Soyez un gestionnaire à valeur ajoutée

Par Sylvain B. Tremblay | 31 mai 2013 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Seule une politique de placement personnalisée vous permettra de vous démarquer.

« Quatre-vingt pour cent du rendement d’un portefeuille de placement est attribuable à l’allocation des actifs, alors que la sélection des titres ne compte que pour 20 %. » C’est à la lumière de cette affirmation, tirée du discours de plusieurs de nos gourous modernes de la finance, que l’on réalise l’importance d’encadrer sa façon d’aborder le placement.

D’abord par l’énoncé d’une politique stricte à long terme, qui inclura la marche à suivre dans la sélection des titres à choisir, mais surtout déterminera la composition du portefeuille parmi les grandes catégories d’actifs que représentent l’encaisse, les obligations, les actions canadiennes et les actions étrangères. En attribuant ainsi à chacune de ces catégories une pondération cible à moyen et à long terme qui correspond à son degré de tolérance au risque, l’investisseur sera contraint d’équilibrer périodiquement son portefeuille de placement.

À titre d’exemple, prenons la répartition équilibrée suivante – 50 % d’obligations et 50 % d’actions – et supposons une correction de 10 % du marché des actions et un comportement neutre du marché des obligations. On constatera, en consultant le relevé de placement, que la pondération de ce portefeuille est désormais de 55 % d’obligations et de 45 % d’actions. L’investisseur avisé devra profiter de cette occasion pour équilibrer son portefeuille, en transférant le produit de la vente de 9 % de sa portion obligataire à la portion actions.

Sylvain B. Tremblay

Plus concrètement, les années 2008 et 2009 nous ont permis de mettre cette théorie à l’épreuve avec le résultat suivant : la moyenne des portefeuilles dotés d’une politique de placement équilibrée avait perdu, du 1er janvier au 31 décembre 2008, près de 9 %. L’équilibrage systématique de ces mêmes portefeuilles, impliquant l’achat d’actions dans une séquence de marchés baissiers jusqu’au 8 mars 2009, a permis de récupérer cette perte dès octobre 2009, alors que le portefeuille qui n’avait pas fait l’objet d’un tel équilibrage ne s’est rétabli que bien plus tard, au cours de l’année 2010.

Bien qu’il y ait toujours des avantages et des inconvénients à chacune des stratégies de placement et que, pour cette raison, on peut penser que l’absence d’équilibrage systématique est susceptible de produire de meilleurs rendements en période de marché haussier, cette méthode relève du compromis et permet de réduire passablement la volatilité des rendements. Elle conviendra parfaitement à l’investisseur qui souhaite une croissance plus stable sur une base plus solide.

La qualité des résultats obtenus en gestion de placement est tributaire de l’énergie et de la discipline allouées à cet exercice.

C’est le profil qui compte! Quels sont les facteurs déterminants dans le choix de la pondération qui convient à un investisseur? La politique de placement devrait-elle toujours rester la même?

Chaque épargnant devrait être en mesure de bien connaître son seuil de tolérance au risque et l’indiquer à son conseiller financier. Les professionnels du placement disposent de multiples outils permettant d’évaluer ce seuil et de faire des recommandations en conséquence. On passe notamment en revue avec le client son volume d’épargne, ses différents types de comptes, ses contraintes fiscales, son horizon de placement, son degré de connaissance de l’épargne et des divers marchés financiers, ses besoins en liquidités, sa perception de la volatilité, son expérience, ses obligations générales, ses aspirations successorales, etc. Certains poseront aussi des questions sur la santé et les antécédents familiaux. Le conseiller peut même aller jusqu’à déduire des informations pertinentes à partir du comportement du client. On parlera alors d’un dérivé de la « finance comportementale ».

À titre d’exemple, pour un professionnel qui ne peut tolérer un délai de carence de plus de 30 jours sur sa couverture d’assurance invalidité en raison de son insécurité financière, se retrouver investi dans un portefeuille fortement pondéré en actions de petite capitalisation constitue une anomalie. Cette situation peut amener le client à commettre des erreurs de jugement, sous le coup de l’émotion engendrée par la trop grande volatilité à laquelle son portefeuille est exposé. Le conseiller qui possède une telle information doit suggérer une plus forte pondération du portefeuille en titres à revenus fixes.

À partir des informations ainsi obtenues, le conseiller peut rédiger et proposer un énoncé de politique de placement personnalisé à son client. Cette approche lui permettra de traverser confortablement toutes les phases des prochains cycles économiques.

