Le patrimoine des femmes est moins important…

Par La Presse Canadienne | 30 janvier 2024 | Dernière mise à jour le 31 janvier 2024
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Réunion informelle d'une équipe commerciale diversifiée analysant des données financières
JonoErasmus / AdobeStock

La valeur du patrimoine des hommes est généralement plus élevée que celle du patrimoine de femmes, un écart qui est beaucoup plus grand chez les couples que chez les célibataires et qui s’accroît encore davantage plus les couples sont riches.

Une étude de chercheurs de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) lève le voile pour la première fois sur cette réalité, les données de Statistique Canada portant sur le patrimoine étant cumulées sur la base du ménage, donc sans distinction entre les membres de ces ménages.

Les données obtenues par la chercheuse principale Maude Pugliese et son équipe montrent que la richesse accumulée des hommes est de 1,4 fois à 2,4 fois plus élevée que celle des femmes. 

« L’écart entre les hommes et les femmes, c’est quelque chose qu’on suspectait », raconte Mme Pugliese, qui dit ne pas avoir été surprise parce que de telles études dans d’autres pays montrent la même tendance. 

Elle précise que l’écart de richesse ne peut être attribué à l’écart de revenu, bien documenté, entre les hommes et les femmes, celui-ci n’étant responsable que d’une fraction des différences entre patrimoines. 

L’IMPACT D’UNE NAISSANCE

« Une des raisons pour lesquelles les femmes peuvent moins accumuler de patrimoine, c’est parce que, quand elles ont des enfants, ce sont elles qui prennent le plus souvent des pauses du travail plus ou moins longues. Donc, non seulement on va souvent arrêter d’épargner, on va peut-être même devoir piger dans notre épargne. Ce sont les femmes, dans un contexte de couple, qui sont particulièrement susceptibles de moins travailler ou de réduire un peu leur participation dans le contexte des enfants. »

Fait intéressant, on apprend dans l’étude, intitulée « The Gender Wealth Gap in Quebec » (L’écart de richesse entre les genres au Québec), que l’écart est presque inexistant entre hommes et femmes célibataires qui n’ont jamais été mariés et qui n’ont pas d’enfant. L’écart apparaît lorsque l’on parle de personnes seules avec des enfants, il devient plus important lorsque les femmes sont en couple et atteint son paroxysme dans les couples les plus riches. 

PEU OU PAS D’ÉCART CHEZ LES CÉLIBATAIRES

La recherche montre également que le patrimoine des personnes seules, hommes ou femmes, est moins élevé que celui des personnes en couple, ce qui n’est guère étonnant selon Maude Pugliese. « Cela s’explique de plusieurs façons. Entre autres, souvent, il y a des différences d’âge. Les personnes seules ont tendance à être plus jeunes, ont de moins hauts revenus. Puis évidemment, il y a toute la difficulté d’épargner qui est supérieure quand on n’est pas deux, à mettre en commun des options. »

Puis, dit-elle, lorsque deux personnes seules qui ont un patrimoine équivalent deviennent un couple, « au niveau du ménage on vient de multiplier le patrimoine par deux. À long terme, pour les individus, ça facilite l’épargne. Par exemple c’est plus facile lorsque les coûts d’habitation sont partagés. »

De là à dire qu’une femme célibataire qui décide de vivre en couple va automatiquement voir sa valeur augmenter, mais plus lentement que celle de son conjoint, il y a un pas que les chercheurs ne franchissent pas. Mme Pugliese souligne que l’étude a plusieurs limites, dont celle de ne pas s’étendre dans le temps: « Ce ne sont pas des données qui nous ont permis de suivre par exemple une personne célibataire et de voir au cours de sa vie, en couple ou non, ce qui arrive à son patrimoine. Nous n’avons pas observé des gens sur leur parcours de vie et nous ne pouvons pas dire que c’est le fait de se mettre en couple qui va créer en tant que tel les écarts de genre. Quand on se met en couple, à 25, 30 ans, il se passe plein d’autres trucs. C’est aussi cette période-là de la vie, où justement on peut recevoir des héritages ou on peut décider de se lancer en affaires. »

HÉRITAGE VIVANT

D’ailleurs, précise-t-on, une partie du patrimoine aura été accumulée avant une éventuelle relation. Aussi, il y a les transferts intergénérationnels, c’est-à-dire de l’argent légué par les parents. Car si rien n’indique que les femmes sont désavantagées par rapport à leurs frères lorsque vient le moment d’hériter, il y a également ce qu’on appelle les « transferts entre vifs », curieuse expression désignant des parents qui donnent de l’argent à leurs enfants alors qu’ils sont toujours vivants. Là aussi, les données québécoises ne permettant pas d’évaluer un écart, mais des études en Allemagne et en Corée font état d’un écart très important.

