Le marché de l’épargne collective : projeter plus qu’une bonne image

Par Denise Proulx | 14 Décembre 2015 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Ce texte est paru dans l’édition de février 2001 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.


Les régimes d’épargne collectifs ont la cote d’amour auprès des PME et de la plupart des grandes entreprises,qui dorénavant les préfèrent à la création d’un fonds de pension. Le marché est en forte croissance et attire non seulement les compagnies d’assurances mais aussi des gestionnaires de fonds communs et des courtiers en valeurs mobilières qui cherchent à dépasser leur simple rôle d’intermédiaire pour s’accaparer une part du gâteau. Pourtant,jusqu’ici,les minces marges de profit sont loin d’en justifier l’engouement.

Certains observateurs du milieu estiment que, tout compte fait, les risques liés à l’investissement en temps et en services demeurent acceptables pour plusieurs courtiers. «Avec une PME qui offre une clientèle de 20 à 25 employés, un courtier peut proposer une gamme de produits et à meilleur prix qu’un assureur direct. C’est un contrat collectif administré sous forme de primes individuelles, c’est donc passablement payant», analyse André Simard, viceprésident des ventes du réseau collectif pour le Québec à Assurance-Vie Desjardins-Laurentienne.

Les planificateurs financiers auraient avantage à faire preuve de flexibilité pour répondre à l’attrait que suscitent les REER collectifs autogérés. La formule, considérée comme moins coûteuse et plus simple à administrer, correspondrait mieux à la mobilité des travailleurs. «C’est moins de travail, moins de règlements, moins de coûts pour l’entrepreneur et c’est plus sécurisant pour l’employé. La compensation est la même pour tout le monde. L’employeur respecte le pourcentage de placement de son employé», rappelle Gilles Bouillon, vice-président opérations et technologie pour Les Services en placement PEAK.

En fait, considère-t-il, les entreprises qui veulent vendre des régimes collectifs n’auraient pas le choix d’aller dans cette direction.

UNE APPROCHE INDIVIDUALISÉE

La stratégie de Services de placement PEAK est d’accorder un accès à toute la gamme de produits disponibles au Canada. Ainsi, chaque employé peut choisir par lui-même en fonction de son âge, de son profil d’investisseur, de ses objectifs de revenus et d’épargne. Ça ne devient pas un seul régime collectif, mais quelque chose d’extrêmement personnalisé. Cette approche contribuerait à sceller la relation de confiance avec le courtier qui se donne la peine d’y consacrer le temps nécessaire au sein d’une entreprise. «Cette relation d’individu à individu privilégie les planificateurs financiers face aux grandes compagnies d’assurances et la qualité des investissements s’en ressent positivement», dit M. Bouillon. Il reconnaît toutefois que le Groupe PEAK peut supporter cette façon de développer le marché, car il possède aussi trois autres divisions, dont une en assurance, qui lui permettent de présenter des offres de services intégrés.

D’autres firmes, comme le Groupe Option Retraite et Promédic, se sont établies dans le secteur des régimes collectifs par leur partenariat avec des regroupements de professionnels. Ainsi, armée d’une liste de professionnels, Dominique Roche, conseillère en placement au Groupe Option Retraite, ratisse les bureaux et conscientise les employés à la nécessité de bien analyser leur situation financière pour ensuite tenter de répondre à leurs besoins. «Peu importe le secteur d’activité, dès qu’il y a un revenu gagné sur une base régulière, il est intéressant de contribuer un régime d’épargne collectif. Nous avons une approche à long terme. Ce n’est pas un créneau hyper lucratif pour nous, mais on peut apporter d’autres possibilités au plan individuel. C’est ce qui nous distingue des grandes institutions», précise-t-elle.

À défaut d’offrir de meilleurs produits, à meilleur taux, des conseillers en placement misent donc sur la qualité du service.

André Simard est lui aussi convaincu que les employeurs de PME préfèrent travailler avec les courtiers pour établir leurs régimes d’épargne collectifs. «Il y a un gain pour un employeur de faire affaire avec un courtier qui agit comme un conseiller en placement pour lui et ses employés, surtout dans les petites entreprises de 10 à 15 employés. C’est difficile pour un assureur de jouer ce rôle-là.»

À Assurance-Vie Desjardins-Laurentienne, on l’a bien compris et on essaie de prendre sa part de marché en peaufinant le service auprès des intermédiaires, de préférence à une sollicitation directe auprès des employeurs. «On donne aux maisons de courtage les moyens de servir leur client le mieux possible. Chez nous, la qualité du service à l’intermédiaire est une partie de la solution. Nous agissons comme un agent facilitant fiable qui livre la marchandise avec rapidité», souligne-t-il.

QUELLE QUALITÉ DE SERVICE?

L’optimisme de cet assureur qui détient la plus grande part de marché au Québec, avec 500 M$ en primes de régimes collectifs grâce à une myriade d’intermédiaires, n’est toutefois pas partagé par tous.

