Mme ­Iermieri. Le défi, c’est d’amener le client à conserver la diversification. L’investissement, c’est souvent très émotif. Il faut rappeler comment on a établi la stratégie et pourquoi il faut s’y tenir, peu importe ce qui se passe sur les marchés. »

Prenez garde si vous vous éloignez des recommandations habituelles. Le système informatique peut parfois en avertir le service de conformité. « Ça m’est arrivé avec un client de 68 ans dont le portefeuille était constitué à 80 % d’actions, raconte M. Dupriez. Normalement, il aurait dû avoir plus d’obligations dans son portefeuille. Mais il connaissait très bien les ­Bourses et avait cinq fonds très solides. Finalement, ça a été accepté. »

DIVERSIFIER ­OU S’ÉPARPILLER?

S’il est important de diversifier, multiplier le nombre de fonds ou de titres à outrance est une mauvaise stratégie, croit ­Jean ­Dupriez. « ­En limitant le nombre de titres, le gestionnaire peut choisir les meilleurs, ­souligne-t-il. Plus on en met, moins on ira chercher de qualité. »

« ­Certains fonds d’actions canadiennes détiennent plus d’une centaine de titres, note ­Jean-Philippe ­Tarte. Dans ce cas, la corrélation du rendement avec l’indice va être très forte. Rendu là, le client aurait avantage à investir dans un fonds de gestion passive qui calque un indice. Il économisera grandement en frais. »

L’absence de changement dans la stratégie de diversification peut aussi soulever des inquiétudes chez le client. À vous de le rassurer.

« ­Chaque année, le client vient cotiser à son ­REER et il s’attend à ce que son conseiller lui propose quelque chose de nouveau, constate M. Dupriez. Au début, ça va, parce que ça permet d’ajouter des produits qui vont améliorer la diversification. Mais avec le temps, on finit par en avoir trop et cela devient difficile à suivre. Normalement, cinq fonds dans un portefeuille, c’est suffisant. Il faut expliquer au client qu’il y a déjà une diversification à l’intérieur du fonds. »


• Ce texte est paru dans l’édition d’avril 2017 de Conseiller.

Nathalie Côté