Mais les écarts ne peuvent s’expliquer que par la parentalité et le poids financier supérieur qu’elle impose souvent aux femmes. L’étude conclut qu’une part de l’écart repose sur la propriété d’actifs, particulièrement d’actifs autres que la résidence principale, notamment des immeubles à revenu, un actif patrimonial reconnu comme étant privilégié par la classe moyenne québécoise.

On note également des écarts de valeur patrimoniale plus grands entre les hommes et femmes vivant en union libre qu’à l’intérieur des couples mariés, sauf chez les plus riches. Ce constat fait écho, dit-on, à d’autres études démontrant que les couples en union libre ont moins tendance à partager, être co-propriétaires ou redistribuer leurs actifs, particulièrement lorsqu’ils sont au courant des différences légales entre le mariage et la cohabitation. D’autres études ont démontré que dans plusieurs cas, le choix de la cohabitation repose justement sur la volonté d’avoir une plus grande indépendance financière et de l’individualisation de la richesse qui en résulte. 

PLUS DE RICHESSE, PLUS D’ÉCART

Mais l’écart le plus grand se trouve au sein des couples – mariés ou pas – qui se trouvent dans le 99e percentile de l’étude ou, en termes clairs, le fameux 1 % des plus riches. Mais, prend soin de préciser Maude Pugliese, « il y a un bémol: dans l’étude, concrètement, c’est certain que notre échantillon ne comprend pas le vrai de vrai 1 % de la population la plus riche. On les connaît les grandes fortunes du Québec. Nous, c’est le 1 % de notre échantillon. Si on regardait le vrai 1 % du Québec, on peut imaginer que les écarts seraient encore plus impressionnants. »

« C’est vraiment dans ces groupes très bien nantis où on constate que les gens qui ont vraiment, vraiment une grosse fortune, ce sont principalement des hommes », rapporte la chercheuse. Pourquoi les plus riches présentent-ils un écart plus grand, le patrimoine des hommes y étant 2,4 fois plus élevés que celui des femmes? Là encore, une réponse précise exigerait d’autres études, mais la chercheuse soulève une possibilité: « Une chose qu’on peut suspecter parce que c’est quelque chose qui a une grande importance, surtout dans les très gros patrimoines, ce sont les entreprises. Le transfert de possession d’une entreprise, on sait que ça se fait davantage de père en fils. Il y a des études là-dessus. L’entrepreneuriat est un chemin qui est moins navigué par les femmes pour toutes sortes de raisons, mais probablement que toute la question de la charge là des enfants y est pour quelque chose. Il y a plusieurs éléments qu’on voudrait essayer de trouver autour de la transmission du patrimoine, notamment quand il est question d’une entreprise familiale. »

SÉPARER L’AMOUR ET L’ARGENT

Devant un constant aussi implacable, quel conseil peut-on donner aux femmes pour tenter de maintenir un équilibre lorsqu’elles entrent en relation? « Il faut en parler ouvertement. C’est sûr que, dans un contexte amoureux, ça va quasiment à l’encontre de nos idées, de ce qu’est l’amour, que de parler très frontalement d’argent. »

« Il s’agit simplement de séparer les deux, de dire: ce n’est pas parce qu’on est amoureux qu’on n’a pas une vie matérielle, surtout quand arrive un enfant parce qu’un doit prendre un congé, réduire sa participation au marché du travail, son revenu. Il faut être prêt à se demander comment on redistribue notre revenu familial. Comment je peux avoir une partie de ça qui, par exemple, vient contribuer à mes épargnes à moi? » 

Et si ça ne semble pas simple, elle rappelle que c’est souvent encore pire: « De plus en plus, ces questions-là se complexifient parce qu’il y a de plus en plus de familles recomposées.  »  On imagine bien que ces cas, qui impliquent des liens familiaux en dehors du couple et des liens parentaux multipliés par deux ou plus, n’ont pas intérêt à être ignorés et ce, encore plus par les femmes.

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