Gordon Gibson, premier vice-président et directeur général à la Financière Banque Nationale, est même bien prêt de penser le contraire. «Traditionnellement, les firmes de courtage ont été structurées pour travailler avec des investisseurs qui ont au minimum 100 000 $ à placer dans un portefeuille de valeurs mobilières. S’aventurer dans un régime collectif de masse, où un salarié cotisant en moyenne 150 $ par mois met 20 ans pour atteindre cette même somme, je ne vois pas comment ça peut être rentable. On ne peut pas utiliser nos forces et nos connaissances pour de petits épargnants alors qu’ils exigent une implication professionnelle similaire à celle que nous fournissons à un grand investisseur», commente-t-il.

M. Gibson est d’avis qu’un courtier en valeurs mobilières qui doit gérer le portefeuille d’un REER collectif autogéré de 300 petits épargnants ne peut pas trouver le temps d’offrir un service personnalisé de qualité à toute sa clientèle. C’est, selon lui, un créneau qui ne peut être détenu que par les entreprises qui ont la capacité financière de supporter ces besoins ou qui offrent des fonds d’investissement identiques pour tout le monde.

Andrée Charest,directrice régionale des ventes épargne et régimes de retraite collectifs à Standard Life

Andrée Charest,directrice régionale des ventes épargne et régimes de retraite collectifs à Standard Life

Andrée Charest, directrice régionale des ventes épargne et régimes de retraite collectifs à Standard Life, estime également que seules les entreprises qui brassent de gros volumes de transactions peuvent se permettre ce genre d’aventure. «Le marché des régimes collectifs est devenu complexe et le besoin de simplification est immense. Il faut prendre le client par la main et l’aider à trouver ce qui lui convient le mieux ainsi qu’à ses employés. C’est un long processus et, même si on gagne du terrain sur les firmes de fonds communs de placement, les marges de profit restent minces», explique-t-elle.

Tout comme ses principaux concurrents du milieu de l’assurance, la Standard Life agit comme fournisseur de produits auprès de bureaux spécialisés en fonds communs, qui sont sa première porte d’entrée dans le marché des régimes collectifs.

De plus, la Standard Life possède une équipe canadienne de 20 conseillers en placement qui sillonnent toutes les provinces à la recherche d’une clientèle, en complément de ses alliances avec les maisons de courtage. L’entreprise administre un service intégré de gestion de comptes (one stop shopping, en anglais), grâce auquel les employeurs n’ont pas à se préoccuper des attentes de leurs employés. Elle gère aussi un service d’éducation et de communication de 45 personnes, comprenant une équipe de conseillers salariés, dont la mission est d’expliquer aux employés de leur client le programme choisi par leur employeur et de les guider dans leurs choix de placement. La Standard Life met à leur disposition toute une gamme d’outils, allant du calculateur de retraite à un accès à leur compte par Internet. Elle répond en outre à 1600 appels téléphoniques par semaine de la part d’employés qui veulent connaître l’évolution de leur compte de retraite et discuter de stratégies d’investissement.

«Généralement, les clients ne choisissent pas de confier leurs épargnes collectives à leur assureur collectif. Nous, on peut offrir les deux, mais c’est exigeant en matière de qualité de système d’administration et de services à la clientèle. Il faut toujours développer de nouveaux produits pour répondre à une demande de plus en plus sophistiquée», ajoute Mme Charest. C’est le prix à payer pour se tailler une place véritable dans le marché.

En fait, évalue Richard Tétreault, planificateur financier associé au Groupe Investors, le marché des régimes d’épargne collectifs continuera à attirer son lot de courtiers et d’assureurs, mais il ne sera véritablement rentable que lorsqu’une masse critique de PME québécoises y aura recours. Pour ce faire, une sensibilisation des employeurs s’impose.

«Tout cela est une question de philosophie de gestion financière. Dans l’Ouest canadien, les employeurs qui ont adhéré à des régimes collectifs demandent à leurs conseillers en placement de rencontrer les employés pour les éclairer sur leurs investissements. Ici, sur 50 entreprises que j’ai sollicitées en 2000, seules trois en ont vu l’importance, même si je l’offrais gratuitement», précise-t-il.

M. Tétreault a observé que les séminaires qu’il tient dans les entreprises lui assurent une clientèle de 25 % du nombre de participants. S’il avait une bonne collaboration de la part des PME, ce pourcentage serait suffisant.

Depuis janvier dernier, M.Tétreault tente une seconde démarche. Il propose aux employeurs de fournir un service de renseignements et de conseils au sein même de leur entreprise, à raison de deux jours par semaine, afin de parler de finances personnelles avec les mployés. «C’est une expérience passablement nouvelle et il est encore trop tôt toutefois pour en évaluer la rentabilité. Mais je suis certain qu’elle en vaut la peine.»

Denise Proulx