Certains épargnants auront tendance à vouloir modifier l’allocation de leur actif au gré des mouvements boursiers. La nature humaine est ainsi faite… L’investisseur désire normalement se retirer du marché après une baisse marquée, mais il désire y entrer après une hausse de bonne ampleur! Une politique de placement ne devrait normalement pas être modifiée en raison d’une surperformance ou d’une sous-performance des marchés, mais elle pourrait l’être à la suite d’un changement majeur dans la vie de l’épargnant. Nouveau statut d’emploi, séparation ou divorce, décès, passage à la retraite sont des exemples de circonstances qui peuvent mener à une modification.

La croyance populaire veut qu’un épargnant doive investir à hauteur de son âge en obligations et le reste en actions. Ainsi, un investisseur de 70 ans devrait placer 70 % de son portefeuille en obligations. Il ne s’agit en effet que d’une croyance. L’allocation des actifs devrait, en tout temps, être en lien avec le degré de tolérance au risque de l’investisseur.

L’erreur la plus commune en placement consiste à s’aventurer sur un terrain instable sans avoir au préalable établi de plan précis, encadré par un énoncé de politique de placement approprié. Cette importante omission est souvent lourde de conséquences…

L’allocation tactique des actifs Nous en avons déjà parlé, l’énoncé d’une politique de placement qui découle de ce processus comportera aussi une stratégie de l’allocation des actifs.

Prenons l’exemple de Marie-France, pharmacienne propriétaire de 50 ans qui a récemment vendu deux de ses trois pharmacies et désire confier un mandat de gestion du résidu de la vente de six millions de dollars à un gestionnaire privé. Après s’être adonné au processus d’évaluation habituel, ce dernier suggère une stratégie basée sur l’allocation d’actifs suivante : 50 % du portefeuille investi en obligations, 30 % investi en actions canadiennes et 20 % en actions étrangères, permettant donc une latitude de plus ou moins 20 % par catégorie. Le rendement à venir du portefeuille sera ainsi mesuré et comparé à un indice de référence constitué de 50 % du DEX Universe, 30 % du S&P/TSX et 20 % du MSCI Monde.

Dans le marché de la gestion de portefeuille, que ce soit dans le secteur privé ou dans le domaine institutionnel, la valeur d’un gestionnaire se mesure en fonction des rendements perçus par rapport à l’indice auquel il est comparé. Il peut bonifier ses résultats par sa sélection de titres ou par sa tactique d’allocation d’actifs. Les deux seront basées sur son style de gestion et sa lecture des nombreux indicateurs de marché.

À titre d’exemple, dans le présent contexte de bas taux d’intérêt et du spectre éventuel d’une hausse de ceux-ci à moyen terme, le gestionnaire devrait se prévaloir de la latitude que la politique de placement de Marie-France lui permet, en sous-pondérant la portion obligataire du portefeuille à 40 % plutôt que de le conserver investi à sa cible de 50 % et en surpondérant, a fortiori, la portion actions à 60 %. Il fera le même exercice après avoir analysé le potentiel respectif du marché des actions canadiennes et celui des actions étrangères. En simplifiant le modèle, la pondération de la portion étrangère pourrait être haussée à 30 % alors que la portion canadienne demeurerait à 30 %, si le gestionnaire juge que le potentiel de croissance est plus intéressant sur les marchés internationaux et qu’il désire profiter de la valeur relativement élevée de la devise canadienne. Il livrera ainsi une meilleure performance que son indice de référence si les conditions de marché escomptées s’avèrent. On définira ce résultat par le terme « valeur ajoutée ». Dans le cas de non-réalisation de ses hypothèses, le gestionnaire pourrait livrer une sous-performance par rapport à ce même indice. On parlera alors de « valeur retranchée ».

Ces principes de gestion seront, de plus, appliqués à chacune des trois grandes catégories d’actifs. Le gestionnaire obligataire choisira d’être plus ou moins exposé en obligations fédérales, provinciales, municipales ou sociétales, sans parler de la durée. En actions canadiennes, il privilégiera certains secteurs par rapport à d’autres, alors qu’il décidera de la pondération de la portion étrangère à allouer aux pays de son choix.

En résumé, une telle approche permettra à Marie-France d’optimiser ses ressources et ainsi de réaliser de meilleurs rendements à moyen et à long terme tout en gérant mieux son exposition aux risques du marché. Au cours des dix dernières années, certains gestionnaires ont assidûment livré près de 1 % en valeur ajoutée par rapport à leur indice de référence en appliquant systématiquement ce principe de gestion.


Sylvain B. Tremblay est Adm. A., Pl. Fin., vice-président, relations d’affaires, Gestion privée, Optimum Gestion de placements inc.

Sylvain B. Tremblay