La volatilité actuelle des devises menace-t-elle vos clients ?

9 novembre 2010 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Peter Drake

Cet automne, une vive volatilité souffle sur les marchés des devises internationaux et la presse n’hésite pas à évoquer la possibilité d’une guerre des monnaies. Des changements dans la valeur des devises étrangères n’auront pas les mêmes répercussions pour tous vos clients, mais il est fort probable que la majorité en sera affectée.

Idéalement, toute fluctuation de la valeur d’une devise devrait simplement traduire une modification des liens commerciaux et financiers entre divers États. Autrement dit, lorsqu’un pays possède un important surplus commercial, sa monnaie devrait s’apprécier; de même, la valeur de la devise devrait diminuer si le pays compte un gros déficit commercial. Mais en pratique, on est évidemment loin du scénario idéal. La valeur d’une devise reflète aussi la politique économique d’un pays et la perception des investisseurs quant aux perspectives économiques de celui-ci – ou comment son gouvernement ou sa banque centrale perçoit ses perspectives en intervenant directement sur les marchés des devises.

La valeur des devises Avec l’essor exponentiel du commerce international depuis quelques décennies, la valeur des devises est devenue un facteur de plus en plus important; en effet, une part substantielle de la croissance économique d’un nombre grandissant de pays est désormais tributaire des exportations. C’est le cas du Canada depuis longtemps; la Chine, quant à elle, est un membre relativement nouveau parmi les grands exportateurs.

Étant donné leur impact sur le commerce international, les questions de change revêtent une importance considérable pour les pays exportateurs. Plus la valeur d’une devise est faible, moins coûteuses sont les exportations de ce pays pour ses clients, et plus ce pays est susceptible de vendre ses marchandises. De la même manière, le prix des exportations d’un pays augmente avec toute appréciation de sa devise, entraînant probablement une baisse de ses exportations. À preuve, voyez les dommages causés par l’envol du huard aux exportations canadiennes. Dans le contexte actuel de reprise économique plutôt anémique en Amérique du Nord et en Europe, conjuguée à l’affermissement de plusieurs monnaies asiatiques, la valeur des devises étrangères est un problème de premier plan et d’envergure internationale.

Cela dit, comment cette question touche-t-elle la planification de retraite de vos clients ou la situation de ceux déjà retraités? Elle les affecte de trois façons au moins.

La plus évidente est l’impact sur la valeur d’un portefeuille qui comprend des placements hors du Canada. Une baisse de notre devise augmente la valeur du portefeuille d’un client quand le montant est converti en dollars canadiens. En revanche, comme vous et, je suppose, vos clients le savez bien, la hausse du dollar canadien produit l’effet contraire. Il ne faut pas en déduire que vos clients doivent renoncer aux placements étrangers; plutôt, vous devez vous assurer qu’ils sont conscients de l’éventualité de fluctuations des devises; vous devez choisir des gestionnaires de portefeuille capables de sélectionner des placements dont le potentiel de croissance compensera largement le risque de fluctuations des devises; et, il convient de déterminer avec vos clients la pertinence d’opter pour des placements avec couverture du risque de change.

Deuxièmement, l’impact des taux de change sur la performance économique peut se répercuter sur les placements de vos clients. Dans le cas de la Chine, par exemple, il semble évident que le contrôle des changes exercé par le gouvernement afin de manipuler sa devise à la baisse a rehaussé la performance économique du pays. Vos clients peuvent en bénéficier si leurs portefeuilles investissent directement en Chine ou s’ils détiennent des titres de ressources naturelles du Canada, puisque ce secteur profite incontestablement de la croissance économique de la Chine. Dans le même ordre d’idée, la faiblesse relative du billet vert devrait donner un coup de pouce salutaire aux exportations des États-Unis, d’autant plus que les consommateurs américains sont encore trop endettés et préoccupés par le chômage pour donner le ton de la reprise économique.

Bien que mes deux exemples présentent des avantages d’une monnaie faible, cela ne signifie pas pour autant que ce cas de figure soit toujours le meilleur. Au fur et à mesure que l’économie chinoise gagnera en maturité, elle sera moins axée sur les dépenses en immobilisations au profit des dépenses à la consommation. Parallèlement à cette évolution, une majoration de sa devise qui stimulerait les importations de biens de consommation serait souhaitable pour la plupart des investisseurs.

Le troisième impact que les devises peuvent avoir sur les placements de vos clients (et qu’elles n’auront pas, espérons-le) découle de la volatilité des devises ou, dans le pire des cas, d’une guerre des monnaies. Par guerre des monnaies, on entend des dévaluations compétitives adoptées par des pays exportateurs : dans l’optique d’accroître sa part des exportations mondiales, le pays A dévalue sa monnaie, puis le pays B rétorque en dévaluant sa monnaie. Le procédé s’apparente à une guerre des prix de détail, dans la mesure où si tous les détaillants d’un secteur commercial continuent à sabrer les prix, aucun ne réussira à augmenter sa part du marché, ce qui était le but de la manœuvre. Mais la guerre des monnaies se différencie du fait qu’elle se joue sur les marchés des changes qui, comme tous les marchés financiers, ont horreur de l’incertitude. Dans le plus grave des scénarios, si les dévaluations compétitives sont trop importantes et trop répandues, les marchés des devises risquent de se gripper, à l’instar des marchés du crédit qui ont cessé de fonctionner normalement pendant la crise financière de 2007-2008. Attention, je ne tiens nullement à insinuer que je prévois une guerre des monnaies. Cependant, il me semble utile que les conseillers soient informés du pire des pronostics.

Des interventions monétaires ponctuelles Nous avons indubitablement assisté à plusieurs manipulations monétaires, directes et indirectes. La banque centrale du Japon est intervenue directement sur le marché des changes dans l’espoir de juguler le yen, dont la valeur est montée en flèche cette année. Certains pays asiatiques ont imposé des restrictions sur les entrées de capitaux (qui se sont traduites par une hausse de leur devise) afin d’exercer un contrôle sur la valeur des devises étrangères. En annonçant son intention d’implanter une deuxième vague d’assouplissement quantitatif, la Réserve fédérale des États-Unis a indirectement dévalué le dollar américain. Pour finir, dans un mouvement caractéristique de la conjoncture du marché des devises d’aujourd’hui, le billet vert a gagné du terrain le jour où les marchés ont estimé que l’assouplissement quantitatif de la Fed serait inférieur aux prévisions initiales.

Malgré les soubresauts qui ont secoué les marchés des devises jusqu’à présent, tout porte à croire que la poussière retombera. Les pays membres du G-20 ont pris un premier engagement de ne pas manipuler leur devise. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un engagement obligatoire, il est rassurant de constater que les membres du G-20 s’attaquent au problème et prennent publiquement position.

Mais il serait encore plus rassurant que la récente proposition du secrétaire du trésor des États-Unis, Timothy Geithner, suscite davantage d’attention. Il recommande que les nations s’attachent en priorité à la balance de leur compte courant international et non à leur devise. Ce procédé s’attaque au cœur du problème, car les vastes surplus de pays comme la Chine et les déficits considérables, notamment celui des États-Unis, sont une sérieuse entrave à la reprise économique mondiale. En concentrant leur attention sur la balance de leur compte courant, les pays privilégieraient des politiques internes aptes à renforcer leur économie au lieu de modifier la valeur de leur devise. Aussi puissante que soit la manipulation de devise, elle ne procure qu’un gain ponctuel. Les changements internes dont, parmi de nombreuses possibilités, assouplir le marché du travail ou encourager les investissements des entreprises, exigent des efforts nettement supérieurs, mais se révèleront sans doute beaucoup plus rentables à long terme.

Il règne actuellement une forte volatilité et une grande incertitude sur les marchés des devises. Nous n’en avions pas besoin, j’en conviens; mais à court terme nous n’aurons vraisemblablement pas d’autre choix. Si le bon sens et la rationalité reprennent le dessus à travers le monde, les marchés des devises finiront par s’apaiser. Mais en attendant, il vaut mieux que les conseillers prennent le taureau par les cornes et sachent comment composer avec cette incertitude, et les inquiétudes qu’elles provoquent chez leurs clients.


Peter Drake est vice- président, Retraite et recherches économiques chez Fidelity Investments Canada. Fort de plus de 35 années d’expérience en qualité d’économiste, il dirige la recherche de Fidelity sur le contexte et les conditions de la retraite qui prévalent aujourd’hui au Canada.

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